B. Un principe qui heurte la règle de non
ingérence dans les affaires intérieures des États
Souverains par définition, soucieux de se voir imposer
un certain comportement à l'égard de leur population, les
États se sont montrés prudents lors de l'adhésion aux
instruments internationaux relatifs aux droits des personnes.
Cette prudence s'explique par l'idée que ces
États craignent toute ingérence dans leurs affaires
intérieures qui peut se justifier éventuellement par l'engagement
de cet État à promouvoir ou à respecter les droits des
personnes proclamés dans ces textes internationaux.
Avant de vérifier si le principe d'élections
périodiques et honnêtes contredit le principe de la non
ingérence, principe bien ancré en droit international
général, une définition doctrinale de ce dernier principe
est de nature à écarter quelques ambiguïtés sur la
question.
Ainsi nous pouvons confirmer que "... l'ingérence
ou intervention au sens non matériel du terme, se limite à une
interférence dans la sphère d'action de l'État, sans
autorisation de celui-ci; elle peut prendre la forme d'une simple prise de
position (...) mais aussi à un degré supérieur, celle
d'une invitation à agir dans un sens déterminé,
éventuellement assortie d'une pression destinée à
contraindre le destinataire à le faire"60. Une
précision s'impose à propos de cette définition. En effet,
l'autorisation dont parle l'auteur peut être ponctuelle mais elle peut
aussi être indirecte ou implicite par le fait que l'État s'engage,
sur le plan international, à agir dans un sens ou dans un autre.
A partir de cette définition deux possibilités
nous sont offertes pour traiter ce problème.
La première approche consiste à se demander si
la promotion du principe d'élections périodiques et
honnêtes ne constitue pas une ingérence ou une intervention au
sens de l'article 2 paragraphe 7 de la Charte de l'O.N.U. ?
60 COMBACAU (J) et SUR (S), Droit international public,
Paris, Montchrestien, 1995, p. 262
Cet article dispose qu'aucune disposition de la
présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans
les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence
nationale d'un État...".
Bien que faisant l'objet d'engagements internationaux des
États, la matière électorale a été
généralement considérée comme faisant partie
intégrante du système politique, qui lui, relève de la
compétence discrétionnaire de l'État ou du domaine dit
réservé aux États.
Si on se base sur la doctrine du domaine
réservé, nous pouvons dire que les États restent libres de
réglementer une matière tant qu'elle n'a pas été
régie par le droit international. La CPJI, dans son avis relatif
à l'affaire des décrets français sur la
nationalité en Tunisie et au Maroc, a considéré que
"La question de savoir si une certaine matière rentre ou ne rentre
pas dans le domaine exclusif d'un État est une question essentiellement
relative : elle dépend du développement des rapports
internationaux"61. Par conséquent, toute
ingérence dans une matière non régie par le droit
international constitue une intervention illicite.
Pour ce qui est du principe d'élections
périodiques et honnêtes nous avons déjà vu qu'il a
fait l'objet d'une certaine réglementation internationale. Or,
très tôt, dans sa résolution 285 du 25 avril 1949,
l'Assemblée Générale de l'O.N.U. a, selon un auteur,
reconnu que les "les questions de la protection des droits de l'Homme dans
la communauté internationale universelle ne sont plus des "affaires qui
relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un
État" car elles sont en principe régies par le droit
international, bien que ce soit encore le droit interne qui les règle
normalement"62. Donc étant l'un des droits régis
par le droit international, le droit aux élections périodiques et
honnêtes doit être promu par les États qui ont
manifesté leur consentement à son propos.
61 In. LAGHMANI (S), Répertoire
élémentaire de la jurisprudence internationale, CERP, 1993,
p. 180.
62 VERDROSS (A), "Le principe de la non
intervention dans les affaires relevant de la compétence nationale d'un
État et l'article 2 (7) de la Charte des Nations Unies", in.
Mélanges ROUSSEAU (CH), La communauté internationale, Paris,
Pedone, 1974, p. 272.
On peut penser à ce propos que même si
l'État s'engage juridiquement à garantir un droit, dans ce cas le
droit aux élections périodiques et honnêtes, cela ne veut
pas forcement dire que la matière électorale échappe
à la compétence de cet État. A la limite, nous pouvons
concevoir que cette compétence devient "concurrente"63.
L'obligation de respecter ce principe existe, certes, et découle du
caractère consensuel du droit international mais cette
obligatoriété n'autorise pas l'O.N.U. à prendre une action
quelconque afin d'obliger un État à respecter ce principe. En
effet, la Charte des Nations Unies s'est référée aux
droits de l'Homme à plusieurs reprises mais aucune disposition n'a
habilité l'O.N.U. à obliger un État au respect de ces
droits64.
La seule possibilité de droit commun qu'offre le droit
international en cas de violation d'un engagement international est la mise en
oeuvre de la responsabilité étatique. Cette solution a
été prévue par l'Institut du droit international dans sa
résolution sur la "protection des droits de l'Homme et le principe
de non intervention dans les affaires intérieures des
États"65.
A la question de savoir si l'encouragement de l'O.N.U. pour le
respect du principe d'élections périodiques et honnêtes
constitue une ingérence ou une intervention au sens de l'article 2 (7)
de la Charte; une réponse négative nous est fournie par une
partie de la doctrine Ainsi "l'ingérence commence là
où un État, un groupe d'États, une organisation
internationale, "se mêlent de ce qui ne le regarde pas",
c'est-à-dire de ce que fait un État dans un domaine qui
relève de sa compétence (...) et où ses pouvoirs sont
discrétionnaires. C'est habituellement le cas en ce qui concerne le
choix de "son système politique, économique, social et culturel"
(...) mais pas nécessairement car rien ne l'empêche de renoncer
à cette liberté primitive"66. Nous dirons
à propos de cette réponse qu'a contrario si
l'État n'a pas renoncé à cette "liberté
primitive", une organisation internationale qui l'incite à adopter
un système quelconque s'ingère dans les affaires de cet
État.
63 L'expression est empruntée à COMBACAU
(J) et SUR (S), op. cit., p. 255.
64 Voir notamment le préambule de la Charte,
l'article 1 (3), l'article 13 (1-b), l'article 55 (c), l'article 62 (2),
l'article 68 et l'article 76.
65 Résolution adoptée à la
session de Saint-Jacques de Compostelle le 13 septembre 1989, in. A.LD.I.
volume 63 - II, Paris, Pedone, 1990, pp. 224-225 et 338-344
66 COMBACAU (J) et SUR (S), op. cit. p. 255.
La deuxième voie qui nous permet d'analyser la question
des élections par rapport au principe de la non ingérence,
consiste à soustraire la doctrine du domaine réservé de
notre raisonnement dans la mesure où le problème ne consiste plus
à savoir si le principe d'élections périodiques et
honnêtes relève du droit interne ou du droit international; cette
question étant résolue par le fait que le droit international a
consacré le droit de la personne à choisir librement ses
gouvernants par des élections périodiques et honnêtes.
Le problème qui se pose est donc celui de savoir s'il y
a une équation entre ce droit, intimement lié aux choix du
système politique, et un autre droit qui garantit
précisément aux États le libre choix de leur
système politique, économique, social et culturel.
Le droit international charge donc l'État de garantir
aux personnes, un droit aux élections périodiques et
honnêtes mais en même temps il lui reconnaît son droit au
libre choix de son système politique, économique, social et
culturel. Or, il est certain que le système électoral constitue
une partie intégrante du système politique d'un État.
Il s'agit donc dans ce cas d'un "conflit positif de deux
séries de règles du droit international dont les unes accordent
à l'État un droit et une liberté alors que les autres
impliquent à sa charge une obligation et ce dans le même domaine,
le domaine de son organisation politique"67.
La résolution de ce conflit semble être
conditionnée par un rapport de force favorable à la
démocratie libérale, un rapport de force qui tend à
éliminer l'un des termes de cette contradiction qu'est le libre choix du
système politique.
Du reste, ce conflit a été manifeste dans les
résolutions prises par l'Assemblée Générale de
l'O.N.U. à propos des élections et qui ne font que
témoigner de l'attitude indécise des États et de la
portée ambivalente du principe d'élections périodiques et
honnêtes.
67 LAGHMANI (S), "Vers une légitimité
démocratique ?", in. Les nouveaux aspects du droit international,
dir. BEN ACHOUR (R) et LAGHMANI (S), Paris, Pedone, 1994, p. 256.
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