3. LA GOUVERNANCE REVISITEE PAR LES DISCIPLINES
3.1. Gouvernance appliquée à
l'Environnement
L'environnement a, depuis plusieurs décennies et
aujourd'hui encore, servi de «laboratoire» où s'inventent de
nouvelles formes de gouvernance: procédures démocratiques de
consultation, formes flexibles de coordination, modes de gestion
décentralisés, utilisation du contrat, de la médiation ou
des incitations économiques, gouvernement par l'information et les
principes, etc. Ceci témoigné par les efforts de modernisation de
l'action publique: Agendas 21, études d'impact, accords volontaires,
marchés de droits à polluer, conférences de consensus,
principe de précaution, normes ou conventions négociées,
etc. C'est en fait dans les années 90 qu'on note un tournant important
de cette mouvance dans un contexte marqué par la globalisation,
l'émergence des grandes régions économiques comme
l'Europe, et l'influence croissante des idées libérales dans la
conception et la mise en oeuvre des politiques de l'environnement. Au moins
trois raisons convergentes expliquent cet essor tout particulier des nouvelles
formes de gouvernance dans le champ de l'environnement :
- d'abord par la nature même des problèmes
concernés: problèmes d'externalité, de gestion de risques
ou d'utilisation des ressources communes, allant du niveau local au niveau
planétaire. Par définition, ces problèmes sont complexes,
conflictuels, controversés, et leur solution passe par la mobilisation
d'acteurs nombreux, interagissant à de multiples échelles; des
acteurs dont les territoires ne correspondent généralement pas
aux territoires institutionnels classiques, et qu'il faut convaincre;
- par ailleurs l'environnement est lui-même porteur de
valeurs favorables à la démocratie, à la
décentralisation, à la transparence et donc à des formes
d'action publique qui accordent une large place à la
société civile;
- il est clair, enfin, que les nouvelles formes de gouvernance
ont aussi été pour les politiques de l'environnement, un moyen de
surmonter leurs faiblesses ou leur déficit de légitimité,
et en particulier de réagir aux critiques d'inefficacité ou
d'autoritarisme auxquelles elles ont été confrontées
dès l'origine (Theys 2002).
Cependant, il ne faut pas perdre de vue que cette
volonté d'innovation coexiste avec le souci quasi obsessionnel de
renforcer les modes d'intervention traditionnels de l'Etat - de type
«command and control»- pour reprendre les propos de Theys ;
s'il faut accorder à l'environnement un rôle «d'avant
garde» dans la modernisation des formes de gouvernance. On est encore
en effet dans une phase où il s'agit prioritairement pour les
responsables de l'environnement, de fonder et construire une politique
sectorielle bien identifiée, avec des moyens d'autorité classique
(réglementation, dispositifs de contrôle, ressources
budgétaires), et des instruments de coercition suffisants pour obtenir
des résultats tangibles à courte échéance.
Autrement dit, la nécessité d'innover coexiste avec la
volonté de trouver une place légitime parmi les politiques
traditionnelles de l'Etat et donc, de se couler dans le «moule» des
politiques classiques d'interventions, de réglementation et de
sanction.
De ce fait, cette coexistence historique entre deux
priorités différentes, entre deux stratégies d'action
publique, alimente naturellement beaucoup de controverses. D'un
côté, on accuse les politiques réglementaires
traditionnelles d'être archaïques, inefficaces, inapplicables. De
l'autre, on considère que les nouvelles formes de gouvernance ne sont
qu'une façon naïve d'évacuer la réalité des
conflits et des jeux de puissance, et que sous couvert d'ouverture
démocratique elles ne font que renforcer les intérêts
dominants et institutionnaliser les corporatismes. Au-delà, ce sont deux
conceptions de la démocratie qui s'affrontent avec un défi
commun: comment organiser la confrontation des opinions et des
intérêts sur des questions essentiellement
médiatisées par la science, qui transcendent les
frontières institutionnelles, et concernent des
générations ou des éléments de la nature qui n'ont
pas accès au vote? (ibid 2005)
3.1.1. La gouvernance démocratique pour faire face
aux enjeux de l'environnement
Toutes les réticences que l'on peut raisonnablement
avoir vis à vis d'un discours beaucoup trop «irénique»
sur la gouvernance n'enlèvent rien à la réalité du
constat qui introduisait ce paragraphe: les politiques de l'environnement ont
été, surtout à partir des années 90, un remarquable
laboratoire pour des formes nouvelles de gouvernance. Et celles-ci ont
incontestablement constitué des avancées significatives dans le
fonctionnement démocratique partout où elles ont
été développées ; en ouvrant à un nombre
croissant d'acteurs l'opportunité d'intervenir dans la conception et la
mise en oeuvre de solutions collectives à des problèmes de mieux
en mieux perçus comme communs.
Les années 90 marquent une étape décisive
dans la gouvernance environnementale. En effet, il devînt évident
que tout progrès supplémentaire dans la politique de
l'environnement dépendait désormais de la capacité
à mobiliser la société toute entière - en
commençant par les entreprises, les consommateurs et les habitants.
«L'intégration», «l'internalisation», «la
responsabilisation», «la participation» devinrent de nouveaux
slogans largement répandus. Parallèlement aussi, le processus
conjoint de globalisation, de décentralisation et de constitution de
grandes «régions économiques» (CEE, ALENA...) conduisit
progressivement à un encadrement sensible des Etats-Nations,
désormais contraints de négocier ou de s'ajuster avec une
pluralité diffuse d'acteurs influents intervenant à toutes les
échelles, du global au local. Dès lors, un consensus très
large se forma sur la nécessité de faire évoluer la
politiques de l'environnement du curatif au préventif (puis à la
précaution); de l'injonction à la participation; de la
centralisation à la décentralisation; de l'orientation par l'Etat
à une orientation par le marché; de l'excès de
réglementation à une action essentiellement incitative,
créant les conditions favorables à un changement dans les
comportements des producteurs ou des consommateurs... et ceci, dans un contexte
d'incertitude scientifique et de complexité croissante
|