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L'instance équité et réconciliation et la problématique des droits de l'Homme au Maroc

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par Mohamed ASWAB
Hassan II Faculté des sciences juridiques économiques et sociales de Casablanca - Licence en droit public 2006
  

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Chapitre II : Evaluation du travail accompli par l'Instance Equité et Réconciliation :

Comme nous l'avons vu au cours du chapitre précédent, l'IER a réalisé un travail considérable en matière de consécration des droits de l'homme au Maroc, son apport a été très positive et dépasse ce qui a était attendu d'elle, en fait l'IER a réussi à jeter la lumière sur les violations passées des droits de l'homme, elle a adopté une approche nouvelle en matière de réparation des préjudices et elle a suggéré des garanties de non répétition qui s'elles auront la chance d'être adoptées et appliquées, un grand pas sera franchi dans le domaine d'édification de l'Etat de droit.

Mais si l'on était ainsi, ça n'empêche que des contraintes ont entravé le travail de l'IER et par la même l'établissement la vérité (sachant que l'IER n'a pas décelé le sort de 66 cas personnes parmi lesquelles les célèbres affaires de Ben Berka et El-manouzi). Et il est évident qu'en absence de ces contraintes l'apport de l'IER aurait été plus satisfaisant aux attentes des familles des victimes.

D'autre part l'IER a confié le suivi des recommandations qu'elle a émises à une commission au sein du conseil consultatif des droits de l'homme et la question qui se pose quelle est l'ampleur de la capacité de cette commission consultative à assurer un suivi efficace des recommandations.

Enfin l'objectif fondamental du travail de l'IER était de garantir la non répétition des violations des droits de l'Homme, mais malheureusement au moment où l'IER exerce son mandat ces violations se sont réapparues et il est permis de douter de l'utilité respective des garanties de non répétition.

Il y aura donc lieu en évaluant le travail accompli par l'IER d'entamer successivement : les contraintes de l'IER (section 1) le problème du suivi des recommandations (section 2) et enfin l'IER et les abus du présent (section 3).

Section I : les contraintes de l'IER :

Malgré le travail considérable accompli par l'IER en matière de règlement des violations graves du passé, des critiques ont regretté les contraintes qui pesaient sur l'IER et qui ont malheureusement entravé l'établissement de la vérité.

En fait l'IER ne pouvait citer publiquement les noms de ceux qui ont été impliqués dans les violations, ensuite son mandat semblait se concentrer sur des formes bien déterminées de violations à savoir la disparition forcée et la détention arbitraire. Les critiques se sont interrogées également sur la manière dont l'IER pouvait obtenir la coopération des différents services de l'Etat en l'absence d'un pouvoir de contrainte en cas de non coopération.

En fait malgré le fait que l'IER a recommandé l'adoption et la mise en oeuvre d'une stratégie nationale intégrée de lutte contre l'impunité, elle n'a pas pu elle-même, mettre fin à l'impunité dont jouissent toujours les responsables des violations graves du passé au Maroc. Le mandat de l'IER précise qu'elle n'est pas une instance judiciaire et ne peut nommer les responsabilités individuelles.

Ce point qui apparaissait déjà dans la recommandation du CCDH que le roi a accepté, a été défendu à maintes occasions par le président de l'IER qui a invoqué le fait que l'interdiction de nommer les responsables ne s'appliquait qu'en ce qui concerne les interventions publiques de l'IER, et que l'instance a noté les noms des présumés responsables, toutefois la partie du rapport contenant ces noms a été rendue au roi et non au public.

Dans cette perspective les membres de l'IER n'ont pas cessé de rappeler que si l'instance ne pouvait révéler les noms des responsables ou les sanctionner, rien n'empêche les marocains de se tourner vers les tribunaux pour obtenir justice.

Mais si cette affirmation est juste dans une acceptation générale, minimise l'absence d'indépendance de la justice marocaine. Bien que la constitution garantisse l'indépendance de la justice par rapport à l'exécutif et au législatif dans son article 82, il est permis de douter de l'impartialité des tribunaux dans les affaires des violations à caractère politique, en particulier quand elle implique des responsables toujours en fonction.

En fait les tribunaux marocains n'ont pas besoin d'attendre que les victimes ou des citoyens portent plainte pour des abus passés, puisque la loi permet au parquet général d'initier des enquêtes criminelles même en l'absence de plainte, mais aucun procureur n'a jamais utilisé cette prérogative d'auto saisine.

En fait parmi les éléments qui expliquent la performance de l'ex-expérience sud africaine, c'est que les responsables impliqués dans les violations étaient introduits devant l'instance et bénéficiaient de l'amnistie en contrepartie d'aider l'instance à parvenir à la vérité.

En revanche le principe d'impunité et l'immunité dont jouissent toujours les responsables des violations passées au Maroc ont privé l'IER de beaucoup d'informations et par la même ont entravé l'établissement de la vérité.

Mais il faut noter tout de même que si l'IER n'a pas pu déterminer les responsabilités individuelles de façon publique, elle a énuméré dans son rapport final les institutions et les appareils de l'Etat responsables des violations.

Autre contrainte qui pesait sur l'instance était constitué par les limites arbitraires. En fait les statuts de l'IER précisent que son mandat se limite à deux types de violations graves à savoir la disparition forcée et la détention arbitraire, sans clarifier ses responsabilités envers les autres types d'abus et leurs victimes. Une victime est définie selon les statuts de l'IER comme « toute personne ayant fait l'objet d'une disparition forcée ou d'une détention arbitraire ». la réparation des préjudices s'entend comme «  l'ensemble des mesures prises au profit de la victime (...) suite à la disparition forcée ou à la détention arbitraire ».

En fait l'IER a essayé d'atténuer cette contrainte en donnant une interprétation plus large aux violations entrant dans son mandat. Désormais le mandat de l'IER englobe les violations graves les violations graves des droits de l'homme qui ont revêtu un caractère systématique et/ou massif, sachant que les attributions de l'IER en matière d'investigations et de détermination de la vérité lui permettent d'établir les catégories, la gravité et le caractère massif et/ou systématique des violations passées des droits de l'homme. (4).

Cette interprétation faite par l'IER lui a permis d'élargir son champ de compétence, en englobant à la fois las cas de personnes décédées lors des événements de contestation ou d'émeutes à caractère social suite aux interventions de maintien de l'ordre et à l'utilisation excessive ou disproportionné de la force publique, et les personnes décédées suite aux mauvais traitements à la torture ou aux conditions de détention en période de garde à vue puisque ces cas de violations ont un caractère systématique et/ou massif.

Cependant, l'IER semble abandonner les réparations pour d'autres types d'exactions dans la mesure ou elles ne revêtent pas le caractère systématique et/ ou massif, c'est le cas par exemple des exécutions sommaires.

En fait on ne comprend pas pourquoi l'éligibilité à la réparation devrait dépendre du caractère systématique ou non de la violation subie par une personne. En matière de réparation, les politiques ne devraient pas discriminer les victimes des exactions perpétrées par l'Etat si ce n'est en terme de la gravité de la violation subie.

Si l'IER s'est estimé statutairement limitée au regard des victimes qu'elle peut indemniser, elle devait néonmoins défendre le droit de toutes les victimes des violations graves de bénéficier d'une égale considération des institutions de l'Etat en termes de réparation.

En plus de l'impunité et les limites, les critiques se sont interrogées sur la manière dont l'IER pouvait obtenir la coopération des différents services de l'Etat en l'absence d'un pouvoir de contrainte en cas de non coopération.

On sait que la plupart des services de sécurité marocains (police, armée, gendarmerie, services secrets) sont impliquées dans les exactions commises entre 1956 et 1999, et la recherche de la vérité assignée à l'IER semblait dépendre de l'accès aux archives et autres documents de ces services et sur les témoignages d'anciens ou d'actuels agents et de leurs supérieures. Mais parce que ces documents et ces témoignages peuvent mettre en cause ces agents, ils ont été réticents à répondre aux demandes de coopération de l'IER.

Au regard du processus de vérité et de réconciliation sud africaine, le Maroc n'a pas offert aux agents de l'Etat la possibilité d'une amnistie en échange de révélations complètes de crimes commis dans l'exercice de leurs fonctions.

Les statuts de l'IER ne la dotent d'aucun pouvoir pour contraindre les agents de l'Etat à coopérer avec elle, à lui fournir des témoignages ou des documents. Au mieux ces statuts enjoignent les institutions de l'Etat d'aider l'IER à accomplir son travail. (5).

Cette absence de pouvoir coercitif contraste avec la loi sur les commissions d'enquêtes parlementaires qui prévoient des peines de prison ferme pour toute personne refusant de coopérer avec lesdites commissions.

( 5) L'article 7des statuts de l'IER dispose que « en vue de réaliser les objectifs prévus par ces statuts et de mettre en oeuvre la haute décision royale portant création de l'IER toutes les autorités et institutions publiques apportent à l'instance leurs concours et lui fournissent toutes les informations, données lui permettant d'accomplir ses missions.

On doit signaler qu'un an après la création de l'IER, son président a confirmé «  la coopération avec les différents services de l'Etat a été effective, dans la mesure ou nous avons visité les anciens centres de détention secrets et établi des programmes sociaux et de réhabilitation pour les communautés vivant autour de ces centres. Sans cette coopération, nous n'aurions pu faire tout ce que nous avons fait ». ( 6 ) .

Quelques mois après et en contradiction avec ce qu'a affirmé Mr Benzekri, le rapport final de l'IER a précisé que parmi les difficultés qui ont entravé la recherche de la vérité, figure notamment la coopération inégale des appareils de sécurité, l'imprécision de certains témoignages d'anciens responsables et le refus d'autres de contribuer à l'effort d'établissement de la vérité.

Il est donc évident que certains appareils de l'Etat ont refusé de coopérer en l'absence d'un pouvoir de contrainte ou des sanctions. Et on regrette le fait que l'IER s'est abstenue dans son rapport final de mettre en exergue les appareils de l'Etat qui ont refusé de coopérer, sachant que ces appareils n'ont pas seulement entravé l'établissement de la vérité, mais aussi n'ont pas obéi aux instructions royales.

(6) Lors d'un interview avec human rights watch le 6 avril 2005.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand