2. 2. La gouvernance en sciences politiques
Chez les politologues ou politistes, le mot gouvernance est
d'origine anglaise. L'Angleterre était la patrie du gouvernement local,
avec des institutions locales fortes, disposant d'un véritable pouvoir
de régulation et d'orientation de l'action publique. L'ère
thatchérienne a modifié la donne de façon paradoxale :
l'Etat a cherché d'un côté à introduire plus
fortement les mécanismes du marché, et d'un autre
côté à centraliser et récupérer une bonne
partie des prérogatives des institutions locales. Les politistes ont
alors commencé à parler de gouvernance, car le pouvoir local ne
se résumait plus aux institutions locales. La notion de gouvernance rend
compte de ces mutations dans l'exercice du gouvernement local ; le pouvoir
local se fragmente et se dilue au sein d'agences de régulation,
d'organismes privés.
C'est dès les années 60 que les tenants
américains du «Public Choice» introduisent la
gouvernance dans les débats sur les réformes institutionnelles
des métropoles. Il y est déjà question de pouvoir
polycentrique, de fragmentation politico-administrative, de coopération
entre acteurs privés et publics. Plus tard, d'autres auteurs mettront
l'accent sur certains aspects spécifiques de l'action publique locale,
se servant de la gouvernance pour les formaliser : partenariats et coalitions
entre acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux, participation des
citoyens, etc. Par ailleurs, le glissement de l'économique vers le
politique a été également opéré par la
Banque Mondiale, pour qui la gouvernance est « la manière dont le
pouvoir est exercé dans la gestion des ressources économiques et
sociales dans un pays en voie de développement » (Osmont, 1998). La
bonne gouvernance constituant pour les experts de la Banque Mondiale le cadre
politico-institutionnel adéquat aux politiques d'ajustement structurel
qui ont marqué les pays africains notamment le Sénégal
dans les années 70-80.
Michael Bratton et Donald Rothchild nous rappellent
l'historique du concept en Afrique. Le concept de gouvernance s'est
récemment frayé un chemin dans le lexique de la politique
comparée en empruntant un itinéraire inattendu. Pour eux «
ce sont les praticiens des organisations de développement
international qui l'ont adopté les premiers ; ils lui donnaient au
début le sens limité de fonctionnement efficace d'un
gouvernement. Après l'indépendance politique, les dirigeants
africains se sont tournés vers les organisations d'aide et de
prêt, afin d'obtenir quelque assistance pour la création
d'organismes de gouvernement et pour la formation de fonctionnaires
habilités à faire appliquer les décisions politiques. A
l'époque, dans les années 1960, ce mode d'activité d'aide
portait de préférence le nom de création des institutions
- on ne parlait pas encore de gouvernance -, nom qui finit par
disparaître du vocabulaire de l'aide, à mesure que les pays
récipiendaires commençaient à se suffire à eux-
mêmes et que leur personnel qualifié devenait opérationnel.
Dans les années 1980,
11 Voir également le document de travail
n° 144 du Lab.RII
cependant, en particulier par rapport à l'Afrique,
governance connut un regain de faveur sous l'autorité morale de la
Banque mondiale, en tant qu'initiative de «développement»
institutionnel «des capacités», sous le nom de governance for
development » (1989, p 60). Il ne sera donc sans surprise que la
notion de gouvernance soit accaparée par certaines disciplines où
les outils et les processus de l'action collective ne sont plus efficaces face
au contexte actuel de déréglementation.
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