3.1.2. Une gouvernance à quatre dimensions
Abordées dans leurs généralités,
toutes ces transformations de l'action publique façonnent aujourd'hui un
«paysage» apparemment très sophistiqué de la
«bonne gouvernance»; un enchevêtrement très complexe de
principes, d'instruments, d'institutions et de procédures dont on
discerne mal, au premier abord, la cohérence. En réalité,
au-delà de cette apparente confusion, on constate que ce concept commun
de «gouvernance environnementale» recouvre quatre approches ou quatre
réalités assez différentes que Jacques Theys illustre
très bien (Tableau 1) :
- une volonté de relégitimation et de modernisation
de l'action publique qui passe d'abord par plus de transparence;
- des formes originales et multiples de coordination non
hiérarchiques (et de tranversalisation) des actions collectives;
- une transition vers des formes plus ouvertes de
rationalité (réflexive, procédurale...);
- et enfin, un certain transfert de pouvoirs vers la
société civile, les collectivités
décentralisées ou des institutions autonomes (nationales ou
internationales).
1. La première approche est très classique, met
en avant la rationalisation, crédibilisation, et modernisation de
l'action publique: c'est rendre les administrations «comptables» de
leur action («accountability»), donner plus
d'indépendance à l'expertise (création d'autorités
indépendantes...), réduire la bureaucratie, développer la
transparence et l'accès à l'information, favoriser la
participation aux décisions... L'objectif qui est de reconstruire une
certaine confiance envers les institutions, n'est naturellement pas
spécifique à l'environnement: mais c'est, à
l'évidence un domaine où les problèmes de
crédibilité, de transparence et de légitimité se
posent avec une acuité particulière, compte tenu de l'importance
des conflits et des incertitudes qui s'y manifestent.
2. Dans une seconde approche de la «bonne
gouvernance», c'est plus fondamentalement le principe même de mandat
d'autorité ou d'autorité hiérarchique qui est remis en
cause ; à la fois pour des raisons d'efficacité mais aussi du
rôle de fait joué par une multiplicité d'institutions ou
d'acteurs à toutes les échelles. L'éclatement des enjeux
et des pouvoirs impliqués dans les problématiques
écologiques impose des mécanismes de coordination non
hiérarchiques de plus en plus raffinés : procédures de
négociation, système de partenariat et de contrats, conventions
internationales, instruments de médiation, mécanismes de
marché (marché de droit à polluer...), accords de
subsidiarité... qui sont pour beaucoup de praticiens, au centre de la
notion de gouvernance.
3. C'est sans doute dans une troisième approche qu'il
faut chercher ce qui fait véritablement l'originalité de la
gouvernance environnementale. De manière plus ambitieuse que la
précédente cette troisième approche vise, finalement,
à élargir les représentations traditionnelles de la
rationalité; à dépasser les cadres trop étroits de
la rationalité instrumentale à court terme. Concrètement
cela s'est traduit, en particulier dans la période récente, par
une capacité à «inventer» puis à diffuser de
nouveaux principes d'action: principe pollueur payeur, principe de
précaution, développement durable ... . Mais aussi par une
extension considérable du champ de la réflexivité dans la
prise de décision (études d'impact, calcul économique,
outils de «reporting», évaluation des risques, etc.).
L'intérêt de ces principes est naturellement qu'ils peuvent
s'accommoder de formes très souples de relations entre acteurs, ou
même d'absence de relations.
4. Ce serait pourtant manquer l'essentiel que de
réduire la «bonne gouvernance» à cet effort ambitieux
pour fonder sur des bases rationnelles plus larges, une nouvelle action
collective. L'essentiel en effet, dans la «bonne gouvernance», c'est
une redistribution des pouvoirs et des rôles entre l'Etat, les autres
institutions locales ou internationales, le marché et la
société civile. D'un mode de gouvernement où l'Etat,
centralisant les responsabilités, déterminait seul l'action des
autres acteurs, on passe à un mode de gouvernement où tous les
acteurs concernés exercent collectivement cette
responsabilité.
Tableau 1: Les quatre dimensions de la gouvernance
environnementale
I) MODERNISER L'ACTION
|
II) DEVELOPPER DES MECANISMES
|
PUBLIQUE, EN ACCROITRE LA
|
NON AUTORITAIRES DE
|
LEGITIMITE ET LA CREDIBILITE
|
COORDINATION ET DE REGULATION
|
|
DE L'ACTION COLLECTIVE
|
(Gérer la confiance et l'acceptabilité)
|
(Gérer la pluralité et la mobilisation)
|
· Réforme du secteur public
|
· Extension du contrat
|
· Transparence
|
· Partenariat public-privé
|
· Evaluation, contrôle,
«accountability»
|
· Incitations économiques (permis
négociables,
|
· Autorités indépendantes
|
taxes) - compensations
|
· Séparation régulateur /
opérateur
|
· Accords volontaires
|
· Consultations et débats publics -
|
· Conventions et protocoles flexibles («accords
|
démocratisations des procédures
|
cadres»)
|
· Mise en oeuvre plus efficace
|
· Politiques constitutives
|
(«enforcement»)
|
· Autorités régulatrices
|
|
· Mécanismes de médiation
|
|
· Intégration et transversalisation
|
|
· Mise en oeuvre négociée
|
|
· Réseaux informels
|
III) ETENDRE LA RATIONALITE
|
IV) CHANGER DE POUVOIR
|
REFLEXIVE OU PROCEDURALE
|
|
(Gérer l'incertitude et la complexité)
|
(Gérer les rapports de force)
|
· Principe de précaution
|
· Transferts de souveraineté (aux institutions
|
· Développement durable
|
supranationales)
|
· Evaluation des risques, études d'impact,
réflexivité
|
· Décentralisation
· Subsidiarité active
|
· Calcul économique et réformes
|
· Droits de propriété
|
comptables
|
· Normalisation volontaire (exigences
|
· Accès à l'information, transparence,
traçabilité, indicateurs, audits...
|
essentielles, autocertifiction)
· Délégation au secteur privé ou aux
O.N.G
|
· Conférences de consensus
|
· «Autogestion» des biens publics par des
|
· Pluralité de l'expertise, autorités
|
communautés d'usagers
|
indépendantes
|
· Institutions de mutualisation (agences de l'eau)
|
· Science «post normale»
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· Déontologie et comités d'éthique
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Jacques Theys 2002
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