En matière urbaine, beaucoup de chemins ont
été parcourus depuis le « bon gouvernement des
villes
» tel qu'il pouvait exister au Moyen Age en Europe12.
Aujourd'hui, trois facteurs
12 Comme vous pouvez le constater, j'ai
délibérément occulté de mes diagnostics, le
gouvernement des villes en Afrique subsaharienne, qui ne répond pas aux
mêmes règles de gouvernance de celles des pays du Nord. La
réalité des villes africaines est tellement composite qu'elle
échappe aux indicateurs standards d'analyse.
essentiels sont à considérer avec attention :
l'assise territoriale du pouvoir local, sa forme institutionnelle et les
mécanismes mêmes du gouvernement des villes. L'extension
progressive des agglomérations conduit nécessairement à la
coexistence au sein de chacune d'elle d'un nombre élevé de
pouvoirs locaux juxtaposés. Détenant une compétence
générale mais limitée à une portion du territoire
urbain, ces collectivités locales sont incapables d'avoir une vue
d'ensemble des différentes problématiques auxquelles elles sont
confrontées, et leur pouvoir s'en trouve considérablement
amoindri. Deuxièmement, du fait de la sédimentation des
différentes strates de la puissance publique, plusieurs pouvoirs publics
superposés interviennent, plus ou moins directement, sur les villes au
côté des collectivités locales. Ces autorités
supra-locales développent des approches verticales, des programmes
sectoriels, etc. Par conséquent, à l'émiettement
géographique des pouvoirs locaux s'ajoute la parcellisation
fonctionnelle des pouvoirs supra-locaux. Enfin, et c'est le troisième
point, nous assistons dans le domaine des politiques urbaines à
l'émergence d'une pluralité d'acteurs socioéconomiques,
dont les territoires d'intervention ne coïncident pas forcément
avec l'espace du pouvoir local. Les hommes et les organismes implantés
dans une agglomération donnée sont de plus en plus souvent
connectés à de multiples réseaux (matériels ou
non), qui font que ces acteurs sont parfois plus proches d'autres acteurs
situés dans des territoires très éloignés que de
leur environnement immédiat. Ainsi, sauf à faire l'autruche,
force est de constater que les évolutions urbaines sont aujourd'hui le
fruit des interactions, d'une pluralité d'acteurs qui ne sont pas tous
publics, et que les périmètres à considérer sont
variables et dépendent de la nature des problèmes à
traiter. Il n'y a pas d'échelle territoriale optimale en soi, c'est la
fin du mythe du territoire pertinent.
Passer de l'action publique classique (combinant la
légitimité démocratique et l'efficacité
managériale) à la gouvernance urbaine proprement dite, cela
consiste donc à adopter des modalités d'action et de prise de
décision plus partenariales, plus interactives et plus flexibles. Cela
consiste à privilégier la logique de l'innovation sur celle de la
rationalisation, en cherchant à promouvoir des processus d'action qui
sont avant tout des processus d'interpellation réciproque des
différents acteurs locaux. La gouvernance urbaine n'est pas autre chose
à mes yeux que la capacité à mettre en oeuvre des
partenariats efficaces entre les différents acteurs, c'est-à-dire
la capacité à relier les principaux acteurs autour du niveau de
décision politique, en définissant un cadre qui donne du sens
à l'action urbaine (Ndiaye C 2005, p 29). Il faut que cette action soit
suffisamment mobilisatrice pour entraîner les parties concernées,
et suffisamment lisible pour être comprise par tous les citadins et
produire de ce fait du lien social. C'est d'ailleurs bien le rôle des
pouvoirs publics de donner du sens à une action quelle qu'elle soit,
dans les deux acceptions du mot sens : une direction et une signification. Tout
cela est certes plus facile à dire qu'à faire. Mais il existe des
voies et des moyens pour y parvenir. Nous signalerons simplement les
démarches contractuelles, qui se prêtent parfaitement bien
à cette mise en musique de la gouvernance urbaine.
J.M Offner nous rapporte l'introduction de P. Duran dans un
numéro de Politique et Management Public consacré à la
gouvernance : « marquée par les développements
récents de l'analyse des politiques publiques et la théorie des
organisations , et en rupture avec une approche classiquement institutionnelle
de la politique, la gouvernance vise à rappeler dans un premier temps
que l'action publique ne se réduit plus à l'action des seuls
«gouvernements» dont l'étude ne peut plus désormais
rendre compte de la complexité d'une activité qui transcende les
barrières du privé et du public, traverse les nomenclatures
politicoadministratives et mêle les différents niveaux
d'interventions tant infra- que supranationaux. »13
13 Offner JM., «gouvernance, mode
d'Emploi», pouvoirs locaux, n°42 III, 1999.
Autrement dit, l'expansion de fait du système
politique à l'activité d'une multiplicité d'acteurs de
statuts différents interdit de faire des institutions publiques de
gouvernement les seuls dépositaires de l'action publique. Ainsi
l'expression la plus communément utilisée de gouvernance urbaine
vise à rendre compte d'un monde où la gestion publique ne
s'arrête pas à l'action des seules autorités locales pour
embrasser en fait l'action conjuguée d'acteurs tels qu'agences
d'urbanisme, sociétés d'économie mixte, associations,
chambres consulaires et d'autres acteurs publics ou privés se situant
des niveaux nationaux ou supranationaux.
La gouvernance traduit aussi la réalité d'une
action publique de plus en plus étroitement dépendante de la
mobilisation d'acteurs privés comme du consentement des usagers, voire
des citoyens. De même, l'évocation de la «gouvernance
territoriale» a pour but de souligner la diversité, et
l'hétérogénéité des territoires de l'action
publique en l'absence de recouvrement des territoires institutionnels et des
territoires de gestion. (Ndiaye C op cit p 30). En effet, la transformation des
territoires marque des régularités où l'on retrouve des
processus d'élaboration de la commande publique innovants, des
mobilisations puissantes d'acteurs politiques, privés et publics, de
techniciens, ainsi qu'un perfectionnement des systèmes de production.
Par ailleurs, Offner propose une définition plus
détaillée du concept de gouvernance. Pour lui : « La
gouvernance est la capacité à produire des décisions
cohérentes, à développer des politiques effectives par la
coordination entre acteurs publics et non gouvernementaux, dans un univers
fragmenté ». En effet, la gouvernance est nécessairement
« une capacité », c'est à dire une
compétence que l'on essaie d'acquérir :
« une capacité à produire », il
ne s'agit pas seulement de contrôler, de réglementer...
« ... à produire des décisions
» : c'est à dire rompre avec l'ordre établi. Il s'agit
d'aller à l'encontre des routines, et non pas de gérer le
quotidien.
« ... des décisions cohérentes
» : le mot cohérent est sans doute le plus employé dans
le domaine du développement local, évidemment parce que c'est
plutôt l'incohérence qui règne. Mais ce mot peut avoir des
visées concurrentielles : par exemple, ceux qui s'occupent de la
politique de la ville vont réclamer une cohérence par rapport au
social, ceux de l'énergie vont s'attacher à la cohérence
entre l'énergie et l'environnement, etc.
« ... capacité à développer des
politiques effectives ». » Une politique » c'est
justement quelque chose de cohérent. C'est un programme d'actions qui
convergent vers un même objectif. On est en droit de se poser la question
«est ce vraiment une politique de...» ?
« ...des politiques effectives » ce mot a
l'intérêt de diviser en deux la notion d'efficacité entre
la notion d'efficience (qui a à avoir avec la productivité), et
celle d'effectivité (la réussite des mesures mises en place).
« ...par la coordination » : un mot qui
peut recouvrir bien des choses ! L'un des principaux objectifs des sciences
sociales est justement de comprendre les mécanismes de coordination.
« ...entre acteurs publics et non gouvernementaux ». on
parle de coordination intergouvernementale pour désigner des relations
entre niveaux territoriaux différents, et de coordination entre acteurs
publics et acteurs non gouvernementaux pour désigner ce que l'on met
sous le terme générique de «PPP» ( Partenariat Public -
Privé).
Ainsi, c'est dans cet univers multi-acteurs et
multi-échelles, que coordination, co-production (les PPP), coalitions et
contrats sont censés permettre une capacité d'action collective.
De ce fait, efficacité, équité, durabilité du
développement et citoyenneté se retrouvent au coeur des
réflexions sur la recherche urbaine.