Section III : l'IER et les abus du
présent :
L'IER elle-même fruit des progrès
enregistrés par le Maroc en matière de droits humains, a
été installée à un moment ou ces acquis
étaient sapés par des abus de la part des autorités, ce
qui nous a rappelé d'une certaine manière les violations graves
du passé qui sont au coeur du mandat de l'IER.
La fragilité des acquis au plan des droits humains au
Maroc est apparue avec la réponse de l'Etat aux premières
attaques terroristes de masse qui se sont produits la nuit du 16 mai 2003.
Moins d'une semaine après le parlement a adopté à
l'unanimité la loi anti-terroriste (loi 03-03) qui avait suscité
une levée des boucliers des associations de défense des droits
humains. Cette loi a introduit une définition très large du
terrorisme, sur laquelle le gouvernement s'est appuyé pour condamner des
certaines de membres présumés de cellules terroristes, ainsi que
plusieurs journalistes accusés de faire l'apologie de la terreur.
Plusieurs organisations de droits de l'Homme ont montré
que les droits des présumés islamistes, détenus dans les
semaines qui ont suivi les attentats avaient largement été
bafoués. La plupart ont été maintenus au secret pendant
des semaines et ont été soumis par des policiers, à
différentes formes de mauvais traitements, voire à des actes de
torture afin de leur soutirer des aveux.
Les tribunaux leur ont refusé le droit à un
procès équitable, refusant d'entendre les témoins de la
défense et d'ordonner des expertises médicales à ceux qui
affirmaient avoir été torturés.
Le 11 juillet 2003 un tribunal a condamné Mustapha
Alaoui, directeur de publication de « Al-Ousbou » à
un an de prison avec sursis et à la suspension de sa publication pour
trois mois, pour « apologie d'actes terroristes par voie de
publication ».le 4 août 2003 le rédacteur et
rédacteur en chef de l'hebdomadaire Ash-Sharq et le rédacteur de
l'hebdomadaire Al-Hayat Al maghribiyya sont condamnés à des
peines de un à trois ans de prison pour « incitation à
la violence ».
La traque des présumés islamistes a
constitué une détérioration alarmante des conditions des
droits des personnes. Cependant, ce n'est pas le seul domaine ou continuent de
s'exercer les violations au Maroc et ou les autorités
instrumentalisent les tribunaux à des fins politiques.
Liberté de rassemblement, d'association et d'expression
sont tolérées jusqu'un certain point. Les manifestations
pacifiques et les sit-in de protestation sont monnaie courante à Rabat
mais peuvent être parfois interdits par le ministère de
l'intérieur et violemment dispersés par la police.
Ainsi par exemple le 28 janvier 2004, la police a
dispersé une manifestation de protestation contre la signature de
l'accord de libre-échange avec les Etats-Unis.
Ali Lmrabet a passé sept mois de prison en 2003. En
avril 2005, seize mois après que le roi l'a gracié, Lmrabet est
condamné pour diffamation et interdit d'exercer sa profession de
journaliste pendant 10 ans.
Dans les provinces sahariennes, les autorités ont
fermé la section locale du forum vérité et justice en
2003. Alors que l'AMDH n'a obtenu la reconnaissance officielle de sa section
locale de laàyoune qu'en 2005.
En mai 2005, des manifestations à laàyoune ont
dégénéré en affrontements avec les forces de police
dans plusieurs villes. Les ONG de défense des droits de l'Homme ont
accusé la police de torture et de mauvais traitements à
l'égard de ceux qui ont été arrêtés dans le
cadre de ces manifestations. Au cours d'un autre incident en 2003, dans la
ville côtière de Safi, des policiers ont torturé dans
l'exercice de leurs fonctions un militant des droits humains Mohamed Chrii de
l'AMDH.
Benyam Mohamed le ressortissant anglais
soupçonné d'appartenir à Al-Qaida a été
torturé pendant 18 mois dans un centre secret de détention
à Témara (c'est-à-dire à 8 km seulement de la
capitale où siège l'IER).
Plus récemment Hassan Zoubairi est mort sous la torture
dans l'affaire du vol des ustensiles du palais royal.
De manière générale, toutes ces
violations actuelles critiquées par de nombreuses organisations de
droits humains ainsi que par le comité des droits de l'Homme de l'ONU,
montrent que les forces de sécurité continuent d'agir dans un
climat d'impunité et de mépris de la loi et que l'exécutif
continue d'exercer une influence sur les tribunaux.
A vrai dire il est injuste d'attendre de l'IER qu'elle
enquête ou fasse des déclarations sur les pratiques
récentes, puisque son mandat couvre les abus commis de 1956 à
1999.
Par ailleurs, une autre institution étatique a la
responsabilité d'examiner les abus du présent, c'est le CCDH qui
selon le dahir du 10 avril 2001 doit « examiner de sa propre
initiative ou sur requête de la partie concernée, les cas de
violations des droits de l'Homme qui lui sont soumis et faire les
recommandations qui s'imposent à l'autorité
compétente » (7).
(7) Dahir 1-00-350 du 10 avril 2001 portant promulgation du
CCDH .article 2
http://www.ccdh.org.ma/fr article .php? Id article=82.
Cependant si la responsabilité de
l'évaluation des abus actuels et de la réponse à y
apporter revient au CCDH, les statuts de l'IER établissent un lien
entre l'examen du passé et ses obligations envers le futur, et ce lien
passe inévitablement par le présent, puisqu'il est demandé
à l'IER de « proposer des garanties de non
répétition de ces violations » comme elle doit
« restaurer la confiance dans la primauté de la loi et le
respect des droits de l'Homme ».
En fait les recommandations de l'IER pour éviter un
retour au passé auraient été plus contraignantes si l'IER
a préconisé dans son rapport final et ses déclarations
publiques que les pratiques « passées » semblent
persister actuellement, et que les structures qui les ont rendues possibles
sont apparemment toujours en place.
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