L'ONU et la démocratie( Télécharger le fichier original )par Salwa HAMROUNI Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis - D.E.A. de droit public et financier 1996 |
L'ORGANISATION DES NATIONS UNIES et LA DÉMOCRATIE Mémoire présenté et soutenu en vue de
l'obtention Par Salwa HAMROUNI Sous la Direction du Professeur Slim LAGHMANI "Nul n'est plus esclave que celui qui se croit libre sans l'être" Johann Wolfgang Goethe LISTE DES ABRÉVIATIONS A.C.P. Pays de l'Afrique, des Caraibes et du Pacifique A.F.D.I. Annuaire Français de Droit International A.G Assemblée Générale de l'Organisation des Nations Unies A.I.D.I. Annuaire de l'Institut de Droit International A.J.I.L. American Journal of International Law A.PR.O.N.U.C. Autorité Provisoire des Nations Unies au Cambodge C.E. Conseil de l'Europe C.E.E. Communauté Économique Européenne C.I.J. Cour Internationale de Justice C.N.S. Conseil National Suprême C.P.J I Cour Permanente de Justice Internationale C.S Conseil de Sécurité de l'Organisation des Nations Unies C.S.C.E Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe D.U.D.H. Déclaration Universelle des Droits de l'Homme F.U.N.C.I.N.P.E.C.Front Uni, National pour un Cambodge
Indépendant, M.I.CIV.I.H Mission Civile Internationale en Haïti M.I.N.U.H A. Mission des Nations Unies en Haïti M.O.N.U.A.S. Mission d'Observation des Nations Unies en Afrique du Sud M.P.L.A. Mouvement pour la Libération de l'Angola O.E.A. Organisation des États Américains O.N.U. Organisation des Nations Unies O.N.U.MOZ. Opération des Nations Unies au Mozambique O.N.U.V.E.H Groupe d'Observation des Nations Unies pour la vérification des Élections en Haïti O.N.U.V.E.N Mission d'observation des Nations Unies Chargée de la vérification du processus Électoral au Nicaragua O.S.C.E. Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe O.U.A. Organisation de l'Unité Africaine P.K.D Parti du Kampuchéa Démocratique P.N.U.D Programme des Nations Unies pour le Développement P.P.C. Parti du Peuple Cambodgien R.C.A.D.I. Recueil des Cours de l'Académie de Droit International RE.NA.MO. Résistencia National Moçambicana R.G.D.I.P Revue Générale de Droit International Public R.T.D Revue Tunisienne de Droit R.U.D.H. Revue Universelle des Droits de l'Homme S.G. Secrétaire Général de l'Organisation des Nations Unies U.N.A.V.E.M. Mission de vérification des Nations Unies en Angola U.N.I.T.A. Union Nationale pour l'Indépendance Totale de l'Angola SOMMAIRE CHAPITRE PREMIER : L'ACTION DE L'O.N.U. POUR ÉTABLIR LA DÉMOCRATIE 16 SECTION PREMIÈRE : L'ACTION NORMATIVE : LA PROMOTION DU PRINCIPE D'ÉLECTIONS PÉRIODIQUES ET HONNÊTES 18 Paragraphe Premier : L'obligatoriété incertaine du principe d'élections périodiques et honnêtes 19 Paragraphe Deuxième : La portée ambivalente du principe d'élections périodiques et honnêtes 31 SECTION DEUXIÈME : L'ACTION OPÉRATIONNELLE : L'ASSISTANCE ÉLECTORALE 41 Paragraphe Premier : Des opérations croissantes en matière d'assistance technique 43 Paragraphe Deuxième : L'observation et la vérification des élections : un contrôle de la démocratisation 48 Paragraphe Troisième : L'organisation et la conduite des élections au Cambodge : une véritable prise en charge de la démocratisation 61 CHAPITRE DEUXIÈME : L'ACTION DE L'O.N.0 POUR RÉTABLIR LA DÉMOCRATIE 69 SECTION PREMIÈRE : UN FONDEMENT PROBLÉMATIQUE : AUTONOMIE CONSTITUTIONNELLE ET LÉGITIMITÉ DÉMOCRATIQUE 71 Premier Paragraphe : L'autonomie constitutionnelle : Un principe bien ancré en Droit International 71 Paragraphe Deuxième : La légitimité démocratique : Une nouvelle revendication de l'O.N.U. 79 SECTION DEUXIÈME : LA LÉGITIMITÉ DÉMOCRATIQUE CIRCONSCRITE PAR LA LÉGALITÉ INTERNATIONALE 95 Paragraphe Premier : Les fondements de l'action de l'O.N.U. en vue de rétablir la démocratie en Haïti 96 Paragraphe Deuxième : L'action de l'O.N.U. en vue de rétablir la démocratie en Haïti 101 CONCLUSION 116 BIBLIOGRAPHIE 118 TABLE DES MATIÈRES 128
"Tout ce qui ce passe n'est que symbole"1, symbole de la fin de l'histoire pour les uns, symbole de l'accélération de celle-ci pour les autres. En 1989, alors que la révolution française fête son bicentenaire, le mur de Berlin s'écroule. Depuis, ou même avant, de profondes mutations ont bouleversé l'ordre politique international et ont été à l'origine d'un grand débat concernant "Les nouveaux aspects du droit international"2. Entamer une recherche sur l'Organisation des Nations Unies et la démocratie aurait été insensé une dizaine d'années avant. Cela s'explique par le fait que depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, l'hétérogénéité de la société internationale et la diversité des structures étatiques ont été à l'origine d'un ordre juridique basé sur la liberté qu'a chaque État de choisir son système politique, économique, social et culturel. Le respect de ce principe conditionnait alors la coexistence pacifique entre les États. Aujourd'hui, après la chute du mur de Berlin et après la dislocation du bloc de l'Est, le monde communiste s'effondre et la bipolarisation prend fin. C'est dans ce contexte qu'apparaît ou plutôt réapparaît la démocratie libérale comme une idéologie des États vainqueurs. Comme tous les termes que nous utilisons souvent, la démocratie n'est pas un concept univoque. Le mot démocratie est même frappé d'un "excès de signification"3 et "d'une surcharge sémantique"4. Ainsi, pour Georges Burdeau, la démocratie "n'est pas seulement une formule d'organisation politique ou une modalité d'aménagement de rapports sociaux, elle est une valeur"5. Les différentes, voir les contradictoires conceptions de la démocratie, proviennent en fait du contenu que l'on donne à cette valeur. 1 Johann Wolfgang GOETHE. 2 Titre d'un ouvrage collectif, BEN ACHOUR (R) et LAGHMANI (S), dir., Paris, Pedone, 1994. 3 BURDEAU (G), Démocratie, in. Encyclopedia Universalis, corpus 5, Paris, 1988, p. 1081. 4 Ibid. loc. cit. 5 Ibid. loc. cit. En effet, pour les marxistes, la démocratie n'est que "l'affirmation du primat de l'égalité réelle dont la liberté n'est qu'un corollaire"6 étant donné que "si la liberté appartient peut être à tous, il n'est en tout cas pas donné à chacun de pouvoir en user, ce qui importe alors c'est d'établir l'égalité dans la possibilité de cet usage, c'est-à-dire d'introduire dans la société une justice qui empêchera la liberté d'être le privilège de quelques uns"7 . De cette manière la démocratie n'est qu'un moyen pour réaliser l'égalité et la justice. Pour les libéraux par contre, la démocratie est le moyen garantissant les libertés aussi bien individuelles que collectives. "Il apparaît ainsi que la démocratie est d'abord un système de gouvernement qui tend à inclure la liberté dans les relations de commandement à obéissances inséparables de toute société politiquement organisée. L'autorité y subsiste sans doute, mais elle est aménagée de telle sorte que, fondée sur l'adhésion de ceux qui lui sont soumis, elle demeure compatible avec leur liberté"8. Cette conception, héritée du siècle des lumières, met l'accent surtout sur les droits civils et politiques de l'individu. Ces droits étant exercés "par l'élection bien sûr, mais aussi par la jouissance des prérogatives qui garantissent la liberté de ses choix liberté d'opinions, liberté de la presse, liberté d'association, liberté de réunion, etc...."9. Nous le constatons donc, la démocratie libérale est intimement liée à l'idéologie des droits de la personne. Le respect de ces droits est d'ailleurs un étalon de mesure de toute démocratie. Le modèle démocratique libéral relève d'une philosophie basée sur le respect de l'État de Droit non seulement au sens formel de cette expression qui veut que l'État respecte la légalité mais aussi au sens substantiel qui veut que l'État garantisse les droits fondamentaux, les libertés publiques, le pluralisme politique, les élections libres et honnêtes etc....10. La conception libérale de la démocratie qui n'était qu'une alternative, tend aujourd'hui à s'imposer comme une conception universelle bénéficiant de l'adhésion de la communauté internationale. 6 DEBBASCH (Ch), DAUDET (Y), Lexique de la politique, Paris, Dalloz, 1992, p. 143. 7 BURDEAU (G), art. cit. P. 1082. 8 Ibid., p. 1081. 9 Ibid., p. 1082. 10 Cf CHEVALLIER (J), l'Etat de Droit, Paris, Montchrestien, 1992. La démocratie est une valeur qui appartient au vocabulaire politique et idéologique certes, seulement, au niveau régional, cette valeur a pu être élevée au rang des normes juridiques. Ainsi, la démocratie libérale se trouve consacrée par différents instruments juridiques de portée régionale. Concernant le continent américain, la charte constitutive de l'Organisation des États Américains adoptée à Bogota le 30 avril 1948 a prévu, dans son article 5, que la solidarité des États américains exige que leur organisation politique soit basée sur l'exercice effectif de la démocratie représentative. Cette option pour la démocratie représentative a été réitérée lors de l'amendement de la Charte de l'O.É.A. par le protocole de Buenos Aires du 27 février 1967 qui stipule dans son article 3 que "les États américains réaffirment les principes suivants... - d - La solidarité des États américains et les buts élevés qu'ils poursuivent exige de ces États une organisation politique basée sur le fonctionnement effectif de la démocratie représentative". L'affirmation de la démocratie par les instruments juridiques obligatoires pour les États qui y adhèrent ne s'est pas limitée à la Charte de l'O.E.A. La convention américaine des Droits de l'Homme adoptée le 22 novembre 1969 à Saint José et entrée en vigueur le 18 juillet 1978 a prévu dans son préambule que les États américains réaffirment "leur propos de consolider sur ce continent dans le cadre des institutions démocratiques un régime de liberté individuelle et de justice sociale, fondé sur le respect des droits fondamentaux de l'Homme"11. Considérés comme une base fondamentale de la démocratie, les droits politiques de l'individu ont figuré dans l'article 23 de cette convention qui prévoit que "-1- Tous les citoyens doivent jouir des droits et facultés ci-après énumérés a - De participer à la direction des affaires publiques, directement ou par l'intermédiaire de représentants librement élus. b - D'élire et d'être élus dans le cadre de consultations périodiques authentiques, tenues au suffrage universel égal, et par scrutin secret garantissant la libre expression de la volonté des électeurs 11 voir R.U.D.H., 1992, p. 209. 12 Voir R.U.D.H., 1992, p. 209. La lecture de ces différents textes juridiques nous permet de confirmer l'existence de la démocratie comme une norme obligatoire du droit international américain. Il n'est donc pas étrange que les États Unis d'Amérique aient, depuis longtemps, mené une politique étrangère favorable à la démocratie. C'est dans ce cadre que s'insère la résolution du 18 novembre 1989 adoptée par l'Assemblée Générale de l'O.E.A. soulignant "la décision des États membres de soutenir et de renforcer les systèmes réellement démocratiques et participatifs par le respect total pour tous les droits de l'Homme, particulièrement par la tenue de processus électoraux honnêtes et par lesquels la volonté du peuple s'exprime librement et est respectée en ce qui concerne l'élection des responsables, sans interférence extérieure"13. C'est aussi dans ce cadre que s'insère l'intervention de l'O.E.A. en Haïti lors du coup d'État survenu en 1991. Pour ce qui est de l'Europe, la référence à la démocratie libérale comme une norme juridique s'est répétée dans plusieurs documents de portée régionale. L'Europe a trois dimensions différentes : l'Europe politique fondée sur le Conseil de l'Europe, l'Europe essentiellement économique fondée sur l'Union européenne et l'Europe culturelle fondée sur l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Le statut du conseil de l'Europe fondé en 1949 prévoit dans son préambule que les États Membres sont "inébranlablement attachés aux valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun de leurs peuples et qui sont à l'origine des principes de liberté individuelle, de liberté politique et prééminence du Droit sur lesquels se fonde toute démocratie véritable". L'article 3 de ce statut met à la charge des États Membres la reconnaissance de ces principes. Leur violation par un État peut provoquer son retrait ou sa suspension du Conseil. Cette hypothèse s'est vérifiée dans le cas de la Grèce : en 1967, la légalité constitutionnelle et la démocratie parlementaire ont été supprimées par les colonels. Sur la base d'une interprétation de l'article 3 du statut, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a recommandé la suspension ou l'exclusion de cet État du 13 BEIGBEDER (Y), Le Contrôle international des élections, Bruxelles, Bruylant, Paris, L.G.D.J., 1994, p. 93. Conseil. La Grèce s'est alors retirée en 1969 et ce n'est qu'en 1974, jugée alors démocratique, qu'elle a été invitée à rejoindre le Conseil de nouveau14. Le Conseil de l'Europe qui traduisait au départ une homogénéité idéologique entre les États de l'Europe Occidentale est aujourd'hui ouvert à la candidature des États de l'Europe de l'Est. Cette candidature est conditionnée par la garantie des droits de la personne, par le respect de l'État de Droit et par l'instauration d'un véritable régime démocratique et parlementaire. L'Europe qui a été divisée en blocs pendant plusieurs années semble aujourd'hui retrouver une identité culturelle camouflée par un conflit idéologique depuis 1917. Dans le traité de l'Union européenne signé à Maastricht le 7 février 1992, les chefs d'État et de gouvernement des douze États membres de la communauté européenne ont réaffirmé "leur attachement aux principes de la liberté, de la démocratie et du respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et de l'État de Droit"15. L'article F du traité prévoit que " -1- L'Union respecte l'identité nationale de ses États membres, dont les systèmes de gouvernements sont fondés sur les principes démocratiques". L'engagement de l'Union pour la démocratie a été réitéré dans l'article J -1- qui prévoit que "Le développement et le renforcement de la démocratie et de l'État de droit, ainsi que le respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales" comme l'un des objectifs de la politique étrangère et sécurité commune des États de l'Union. Ces États ont même fait de la démocratie une condition de leur coopération économique avec d'autres États. L'Accord euro-méditerranéen établissant une association entre les communautés européennes et leurs États membres d'une part et la République tunisienne d'autre part, est significatif à cet égard. Conclu à Bruxelles le 31 mai 1995, l'accord "permettra de renforcer les liens existant entre les communautés européennes et leurs États membres d'une part, et la Tunisie, d'autre part, en instaurant des relations fondées sur la réciprocité et le partenariat. Le respect des principes 14 BEIGBEDER (Y), op. cit., pp. 99 - 100 15 Voir le texte du traité in. Conseil des communautés européennes, traité sur l'Union Européenne C.E.C.A. - C.E.E. - C.E.E.A. , Bruxelles , Luxembourg 1992 , pp. 3 - 253 . démocratiques et des droits de l'Homme constitueront, dans ce contexte, un élément essentiel"16. Bien que de nature essentiellement économique, l'accord cité n'a pas été indifférent au volet politique. En effet, l'article 2 de l'accord stipule "Les relations entre les parties, de même que toutes les dispositions du présent accord se fondent sur le respect des principes démocratiques et des droits de l'Homme qui inspirent leurs politiques internes et internationales et qui constituent un élément essentiel de l'accord". Cet article traduit parfaitement la politique européenne qui fait de l'adoption d'un régime démocratique une condition pour accorder son aide économique. Dans le même ordre d'idées nous pouvons signaler l'accord conclu à l'Île Maurice les 3 et 4 novembre 1995 modifiant la quatrième convention de Lomé entrée en vigueur en 1990. A cet égard, il importe de noter que la première convention de Lomé a été signée le 28 janvier 1975 entre la communauté économique européenne et les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. L'Accord de 1995 a donné un élan politique à l'aide entre l'Union européenne et les A.C.P. en conditionnant la coopération entre les deux parties par le respect des droits de la personne humaine et de la démocratie17. "De ce point de vue, l'accord de Maurice représente certainement un moment majeur dans l'histoire des relations Nord-Sud puisque les pays A. C.P. ont accepté que ces conditions soient inscrites non plus uniquement dans la politique, mais aussi de manière formelle dans les textes"18. L'Union européenne a adopté et promu le régime démocratique non seulement dans ses textes fondateurs mais également dans ses rapports avec ses partenaires. Cet engagement pour la démocratie peut, en outre,
être déduit de la 16 Commission des Communautés Européennes, Proposition de décision du Conseil et de la commission relative à la conclusion de l'Accord euro - méditerranéen en établissant une association entre les communautés européennes et leurs Etats membres d'une part et la République tunisienne d'autre part, Bruxelles 31 mai 1995. 17 Voir "Les A.C.P., demain peut - être", Jeune - Afrique du 16 / 22 novembre 1995, N° 1819,p. 50 18 Ibid., loc. cit. Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. En effet, la déclaration sur les principes régissant les relations mutuelles des États participants, adoptée par la C.S.C.E. à Helsinki le ler août 1975 stipule dans la rubrique relative à l'égalité souveraine et au respect des droits inhérents à la souveraineté que les États participants respectent "le droit de chacun d'eux de choisir et de développer librement son système politique, social, économique et culturel ainsi que celui de déterminer ses lois et ses règlements"19. Cette déclaration située dans le cadre de la coexistence pacifique entre les États Occidentaux et les pays de l'Est n'a pas opté pour la démocratie comme le seul régime politique valable pour tous les États. D'ailleurs, la diversité des régimes politiques a été considérée comme une condition sine-qua-non de cette coexistence et des relations amicales entre les États. Ce n'est qu'en 1990 que la C.S.C.E. opte clairement et explicitement pour le régime démocratique libéral. En effet, dans la Charte de Paris pour une nouvelle Europe adoptée le 21 novembre 1990 dans le cadre de la C.S.C.E., les États européens déclarent : "il nous appartient aujourd'hui de réaliser les espérances et les attentes que nos peuples ont nourri pendant des décennies : un engagement indéfectible en faveur de la démocratie fondée sur les droits de l'Homme et les libertés fondamentales ..."20. Traitant des relations amicales entre eux, les États partis à la Charte affirment : "Nos relations reposeront sur notre adhésion commune aux valeurs démocratiques, aux droits de l'Homme et aux libertés fondamentales. Nous sommes convaincus que les progrès de la démocratie, ainsi que le respect de l'exercice effectif des droits de l'Homme sont indispensables au renforcement de la paix et de la sécurité entre nos États". La Charte de Paris pour une nouvelle Europe a même consacré un paragraphe relatif aux droits de l'Homme, à la démocratie et à l'État de Droit dans lequel les États participants s'engagent "à édifier, consolider et raffermir la démocratie comme seul système de gouvernement" de leur nation. Ils considèrent que "le gouvernement démocratique repose sur la volonté du peuple, exprimée à intervalles réguliers_par des élections libres 19 Voir THIERRY (H), Droit et relations internationales traités, résolutions, Jurisprudences, Paris, Montchrestien, 1984, p. 525. 20 Voir le texte de la Charte, in., R.U.D.H., 1990, pp. 490 - 495. et loyales", que "la démocratie est fondée sur le respect de la personne humaine et l'État de Droit", qu' "elle est le meilleur garant de la liberté d'expression, de la tolérance envers tous les peuples", que "la démocratie de part son caractère représentatif et pluraliste, implique la responsabilité envers l'électorat, l'obligation pour les pouvoirs publics de se conformer à la loi...". Ces extraits, ainsi que tant d'autres qui se réfèrent à la démocratie, témoignent d'un acharnement pour voir le modèle démocratique libéral adopté et consolidé dans tous les États européens. Au sommet de la C.S.C.E. qui a réuni à Budapest les Chefs d'États et gouvernements des États participants, le 6 décembre 1994, un volet politique a été apporté à la C.S.C.E. Le communiqué final de ce sommet a prévu que la C.S.C.E. s'appellera désormais l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (O.S.C.E.) et que "les valeurs démocratiques de la C.S.C.E. sont fondamentales" pour la réalisation des objectifs des États participants. Le point 14 du communiqué final dispose que "le respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, de la démocratie et de l'État de Droit représente une composante essentielle dans la région de la C.S.C.E en matière de sécurité et de coopération"21. Bref, l'Europe réunie politiquement, économiquement et culturellement a démontré sa persévérance en faveur de la démocratie libérale ce qui nous autorise à affirmer l'existence de la démocratie non seulement comme étant une valeur politique mais aussi comme une norme juridique faisant partie du droit international européen. Toujours concernant le droit international régional, le Commonwealth, bien qu'il n'impose aucune obligation statutaire à ses membres, s'est engagé en faveur de la démocratie représentative. Déjà, en 1971, les chefs des gouvernements du Commonwealth avaient adopté une déclaration des principes du Commonwealth parmi lesquels figuraient les principes démocratiques. Ces États ont déclaré leur attachement à "la liberté individuelle, aux droits égaux de tous les citoyens... et leur droit inaliénable de participer par des voies libres et démocratiques à l'organisation de la société où ils vivent"22. Par conséquent, ces États se 21 Documents d'actualité internationale, 1995, N° 2, pp. 52 - 53. 22 Cité par BEIGBEDER (Y), op. cit. p. 120 sont engagés à s'efforcer de "promouvoir les institutions représentatives et les garanties de libertés personnelles"23. Dans la déclaration de Harare d'octobre 1991 "les chefs de gouvernement du Commonwealth s'engagèrent, avec une "vigueur renouvelée" à protéger et promouvoir les valeurs politiques fondamentales de l'Organisation, dont la démocratie, les processus et institutions démocratiques"24. La réaction du Commonwealth suite à la pendaison de militants pour les droits de la communauté Ogonie au Nigeria a été l'occasion de démontrer le caractère indéniable de l'engagement de cette Organisation pour la démocratie. En effet, le 11 novembre 1995, un jour après la pendaison de ces neuf militants, 51 Chefs d'États se sont réunis au sommet de Commonwealth en Auckland décidant ainsi de suspendre le Nigeria, "un fait sans précédent dans l'histoire de leur Organisation"25. Les participants au sommet ont décidé que cette mesure restera applicable tant que le Général Sani Abacha n'a pas opéré un retour vers la démocratie26. Les réactions à cette pendaison faite hors de la légalité et contre les droits de l'Homme et les principes démocratiques se sont multipliées. Les États Unis d'Amérique ont décidé un embargo sur les armes, ils ont indiqué, en plus que l'ambassadeur américain aux Nations Unies étudierait la possibilité de prise de sanctions dans le cadre de l'O.N.U. Pour sa part, l'Union européenne a condamnée ces exécutions et a suspendu sa coopération économique27. En définitive, nous pouvons dire que l'Europe, l'Amérique et les pays Anglo-Saxons se sont déterminés à condamner et même à sanctionner les pratiques des États contraires à la démocratie. Pour le reste, nous remarquons l'absence des pays de l'Afrique
et de l'Asie 23 Ibid. loc. cit. 24 BEIGBEDER (Y), op. cit., p. 121. 25 Le Monde 12 - 13 novembre 1995, p. 2. 26 Ibid. loc. cit 27 Le Monde 12 13 novembre 1995, p. 2, Jeune - Afrique du 16 / 22 novembre 1995, N° 1819, p. 6. recommandé l'expulsion du Nigeria du Commonwealth jusqu'à la mise en place d'un gouvernement démocratique28, du Président malien Oumar Konaré "qui a dénoncé un attentat contre la démocratie"29. De même le Président Zimbabwéen Robert Magabe a proposé l'exclusion du Nigeria du Commonwealth avant même la pendaison des opposants. Le silence des autres États du continent a été expliqué par l'idée que "peu de Chefs d'États Africains sont aujourd'hui prêts à réclamer la mise au banc de la communauté internationale ou des sanctions économiques contre un État pour non respect des droits de l'Homme ou comportement antidémocratique. Ce serait un redoutable précédent pour tous, ou peu s'en faut"30 . L'O.U.A., quant à elle, s'est contentée d'une déclaration de cet échec pour l'Afrique31. Dans ce contexte, nous devons rappeler que la Charte de l'O.U.A. signée à Adis Abéba le 25 mai 1963 n'a fait aucune mention relative à la démocratie. Au contraire, l'article 3 de cette Charte a fait de l'égalité souveraine des États Membres, du respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de chaque État, des principes de l'Organisation. De même, le Pacte de la Ligue des États Arabes, adopté le 22 mars 1945 et entré en vigueur le 10 mai 1945, a exigé le respect de la souveraineté et de l'indépendance des États Membres. "Par ailleurs, le respect du régime de gouvernement établi est considéré comme un principe de base "32. La démocratie libérale a été consacrée par plusieurs textes juridiques de portée régionale. Qu'en est-il alors pour le droit international général ? La réponse peut paraître simple. Ce droit est fondé sur le principe de la souveraineté des États. Une souveraineté qui leur garantit la liberté de choisir leur système politique, économique, social et culturel et qui les protège contre toute hégémonie. Parler alors d'un modèle démocratique universel et imposé par ce droit ne serait qu'une aberration. Cependant, cette "pierre d'angle" résiste-t-elle encore au temps ? Michel Virally a 28 Le monde 12 - 13 novembre 1995, p. 2. 29 Jeune - Afrique du 16 / 22 novembre
1995, N° 1819, p. 7. 31 Ibid. p. 6. 32 BEN ACHOUR (R), Institutions internationales, Tunis, E.N.A. 1995, p. 168. répondu par l'affirmative. Mais, déjà en 1977, il nous fournit quelques éléments qui nous permettent de nuancer la réponse : "S 'agit-il toujours de la même souveraineté ? L'identité du mot garantit-elle l'identité de l'idée ou dissimule-t-elle au contraire, un glissement de la pensée?"34. En réalité, nous pouvons affirmer que malgré le fait que le droit international reste encore bâti sur le principe de la souveraineté, il n'en reste pas moins que nous assistons à ce glissement de la pensée relative à la souveraineté. Ce constat est confirmé par la pratique récente de l'Organisation des Nations Unies. Une pratique qui s'avère favorable à la démocratie libérale. En vérité, traiter toutes les dimensions du rapport de l'O.N.U. à la démocratie nous aurait amené à vérifier, d'abord, si l'O.N.U. fonctionne selon les règles de la démocratie. De plus, notre étude pourrait embrasser tout le système de l'O.N.U. c'est-à-dire aussi bien l'Organisation en elle- même que ses institutions spécialisées. Une telle étude aurait dépassé sans doute le cadre de notre recherche. De surcroît, donner une telle dimension à notre recherche n'aurait peut-être pas été utile. En effet, s'agissant de la démocratie dans l'O.N.U., force est de constater que la Charte de l'O.N.U. reconnaît à un organe politique restreint, qu'est le Conseil de Sécurité, un énorme pouvoir de prendre des décisions qui obligent tous les États Membres, alors que les résolutions adoptées par l'Assemblée Générale qui représente tous les États, ne sont que des recommandations dont la violation n'entraîne aucune sanction immédiate. De plus, nul ne conteste aujourd'hui l'idée que la technique de la représentation permanente aussi bien que celle du veto sont loin de consacrer un fonctionnement démocratique de l'O.N.U. M. Monique Chemillier-Gendreau a pu critiquer cet état des choses en se posant la question "imagine-t-on les vainqueurs d'un match qui en tireraient à la vie le titre d'arbitre et le garderaient sans nulle remise en cause alors même que le nombre de joueurs, leurs identités et les conditions du jeu auraient 33 "Une pierre d'angle qui résiste au temps . avatars et pérennité de l'idée de souveraineté", in. Les relations internationales dans un monde en mutation, I.U.H.E.L Leyde, Sijhoff, Genève, 1979, pp. 179-195. 34 VIRALLY (M), "Une pierre d'angle...", art. cit., p. 180. changé ? C'est pourtant la position que se sont donnés en 1945 les vainqueurs de la deuxième guerre"35. Ces critiques qui visent le mode de fonctionnement interne de l'O.N.U. ne constituent pas une innovation. Plusieurs études ont été consacrées à la question36. C'est pourquoi nous jugeons inopportun d'aborder la démocratie de ce point de vue. Nous nous limiterons donc à l'étude de l'attitude de l'O.N.U. vis-à-vis de la démocratie dans les États. Cela étant souligné, nous dirons que l'O.N.U., prenant un nouvel élan après la fin de la bipolarisation, a adopté un discours politique favorable à la démocratie dans les États. Ce discours reflète les rapports de force régnant dans la société internationale, soit, mais l'O.N.U. est-elle habilitée à établir ou à rétablir la démocratie dans un État Membre ? C'est à cette question que nous proposons d'apporter quelques éléments de réponse. Cependant, avant d'engager une réflexion à propos de cette problématique, il nous paraît primordial de préciser que la démocratie, objet de cette recherche est conçue au sens strictement politique du terme. Autrement dit nous aborderons cette démocratie comme un système de gouvernement qui détermine la nature de l'État37. L'action de l'O.N.U. en faveur de la démocratie dans les États s'est presque fondée sur le sens originaire de cette valeur conçue comme "le gouvernement du peuple par le peuple, pour le peuple". Cette action, que nous nous proposons d'étudier, tourne autour d'une idée fondamentale; les peuples jouissent d'une libre volonté de choisir leurs gouvernants. 35 "Un demi siècle des Nations Unies", in. Spécial 50ème anniversaire des Nations Unies, Centre d'information des Nations Unies et association française des Nations Unies, p. 30. 36 Cf par exemple BEN ACHOUR (R), Évolution des modes de prise de décision dans les organisations et les conférences internationales, Tunis, C.N.U.D.S.T., 1986. 37 Dans ce sens nous pouvons citer M. Ah Eddine Hilal qui considère que : L'O.N.U. a jugé que cette volonté ne peut s'exprimer que par le moyen d'élections libres, périodiques et honnêtes. Un moyen qui a été élevé au rang des principes que l'Organisation doit renforcer en exhortant les États à le respecter mais aussi en apportant à ces États une assistance électorale. Cette attitude appelle certaines remarques : primo, la matière électorale est une matière qui concerne strictement le droit interne. L'O.N.U. ne peut donc obliger les États à tenir des élections libres, périodiques et honnêtes sans porter atteinte à leur souveraineté et à la liberté qu'ils ont de choisir leur système politique. Secundo, l'assistance électorale apportée par l'O.N.U. à ces États est une pratique qui ne trouve aucun fondement dans la Charte de l'Organisation ce qui fait que "nous sommes ici en présence d'une institution créée par la pratique internationale et les besoins de la société internationale, c'est-à-dire que le fait précède le droit"38. En plus, l'assistance électorale a posé le problème de ses effets juridiques. En effet, pour certains, les rapports des observateurs internationaux des élections servent à renforcer ou affaiblir la légitimité des gouvernements au regard de la communauté des États et n'ont donc aucun effet juridique. Au contraire, pour d'autres, la validité de ces élections dépendrait des rapports favorables de ces observateurs39. Apporter une réponse catégorique à ces questions ne serait qu'une prétention. Toutefois, nous pouvons affirmer qu'en exhortant les États à organiser des élections libres, périodiques et honnêtes, l'O.N.U. se limite à promouvoir ce mode de choix des gouvernants sans avoir aucun pouvoir de sanction. Pour ce qui est de l'assistance électorale apportée aux États, bien que non prévue par la Charte, elle a constitué une réponse aux demandes de certains États, elle est donc en harmonie avec leur souveraineté et avec la logique de l'accord. Se basant toujours sur la liberté qu'a un peuple de
choisir ses gouvernants, 38 DE RAULIN (A) "L'action des observateurs internationaux dans le cadre de l'O.N.U. et de la société internationale", R.G.D.I.P., 1993 / 3, p. 569. 39 Cf ibid., pp. 570 - 571. l'Organisation mondiale a concrètement et fermement agi pour rétablir ces gouvernements bénéficiant d'une légitimité démocratique. En définitive, si l'O.N.U. a gardé un profil relativement bas dans son soutien à l'établissement de la démocratie, elle a complètement changé d'attitude lorsque, une fois établie, cette démocratie s'est trouvée anéantie par un coup de force d'où nos deux chapitres successifs Chapitre premier. L'action de l'O.N.U. pour établir la démocratie Chapitre deuxième. L'action de l'O.N.U. pour rétablir la démocratie CHAPITRE PREMIER |
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