2. LA GOUVERNANCE, DES GENESES CONCEPTUELLES
MULTIPLES
L'économie et la gestion, la géographie, la
science politique et la sociologie représentent les principales matrices
disciplinaires de la notion de la gouvernance. La rigueur des
définitions initiales n'a néanmoins pas résisté
à l'hybridation.
2.1. La gouvernance en économie et en
géographie
La gouvernance, comme gestion des transactions d'entreprises :
telle est la vision de la nouvelle économie institutionnelle. Deux
économistes américains, Coase, prix Nobel en 1991, et Williamson,
ont mis en évidence ce que l'on appelle les coûts de
transaction. Nous appuyons notre argumentation sur la lignée de
pensée de ces deux auteurs. En réalité, l'entreprise est
quelque chose d'aberrant par rapport à la vision de l'économie
néo-classique où le marché règne en maître.
L'entreprise est une boîte noire : comme il n'y a pas, en son sein, de
transactions marchandes, l'économie ne sait rien en dire. Pourtant les
acteurs économiques, salariés, chefs d'entreprises, s'y
échangent des compétences, de l'argent... : ils «
rentrent en transaction ». Ces transactions ont évidemment
un coût, comme les coûts de transport, les coûts
d'information : demander des devis, passer un contrat..., toutes ces
démarches demandent du temps et de l'argent. Toute une série de
transactions sont ainsi nécessaires au fonctionnement de
l'économie. Elles peuvent s'effectuer de différentes
manières, « du marché à la hiérarchie »,
pour reprendre les termes du titre d'un ouvrage de Williamson.
-La transaction par le marché, c'est la place du
marché où tout se négocie à tout moment.
-La hiérarchie, c'est le chef qui donne des ordres
à ses subordonnés. C'est une transaction, qui a un coût,
parce qu'il a fallu embaucher, élaborer un contrat, des
règlements, un travail de coordination.
Entre ces modèles extrêmes, qui n'existent pas
sous une forme pure et parfaite, il y a toute une série de
modalités intermédiaires de coordination que l'on appelle
modalités de coordination en réseau, qui comprennent un
peu de marché, un peu de contrat, un peu de hiérarchie, mais
aussi de l'informel. Ce sont ces modalités intermédiaires de
coordination, que nos auteurs appellent « dispositifs de gouvernance
», donc des dispositifs de coordination qui vont au-delà des
pures relations marchandes ou hiérarchiques.
Selon le paradigme de «Coase-Williamson-Scott», les
firmes arbitrent entre les coûts d'organisation et les coûts de
transaction entre entreprises, car contrairement au postulat des
économistes néoclassiques, les coûts de transactions
(rechercher de l'information, donner un ordre, passer une commande,
rédiger un contrat..) ne sont pas nuls. Dès lors, dans son
acceptation large, la gouvernance fait référence aux diverses
institutions (structures et procédures) susceptibles de prendre en
charge ces transactions. Dans un sens plus restrictif, la gouvernance se
rapporte aux seules transactions de l'entreprise et désigne des
relations de pouvoir et de coordination plutôt non marchandes, formes
hybrides empruntant au rapport hiérarchique comme à la relation
partenariale. A ce niveau, nous pouvons reprendre l'exemple du quartier de
Sentier à Paris qui est souvent cité par les spécialistes
du développement local, où une multitude de petites entreprises
travaillent dans la confection. Selon les années, l'une ou l'autre
devient leader et sous-traite une partie de sa production aux autres. Ce
fonctionnement fait jouer le marché, bien sûr, et un peu la
hiérarchie, mais il faut surtout jouer la connivence, la
stratégie10...
10 Voir à ce sujet les travaux du laboratoire
RII ULCO sur « le milieu innovant » notamment sur la proximité
organisationnelle (Uzunidis D.).
Par ailleurs, la notion de gouvernance a suscité
l'intérêt de la géographie économique, en
particulier des spécialistes des districts industriels et autres
systèmes de productions localisés. En référence aux
problématiques de développement local, la gouvernance
désigne alors les modes de régulation de la sphère
économique mettant en jeu la spatialité des dispositifs
organisationnels, les proximités entre les acteurs et, partant, les
institutions et procédures locales. Cependant, face aux défis du
développement territorial, de nombreuses recherches ont
démontré le caractère désuet et inadapté des
options de régulations cloisonnées. C'est dans cette perspective
que s'inscrivent certains travaux du laboratoire RII pour appréhender la
gouvernance territoriale comme étant l'alchimie à trouver ou du
moins à comprendre pour la conduite des organisations et systèmes
de plus en plus complexifiés vers un ou des objectifs bien
identifiés11.
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