Si on veut examiner la notion de « grandeur » d'une
personne (au sens d'hauteur), notre univers de discours S serait l'ensemble des
gens. Définissons un sous-ensemble flou appelé « grand
» qui puisse répondre à la question : « à quel
degré une personne est grande ? ». L'apport de Zadeh L.
décrit « grand » en tant qu'une variable linguistique, qui
représente une « catégorie cognitive » de grandeur :
à chaque personne de cet univers de discours, un degré
d'appartenance, au sous-ensemble flou « grand », doit être
affecté, de telle manière qu'on puisse définir, à
titre d'exemple, une fonction d'appartenance « grand (x) » telle que
:
[hauteur (x) -- 160 ]/20 : si 160 < hauteur (x) < 180.
Figure 20
Un graphe de ce genre pourrait représenter alors cette
fonction. Il faut, cependant, bien noter que ces mesures dépendent d'une
appréciation personnelle propre à l'individu
questionné.
Cette forme est une forme parmi d'autres de « nombre
flou»,elleest en plus la plus simple. Il existe d'autres nombres flous de
forme triangulaire ou trapézoïdale... aussi, on utilise des
fonctions d'appartenance comme si elles ne peuvent être basées que
sur un unique critère, alors que, par exemple, pour apprécier la
« grandeur » d'une personne, certains considèrent que «
grandeur » dépend de la hauteur et aussi de l'âge de
l'individu, en disant « il est grand pour son âge »... ce qui
peut établir une relation floue entre deux fonctions
d'appartenance« âge » et « grandeur »...
Il existe des méthodes de détermination des
degrés d'appartenance : parmi elles, on peut citer :
- « l'évaluation et élimination
subjectives » : étant donné que les sous-ensembles flous
sont habituellement utilisés pour modéliser les «
états cognitifs » des gens, ils peuvent alors être
déterminés grâce à des procédures simples ou
sophistiquées d'élimination, à la limite, les sujets
peuvent tracer ou spécifier différentes courbes d'appartenances
de façon la plus adéquate au problème
étudié. Ces sujets sont habituellement des experts typiques dans
le domaine étudié. Ils sont les plus aptes à choisir et
délimiter les formes possibles de ces courbes. Lorsque la recherche est
sophistiquée, ces sujets et les utilisateurs du modèle, peuvent
être testés par des méthodes psychologiques. Cette
première méthode est aussi appelée « méthode
des experts », et elle est la plus utilisée en modélisation
du jugement d'audit, ou en construction de systèmes-experts d'audit,
- la « forme ad-hoc » : Au cas où
l'étendue du choix des courbes d'appartenance s'avère
énorme, la plupart des opérations de contrôle floues sont
établies à partir des plus simples formes de courbes
d'appartenance (ex : triangulaire), ce qui simplifie le modèle du
contrôle pour ne choisir que la valeur centrale et ses deux pentes...,
- les « fréquences converties » :
Quelques fois, on utilise la distribution des fréquences, ou des
probabilités, pour construire une fonction d'appartenance, bien que les
deux concepts sont complètement différents du point de vue
épistémologique. Il y a une variété de
méthodes de conversion, chacune à avantages et
inconvénients mathématiques et méthodologiques qui lui
sont propres...,
- les « mesures physiques » ,
- l' « apprentissage et adaptation »,
...etc. ,
OÙ EST--CE QU'ON APPLIQUE LE FLOU ? :
Cette nouvelle mathématique s'applique aisément
aux domaines de la reconnaissance d'image et de caractères, de la prise
de décision, et aux systèmes-experts. Alors que pour le domaine
industriel, il s'agit plutôt de contrôle par le flou (fuzzy state
machine (FSM)...).
En ce qui concerne l'audit, l'application du flou se fait au
niveau des systèmes-experts d'audit, c'est à dire des logiciels
d'audit. Un système-expert flou est définit par Mizumoto [1989]
:
«A fuzzy expert system is an expert system that uses a
collection of fuzzy membership functions and rules, instead of Boolean logic,
to reason about data. The rules in a fuzzy expert system are usually of a form
similar to the following :
if x is low and y is high then z is medium
where x and y are input variables (names for known data
values), z is an output variable (a name for data value to be computed), low is
a membership function (fuzzy subset) defined on x, high is a membership
function defined on y and medium is a membership function defined on z.
The antecedent (the rule premise) describes to what degree
the rule applies, while the conclusion (the rule's consequent) assigns a
membership function to each of one or more output variables. »
Dans un système-expert conventionnel (ou crisp),
l'ensemble de ces règles constitue la « base de règles
», l'ensemble des données de problèmes à
résoudre constitue la « base de faits », ces deux bases (de
règle et de faits) forment ce qu'on appelle la «base de
connaissances ». Le choix dynamique des règles à appliquer
par rapport à des faits précis constitue le moteur
d'inférence, dont le rôle est de générer des
conclusions. Pour la plupart des systèmes-experts flous, la
genèse de ces conclusions se fait à plus d'une conclusion par
règle, ce qui est beaucoup plus adéquat au domaine de l'audit
Q125 que ne l'est un système-expert crisp.
FLOU & PROBABILITÉ, QUELLE RELATION ? :
Enfin, pour clôturer ce bref exposé des
mathématiques floues, il faudrait approfondir la différence entre
probabilité et valeurs floues de vérité : Les
sous-ensembles et la logique flous devraient être
considérés en tant qu'une théorie mathématique
formelle pour la représentation de l'incertitude. L'incertitude est
cruciale dans la gestion de systèmes réels, mais elle est en
même temps le prix à payer pour pouvoir prendre en charge la
complexité due à la réalité de tels
systèmes.
Généralement, les nombres flous sont souvent
confondus à des probabilités, alors qu'ils diffèrent
mathématiquement parlant et aussi dans leur interprétation et
application :
- Sémantiquement, la probabilité
s'intéresse à l'occurrence (ou vraisemblance) d'un fait; qu'un
fait se réalise ou pas, on peut parier sur. Mais en logique floue, on ne
peut pas sans aucun équivoque dire que le fait s'est
réalisé ou pas ; les chercheurs en flou, essayent plutôt de
modéliser l'étendue à laquelle
l'événement ou le fait pourrait se réaliser.
125 Nous avons trouvé beaucoup de
difficultés pour connaître, ou au moins apprécier, lesquels
des logiciels d'audit utilisés par les plus grands cabinets d'expertise
comptable tunisiens, qui soient des systèmes-experts flous ou qui
appliquent le modèle de risque d'audit fusifié. Ces
difficultés résultent d'une ignorance complète de la part
des chefs de ces cabinets et même de leurs ingénieurs
informaticiens. Ce qui est normal pour des structures professionnelles qui ne
font qu'utiliser ces technologies de l'information et ne peuvent ni participer
à la création ni à l'amélioration de ces
systèmes-experts. Pour les petits ou moyens cabinets professionnels
comptables, ils sont encore au niveau d'une « technologie » manuelle
d'audit. Quelques très rares efforts d'informatisation de
l'activité d'audit existent mais restent aussi utilisateurs de
technologie.
- Mathématiquement parlant, les probabilités
ont au moins une caractéristique fondamentale qui les diffère des
valeurs ou mesures floues : elles sont additives, leur somme doit être 1,
ou bien l'intégrale de leur densité doit être égale
à 1. Ce qui diffère pour les degrés d'appartenance ; il
est vrai que certaines méthodes de détermination de ces
degrés d'appartenance résultent des distributions de
probabilités (ex : méthode des fréquences converties),
mais il y a beaucoup d'autres méthodes de détermination de
degrés d'appartenance qui ne le sont pas. Aussi, il ne faut pas oublier
que les probabilités sont des sous-ensembles flous, puisque comme la
logique floue généralise celle booléenne, elle
généralise aussi les probabilités.
En fait, en partant d'une perspective mathématique, la
logique floue ainsi que les probabilités peuvent être
considérées comme faisant partie, tous deux, d'une plus grande
théorie appelée DThéorie généralisée
de l'information qui comprend plusieurs autres formalismes dont le but est
de représenter l'incertitude. Cette théorie englobe, en
fait sept types d'incertitude représentés par sept mesures
différentes :
Mesures de
dissonance
Entropie
de Shanon
Ambiguité Imprécision
Mesures de
confusion
Mesure
de Hartely
Incertitude-U Mesures Floues
Incertitude
Mesures de
non-spécificité
Ensembles
Flous / Théorie
de la
Possibilité
Théorie de la
Probabilité
Ensembles
Vulgaires
Théorie de
l'évidence
L'intérêt de ce graphique est de visualiser le
fait que l'incertitude mesurée par la probabilité n'est pas la
même que celle mesurée par la fonction de croyance, ni par celle
de la logique floue...
Figure 21
Dans les sections suivantes, cette configuration de mesures
d'incertitude nous aidera à différencier entre une
subjectivisation possibiliste des croyances et une subjectivisation par la
fonction de croyance.
Ainsi finit ce bref exposé des mathématiques
floues, qui est accompagné de certaines remarques se rapportant au
domaine de l'audit, mais qu'en est-il de la modélisation d'audit ? La
logique floue a-t-elle abordé ce propos ?
Depuis le début de ce travail, nous avons bien
distingué entre deux domaines dans la modélisation d'audit :
à savoir, la modélisation de l'interaction stratégique en
audit, c'est à dire les modèles de jeux en audit et la
modélisation du risque d'audit, c'est à dire les modèles
de la construction de l'opinion de l'auditeur (appelé aussi
modélisation du jugement d'audit). Par conséquent, la question
posée concerne maintenant deux sujets : est-ce que la logique floue a
été intégrée ou pas à la modélisation
des jeux d'audit, et est-ce qu'elle a été intégrée
aux modèles de l'opinion d'audit ? :
LOGIQUE FLOUE ET MODÈLES DE JEUX D'AUDIT :
Pour répondre à la première des deux
questions, il ne s'agit plus d'examiner si les jeux d'audit ont
été fusifiés ou pas, car ces modèles ne sont que
des répliques de modèles de jeux plus généraux,
donc la question se transforme pour examiner si les modèles de jeux
non-coopératifs ont été fusifiés ou pas.
Pour les modèles de jeux coopératifs, les
essais de fusification commencent à devenir nombreux
M126. Par contre, à notre connaissance, aucun
modèle de jeu non-coopératif n'a jusqu'à ce jour
été complètement fusifié :
complètement, parce qu'il existe bien des travaux assez nombreux et
à complexité variée, qui essayent de fusifier des
composantes de modèles de jeux non-coopératifs. Mais ces essais
n'ont pas encore aboutit à rendre opérationnels des
modèles entièrement fusifiés : il y a eu des essais de
fusification des utilités des joueurs Q127, des essais de
fusification des actions des joueurs (fuzzy actions), de fusification
même des états de la nature (fuzzy events), mais des essais de
fusification de stratégies de joueurs, ou de modèles
d'équilibre de jeux, n'ont pas encore vu le jour.
LOGIQUE FLOUE ET MODÈLE DE JUGEMENT D'AUDIT :
Le papier de Cédric Lesage [1997] fusifie, et à
juste titre, le modèle d'appréciation du risque d'audit de
l'AICPA : Le risque d'audit (RA) est composé, selon les SAS n° 39
et 47 de l'AICPA, de trois éléments, à savoir : risque
inhérent (RI), risque de contrôle (RC) et risque de
détection
Q126 Voir, par exemple, Lebret Arnaud 120001 pour
une fusification de la coopération , ou certains développements
dans le domaine de la théorie des choix sociaux...
Q127 Dubois Didier et Prade Henri sont les
auteurs-chercheurs les plus féconds dans ce domaine (d'utilités
fusifiées). Ils ont commencé par la fusification d'utilité
de forme VNM, la plus simple, en l'intégrant au domaine de la
théorie des possibilités... D'autres chercheurs ont
utilisé l'intégrale de Choquet (ou capacité de Choquet),
ou celle de Sugeno, pour construire d'autres modèles d'utilités
(utilités qualitatives), qui sont plus sophistiquées que
l'utilité espérée et qui se basent sur une conception
étendue de la rationalité...
(RD). Shafer Glenn R. a, depuis le début des
années 80, appliqué sa théorie de l'évidence
à ce modèle de risque, en arguant que les mesures
probabilistiques de l'incertitude ne correspondaient pas aux mesures
d'incertitude inhérentes à ce modèle. De telle
façon que, l'égalité [RA=RI+RC+RD] Q128 devienne
un vecteur de masses d'évidences :
RI RC RD RA
m3
m3
m3
m3
m 1
m2
m 1
O m2
m 1
O+ m2
0,95
m2
Ce qui traduit un premier niveau de fusification du risque
d'audit, si l'on considère que la théorie de l'évidence
fait partie des classes de mesures floues, comme indiqué par la figure
18 page 92.
Le « second niveau » de fusification est
apporté par Lesage C. [1997] : il a remarqué que, quelque soit le
modèle formel adopté (probabiliste ou d'évidence),«
1
« plupart des cabinets d'audit recourent à des
évaluations linguistiques de certains risques » puisque toute
évaluation numérique présuppose la précision.
Lesage C. suggère donc d'adopter la forme trapézoïdale de
nombres flous pour traduire ces évaluations linguistiques du risque
d'audit M129. Il constate alors que son modèle
« reposant sur une évaluation linguistique et une agrégation
non déterministe pouvait atteindre un niveau prédictif largement
supérieur aux modèles numériques existants, sauf qu'il n'a
expérimenté sa recherche que sur un seul cabinet
professionnel...
Ainsi, la logique floue commence, sereinement, à
s'introduire dans les recherches relatives à l'audit. Qu'en est-il,
alors, de notre modèle DA [1999], pourrait-il être fusifié
?
M128 - RA est le risque final qu'une erreur
significative demeure dans les comptes publiés,
- RI est le risque relatif à l'environnement de la firme
auditée, l'induisant à transcrire comptablement une information
erronée,
- RC est le risque que le système de contrôle
interne ne puisse pas détecter et corriger une erreur introduite dans
les comptes,
- RD est le risque inhérent à l'auditeur, s'il
s'avère incapable de détecter et corriger des erreurs
introduites... incapacité inhérente au savoir-faire de l'auditeur
ou à une nature complexe de l'erreur...
La traduction probabiliste de l'égalité devient :
p(RA) = p(RI) x p(RC) x p(RD). Plusieurs chercheurs ont alors
fortement critiqué ce formalisme par :
- l'indépendance stricte des faits engendrant ces risques
(non vérifiée en réalité selon certains auteurs,
aussi bien pour le RI, que le RC...),
- la difficulté d'évaluer une probabilité
conditionnelle (l'exhaustivité des sous événements n'est
jamais garantie, leur indépendance aussi),
- la prise en compte de données qualitatives (le RI est
essentiellement constitué de facteurs qualitatifs, c'est une piste riche
de recherche)... L'application de la théorie de l'évidence
à ce modèle de risque, implique que ces composantes deviennent
défalquées sur des masses d'évidence et sommées par
la règle de Dempster-Shafer (symbole ).
M129 Les paramètres de ces nombres sont
déterminés par la méthode des experts, citée
à la page 111 du présent travail.