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L'ONU et la démocratie

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par Salwa HAMROUNI
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis - D.E.A. de droit public et financier 1996
  

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A. Un principe fondé en droit international

Le droit de participer à la direction des affaires publiques et à la vie politique constitue l'un des droits de la personne déclarés par différents instruments internationaux depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.

Ainsi le droit de la personne à choisir ses gouvernants par le moyen d'élections périodiques et honnêtes figure aussi bien dans la Déclaration Universelle des droits de l'Homme (a), que dans le pacte international relatif aux droits civils et politiques (b).

a. La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme

Quelques années après la création de l'O.N.U., l'Assemblée Générale de cette Organisation a adopté la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme par sa résolution 217 A (III) du 10 décembre 1948.

Dès le préambule de la Déclaration, l'Assemblée Générale a pris le soin de rappeler que la protection des droits fondamentaux de l'Homme et de la dignité humaine ont constitué l'un des buts des peuples des Nations Unies.

La protection des droits civils et politiques de la personne a donc constitué l'un des piliers de la Déclaration.

Outre le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, le doit à la liberté d'opinion et d'expression et le droit à la liberté de réunion, la Déclaration a prévu dans son article 21 paragraphe 3 que "La volonté du peuple est le fondement de l'autorité des pouvoirs publiques; cette volonté doit s'exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote".

En dehors de ce qu'on peut dire à propos de l'article 21 en soi, la Déclaration n'est qu'une résolution de l'Assemblée Générale de l'O.N.U. Cela nous mène à étudier un problème qui n'est pas propre à la Déclaration Universelle des droits de l'Homme et qui concerne la valeur juridique des résolutions de l'organe plénier de l'O.N.U.

Le débat qui s'est ouvert lors de la rédaction de cette Déclaration peut nous être utile. En effet, au moment de l'adoption de ce texte, "pour la plupart, ceux qui furent impliqués dans la rédaction de la Déclaration Universelle des droits de l'Homme étaient d'avis qu'elle n'avait aucune base juridique. Ils estimaient qu'ils participaient à l'élaboration de quelque chose qui était destinée à avoir un impact sur les consciences "44. C'est ainsi que le gouvernement des États Unis a voulu éviter que la Déclaration soit juridiquement exécutoire au niveau international en proposant que les Membres des Nations Unies soient appelés à "promouvoir" et non à "faire respecter" les droits de l'Homme De même, l'un des groupes de travail créé par la Commission des droits de l'Homme lors de sa session de décembre 1947, le groupe de travail sur les mesures d'application, a considéré dans son rapport qu'il est "manifestement impossible au groupe de travail d'envisager des mesures d'application pour une obligation qui n'en était pas une"45.

Ces arguments n'excluent pas l'idée qu'avaient certains observateurs de l'époque et qui consiste à voir dans la Déclaration une obligation qui pèse sur les États puisque les droits des personnes sont l'un des buts prévus par la Charte des Nations Unies. René Cassin a déclaré à ce sujet qu' "il est évident qu'elle n'est pas aussi puissante, aussi astreignante que pouvaient l'être des engagements juridiquement consignés dans une convention. Mais notre Déclaration est formulée dans une résolution de 1 'Assemblée qui a une valeur juridique de recommandation; elle est le développement de la

44 La Déclaration Universelle des droits de l'Homme, 40ème anniversaire 1948-1988, exposés par JOHNSON (G) et SYMONIDES (J), Paris, UNESCO, L'Harmattan, 1991, p. 129.

45 Documents des Nations Unies : UN, doc. E/CN. 4/53, 10 Décembre 1947, Commission on Human Rights, second session (commission des droits de l'Homme, deuxième session), Draft Report of the working Group on implementation (Projet de rapport du Groupe de travail sur les mesures d'application), p. 2 (Boîte 4595, Eleonor Roosevelt Papers), D'après JOHNSON (G) et SYMONIDES (J), op. cit. p. 133.

Charte qui a incorporé les droits de l'Homme dans le droit international positif, droits dont on peut dire qu'ils figurent maintenant parmi ce que l'on appelle les "principes généraux de droit" visés à l'article 38 du statut de la cour de La Haye"46.

Les développements ultérieurs du droit international ont fait qu'aujourd'hui une partie des juristes considère que la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme a la valeur d'une coutume internationale et donc obligatoire à ce titre pour les États47.

Ces approches, bien que relatives à toute la Déclaration, peuvent nous éclairer sur la place qu'occupe le principe d'élections périodiques et honnêtes en droit international. Faire de ce principe un principe coutumier reste à vérifier. En fait nous ne sommes pas encore sûrs qu'il y ait une pratique générale des États qui garantit aux citoyens le droit d'élire librement et périodiquement ses gouvernants.

Rien que pour les pays du sud, les élections libres font partie de leur discours politique et juridique plutôt que de leurs pratiques.

De plus, et indépendamment de la valeur juridique de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, si nous sommes d'accord sur l'idée que tout régime démocratique doit émaner de la volonté du peuple, il nous reste à savoir si les élections périodiques et honnêtes ont été envisagées par les rédacteurs de la Déclaration comme le seul moyen permettant à cette volonté de s'exprimer.

Contrairement à ce que laissent entendre certains auteurs48, la volonté du
peuple peut, selon l'article 21 (3), être exprimée par une procédure
équivalente assurant la liberté de vote. En tout cas, la liberté de vote doit

46 General Assembly, Summury Records (comptes rendus de à l'Assemblée Générale). 47Cf. CORTEN (0) & KLEIN (P). Droit d'ingérence ou obligation de réaction? Bruxelles, Bruylant, 1992, pp. 94-103, JOHNSON (G) et SYMONIDES (J), op. cit. pp. 138-141, MADIOT (Y), droits de l'Homme et libertés publiques, Paris, Masson, 1976 pp. 91-92. Cf contra, VEDEL (G) "Les droits de l'Homme
· quels droits ? quel Homme ?", in. Humanité et Droit international, Mélanges René-Jean DUPUY, Paris, Pedone, 1991, p. 349. COMBACAU (J) et SUR (S), Droit international public, Paris, Montchrestien, 1995, p. 391

48 Voir BEIGBEDER (Y), Le contrôle international des élections, Bruxelles, Bruylant, Paris, L.G.D.J, 1994, p. 15.

être assurée mais le fait d'ajouter "ou suivant une procédure équivalente" nous révèle que les élections périodiques et honnêtes ne sont pas un moyen exclusif pour exprimer la volonté du peuple et fonder par conséquent un régime démocratique - du moins selon le texte de la Déclaration -.

La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme a, en fait, laissé le choix pour les États de concevoir le vote autrement.

Bien que les principaux rédacteurs de la Déclaration aient été des occidentaux, René Cassin, un des rédacteurs de cette déclaration, a considéré d'ailleurs qu'elle est universelle parce qu'elle est "dégagée de tout esprit de compétition nationale, doctrinale, confessionnelle, elle n'a consacré ni le triomphe d'un système métaphysique ou social ni tenté des conciliations impossibles de théories adverses"49.

Cette affirmation est discutable car nous savons que la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme a été adoptée par 48 voix sur 56. Plus, sur ces 48 États, 35 relèvent de la culture occidentale et certains pays de l'Est ainsi que l'Arabie Saoudite et l'Union Sud Africaine se sont abstenus. D'autres États arabo-musulmans ont voté tout en émettant des réserves.

C'est cette prétendue universalité - originaire - qui semble être mise aujourd'hui en question. La préférence qu'a l'O.N.U. pour la démocratie libérale telle qu'elle a été conçue par les auteurs des lumières s'est manifestée à travers sa nouvelle conception du régime démocratique basée essentiellement sur les droits civils des personnes et sur l'État de Droit. Selon la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, cette préférence ne peut pas se transformer en obligation pour les États d'organiser des élections périodiques et honnêtes. On se demande alors quelle serait l'attitude des États s'ils adhéraient à un document plus contraignant tel que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ?

b. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques

49 Discours à l'Académie des sciences morales et politiques, 8 décembre 1948, in. La protection internationale des droits de l'Homme dans le cadre des Organisations Universelles, Documents réunis par COHEN - JONATHAN (G), documents d'études, Droit international public, N° 3. 06, avril 1990,p. 5.

Adopté par l'Assemblée Générale de l'O.N.U. le 16 décembre 196650, soit 18 ans après le Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose dans son article 25 que "Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à 1 'article 2, sans restrictions déraisonnables (...) (b) de voter et d'être élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant 1 'expression libre de la volonté des électeurs".

La première remarque qui s'impose à propos de cet article est relative à la disparition de la phrase "ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté de vote". Désormais, la volonté du peuple est censée s'exprimer par le droit aux élections périodiques et honnêtes. Cette omission volontaire de tout autre moyen exprimant la volonté du souverain traduit le choix du système démocratique par les États parties au pacte international relatif aux droits civils et politiques.

La mention du principe d'élections périodiques et honnêtes dans un texte incontestablement contraignant est, en principe, témoin de l'existence de ce principe comme une obligation à la charge des États qui l'ont ratifié.

L'obligatoriété juridique de ce pacte est certaine, la preuve est qu'il a mis dix ans pour entrer en vigueur après avoir acquis le nombre exigé de ratifications51.

Dans son article "The emerging right to democratic governance"52 Thomas Frank a relevé qu'après la décolonisation, la proportion des pays Membres de l'O.N.U. qui pratiquaient des élections libres et démocratiques était restreinte surtout dans les régimes totalitaires de l'Afrique et de l'Asie.

Cette remarque n'a pas empêché l'auteur de voir que malgré cette
atmosphère hostile, presque les deux tiers des États Membres de l'O.N.U.
se sont engagés à respecter les règles et les droits prévus dans le Pacte des

50 Résolution 2200 / A (XXI) A.G. / O.N.U. du 16/12/1966

51 Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques est entré en vigueur le 23 mars 1976 après le dépôt du 35ème instrument de ratification.

52 FRANK (Th) in. A. J. L L., janvier 1992, volume 86, N° 1, pp. 63 - 64

droits civils et politiques d'où le droit émergeant aux élections libres, périodiques et honnêtes.

Aujourd'hui, 20 ans après l'entrée en vigueur du pacte, la balance semble s'incliner du côté de ce principe : une nouvelle majorité d'États fait actuellement des élections l'un des éléments qui fondent l'autorité des pouvoirs publics. Cet état des choses a poussé l'auteur à en déduire la formation d'une coutume générale applicable à tous et qui veut que le principe d'élections périodiques et honnêtes fonde toute démocratie.

Cette conclusion nous paraît excessive puisqu'en l'état actuel du droit international nous ne sommes pas en mesure de confirmer l'universalité du pacte international relatif aux droits civils et politiques puisqu'un nombre important d'États ne l'ont pas ratifié53. Et ceux qui ont ratifié ce pacte, n'ont pas, tous, émis la déclaration relative à l'article 41 qui permet aux États de reconnaître la compétence du Comité des droits de l'Homme pour recevoir et examiner les communications dans lesquelles un État prétend qu'un autre État partie au pacte ne s'acquitte pas de ses obligations relatives aux droits civils et politiques54. De plus, le protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et qui habilite le Comité des droits de l'Homme; constitué par le Pacte, à examiner les communications émanant de particuliers qui prétendent être victimes d'une violation d'un des droits énoncés dans le pacte, n'a été ratifié que par 79 États jusqu'à janvier 199555.

En tout cas, si nous ne sommes pas tout à fait certains que "le droit international n'a pas consacré un droit de l'Homme aux choix du système politique et des gouvernants de son pays"56, il n'en reste pas moins que nous partageons l'idée que "ces instruments internationaux qui l'ont prévu,

53 Jusqu'au 1er janvier 1995, 129 États ont ratifié le Pacte, voir MARIE (J-B), "Instruments internationaux relatifs aux droits de l'Homme / Classification et état actuel des ratifications au 1er janvier 1995", in. R. U. D. H.,15 mars 1995, volume 7, N° 1 - 3, p. 68.

54 Cet article est entré en vigueur le 28 mars 1979, en janvier 1995 il a fait l'objet de 44 déclarations voir MARIE (J-B), "Instruments internationaux relatifs aux droits de l'Homme ...", art.cit, p. 68.

55 Ibid. loc. cit.

56 BEN ACHOUR (R), "Normes internationales souhaitables de lege ferenda relatives aux élections". in. liberté des élections... op. cit. p. 199.

l'ont fait de manière si insuffisante et timide qu'il n'en a pas résulté de conséquences pratiques"57. D'une manière insuffisante et timide parce que ces instruments se sont limités à proclamer ces droits, ils sont donc sans conséquence pratique puisqu'en cas de leur violation, la seule sanction positive est prévue soit par l'article 41, soit par le protocole facultatif qui, eux, ne sont mis en oeuvre qu'avec l'accord de l'État.

Ajoutons que nous assistons depuis quelques années à un effort entrepris par certaines Organisations non gouvernementales en vue de codifier ces règles relatives à la liberté des élections dans un texte obligatoire pour les États. C'est ainsi que lors de la conférence internationale qui s'est tenue à la Laguna du 27 février au 2 mars 1994; sur la "Liberté des élections et observation internationale des élections", un projet de convention a été préparé à propos de ce thème58.

Bref, on pourrait penser qu'on assiste à la formation d'une opinio juris qui reconnaît et garantit aux personnes un droit aux élections libres, périodiques et honnêtes mais encore faut-il admettre que cette coutume ne peut s'imposer aux États qui l'ont expressément rejeté d'autant plus que "le plus souvent..., la règle coutumière correspond à un équilibre des forces internationales en présence à un moment donné, à une confrontation des sujets de droit sur un problème international"59.

Pour conclure, on peut affirmer que la place qu'occupe le principe d'élections périodiques et honnêtes au rang des normes du droit international, dépendra des développements ultérieurs de ce droit. Ces développements dépendants eux aussi de la manière dont les États concevrons leur souveraineté et sa conséquence qu'est le principe de la non ingérence dans les affaires intérieures des États.

57 Ibid. loc. cit.

58 voir "Projet de convention internationale Jorge CAMPINOS relative à la liberté des élections et à l'observation internationale des élections". in. Liberté des élections et observation internationale des élections, op. cit., pp. 321 - 358.

59 QUOC DINH (N) et al, Droit international public, Paris, LGDJ, 1994, p. 316.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo