V- Rôle de la société civile dans le
développement local
V.1 - Définition de la notion de société
civile
Beaucoup d'auteurs ont essayé de définir la
notion de société civile. Pour citer, nous pouvons parler de
Guimbo4 (1995 :133) qui définit la société
civile par opposition à la société politique, les deux
s'inscrivant dans un vaste ensemble qui est la société globale.
La société globale comprend les gouvernants, les
gouvernés, les opérateurs économiques, les forces
religieuses, les syndicats, les formations ou les partis politiques et les
autres groupes de pression. Par contre, on peut définir la
société civile par rapport aux seuls gouvernés, et plus
précisément les personnes qui n'appartiennent à aucune
obédience politique, mais qui ne reste pas en marge des affaires ou des
questions politiques. Séverin Cécile ABEGA5, trouvant
la définition de Guimbo organique et ne s'étendant pas sur les
contenus, défini la société civile comme une organisation
qui rassemble les citoyens, organisant leurs intérêts, formulant
leurs demandes et les exprimant devant les décideurs.
Selon lui, la société civile se construit
à travers un certain nombre de paramètres et de conditions : le
désir de vivre ensemble, le partage de certaines valeurs, la
solidarité entre ses membres, l'acceptation d'un certain nombre de
règles communes, le rôle régulateur et censeur de l'Etat,
un certain degré de convivialité. L'existence d'une
société politique suppose des compromis entre le pouvoir et les
citoyens parmi lesquels la société civile. Ceci suppose la
déconstruction des déséquilibres et des contradictions
entre le pouvoir et les citoyens, et une reconstruction attentive à la
préservation de la justice et de la paix.
Il en ressort que la société civile est toute
organisation rassemblant des acteurs sociaux qui, loin des actions et
intérêts politiques, oeuvrent pour la défense des
intérêts (sociaux, culturels, économiques) des populations.
La société civile est une société de rencontre, de
partage et de conflits, qui n'est cependant pas indemne de crises.
V.2 - la société civile au Cameroun6
Le Cameroun accède à l'indépendance en
1960 et adopte le modèle de parti unique en 1966. Ce modèle
prévaudra jusqu'en 1990. La politique officielle veille attentivement au
respect des équilibres régionaux. A partir de 1982, on assiste
à une arrivée massive de technocrates au gouvernement. Les
premiers effets de la crise économique apparaîtront en janvier
1987. Les plans d'ajustement adoptés successivement
s'avérèrent insuffisants. La situation économique se
dégrada tandis que se relâchait le contrôle de
l'administration sur ses propres mécanismes et sur certaines couches de
population : jeunes travailleurs du secteur informel, populations des
régions enclavées ; etc....
C'est dans ce contexte, qu'en Décembre 1990 furent
votés à l'Assemblée Nationale des textes autorisant la
liberté d'association et donnant une certaine liberté
d'expression. Le pays connaît depuis lors une activité politique
intense animée par 130 partis ayant une existence légale dont 7
sont présents à l'Assemblée Nationale. Cependant, à
la suite des présidentielles de 1996, le paysage politique semble
être dominé par 3 grands partis.
Bien qu'il ait vécu quelques moments de vive tension, le
Cameroun est entré dans l'ère du multipartisme sans
excès de violence. Le syndicalisme ne connaît pas encore le
même
4 Philosophes du XVIII ème siècle
5 Ecrivains Camerounais
6 Extrait de « Société civile et
réduction de la pauvreté » de Séverin Cécile
Abéga
épanouissement. Les travailleurs des différents
corps de profession se sont cependant lancés dans un effort de
restructuration. Il existe déjà des organisations ou syndicats
regroupant des avocats, des fonctionnaires, des enseignants, des journalistes,
des étudiants et deux centrales syndicales. Peut-être
s'achemine-t-on vers une nouvelle phase de la transition démocratique en
cours, marquée par des revendications et la défense
d'intérêts à caractère plus social et professionnel
que politique. Ceci est un facteur important pour toute action touchant les
populations.
Les textes sus-évoqués ont rendu son dynamisme
à la vie associative. De multiples ONG locales sont ainsi nées,
dont beaucoup s'adonnent à la promotion, à la protection,
à l'éducation et à la formation dans tous les secteurs de
la vie sociale et politique. Parallèlement, les populations retrouvent
progressivement la parole. Sous le parti unique et avant 1990, il était
difficile de communiquer avec elles dans la mesure où elles ne
comptaient que comme exécutantes des instructions venues d'en haut. En
même temps, il était difficile de connaître leur point de
vue, la censure étant partout présente. Aujourd'hui, elles
parlent de plus en plus, et veulent participer à la vie publique. Cette
impulsion semble aussi avoir amélioré les liens entre femmes
citadines et rurales par exemple, apportant ainsi une plus grande
unicité dans la problématique de la femme camerounaise.
Cette phase voit donc entrer en scène de nouveaux
partenaires telles les ONG, les associations, les organisations
professionnelles, les municipalités. Bientôt, auront lieu des
élections régionales. La décentralisation implique
l'arrivée au pouvoir de nouveaux acteurs qui n'appartiennent pas
toujours au sérail gouvernemental, ou ont des choix différents.
Cette décentralisation implique aussi l'éclatement de certains
centres de décision, ainsi qu'une entrée en scène des
responsables élus.
Il s'agit d'une étape cruciale. On peut penser, au vu
de la misère dans laquelle vit une partie de la population, à
l'implantation de projets en vue d'apporter un changement immédiat.
Certaines situations l'exigent. Mais il serait encore plus profitable d'aider
les populations à améliorer leurs capacités de choix et
leur pouvoir en tant que masse grâce à une nouvelle échelle
de valeurs et un nouveau sens du respect de ces valeurs par une
éducation et une animation qui viserait aussi bien les couches de la
base que les nouveaux acteurs de la vie publique. Ce serait cela renforcer la
société civile.
V.3 - Rôle de la société civile dans le
développement local
Les définitions données plus haut à la
société civile la présente comme un mouvement de
défense des populations dans leur combat quotidien avec les instances
gouvernementales et dans l'amélioration de leurs conditions de vie. La
société civile a toujours joué un rôle majeur dans
le développement. Son implication intense auprès des populations
et la meilleure maîtrise des problèmes de ceux-ci lui a
donné un pouvoir d'action plus important et concret ayant des effets
directs sur les populations.
La société civile joue un rôle important
dans la lutte contre l'injustice et la pauvreté par des actions
concrètes. Dans un pays où la sécurité sociale
n'existe pas, ce rôle est tenu par des groupes à la base, les
tontines et les associations par exemple, qui collectent l'épargne, la
redistribuent, assurent contre la maladie, prennent en charge certains frais
lors des événements familiaux importants. Nous connaissons encore
l'action des associations de village en coordination avec celles des
élites et des ressortissants dans la réalisation des
infrastructures de développement comme les routes, les ponts, les
écoles, les centres de santé, l'hydraulique
villageoise. Nous voyons aussi se déployer sur le terrain
les ONG, les mouvements de jeunesse, les Églises, les associations
religieuses, etc.
Les différentes actions concrètes qu'elle a
mené jusqu'à lors lui ont donné une certaine
crédibilité auprès des organisations internationales qui
la considère aujourd'hui comme un intermédiaire
privilégié pour la lutte contre la pauvreté. En effet, sa
proximité avec la population et surtout sa position inférieure,
sous le pouvoir public, hors de la sphère politique, la place au
même niveau que les populations des quartiers, c'est-à-dire vivant
et connaissant mieux les problèmes et le quotidien de ceux-ci.
Naît ainsi des idéaux qui l'engagent à concourir avec la
population à l'amélioration de leur cadre de vie.
V.3.1 - Pourquoi le développement local
De plus en plus de théories confèrent au
développement local une alternative robuste au développement
global. Les actions de développement global ayant démontré
depuis toujours leur échec sur le plan de l'impact de ces actions sur le
développement des masses critiques du territoire : les populations.
L'idée qui prévalait dans les années
1950, 1960, 1970, idée développée par des
économistes, est que le développement économique d'un
territoire reposerait sur les grands ensembles industriels, les grands projets
d'envergure nationale, les actions à impacts globaux. Cette
théorie démontrait que l'essor de ces grands ensembles aurait un
effet sur les petits et plus petits ensembles, une sorte de transfert du haut
vers le bas. Néanmoins, ces expériences partout dans le monde ont
montré l'inexactitude de cette théorie, le développement
du haut vers le bas n'ayant pas été constaté.
Aujourd'hui, une autre théorie se développement,
une alternative à la précédente qui est en fait une
théorie contraire, qui milite pour le développement du bas vers
le haut, encore appelé développement par le bas ou
développement local.
La théorie du développement local est apparue
à la fin des années 1960 et au début des années
1970. Son apparition coïnciderait avec les premiers symptômes de la
crise qui allait affecter les économies industrialisées, ce qui
ferait voir « comme une réponse politique contestataire et
anti-économiste à une théorisation excessive et
totalitaire d'un interventionnisme étatique industriel et productiviste
retrouvant les arguments forts du régionalisme »7 Cette
apparition coïncide aussi avec l'introduction des aspects socioculturels
dans les démarches de développement à l'initiative de
l'UNESCO. Aujourd'hui les expériences de développement local
essaiment à travers le monde et un début de théorisation
est amorcé. Si une théorie achevée du développement
local n'est pas encore disponible, un certain nombre de travaux ont
été réalisés et permettent d'analyser le
phénomène. Dans ces travaux l'espace urbain est
privilégié comme cela est de coutume. L'accent est souvent mis
sur la proximité, corollaire de la forte densité, source
d'économies externes.
Nacer Taleb8 défini le développement
local en citant la définition de J.L. Guigou9 qui
parle d'expression de la solidarité locale créatrice de
nouvelles relations sociales et manifeste la volonté des habitants
d'une micro-région de valoriser les richesses locales, ce qui est
créateur
7Citation de Lacour C. Géographie
appliquée et sciences des territoires, reprise par Nacer Taleb,
université de Bejaie en Algerie dans « Gouvernance locale et
développement territoriale, le cas de pays du Sud, l'Harmattan »
8 Gouvernance locale et développement
territorial, le cas des pays du Sud, Page 79
9 Le développement local, espoir et freins,
colloque de Poitiers, 1983
de développement. Il cite également X.
Greffel° qui définit le développement local comme
« un processus de diversification et d'enrichissement des activités
économiques et sociales sur un territoire donné, à partir
de la mobilisation et de la coordination de ses ressources et de ses
énergies. Il est donc le produit des efforts de ses populations. Il met
en cause l'existence d'un projet de développement intégrant ses
composantes économiques, sociales et culturelles. Il fera d'un espace de
contiguïté un espace de solidarité active ».
V.3.2 - Société civile et développement
local
Le rôle de défense des intérêts des
citoyens et de lutte contre la pauvreté assigné à la
société civile lui confère une place de choix dans le
développement local. Ses actions concrètes, toujours à
l'échelle du quartier ou du village la présente donc comme un
acteur de choix dans le développement local.
La plupart des auteurs nomment comme acteurs du
développement local les PME ou encore les collectivités locales.
Il est vrai que leur rôle est plus que crucial pour le
développement économique, social et culturel du territoire par
l'effet de leurs actions sur le territoire ou leur mission de gestionnaire du
territoire. La société civile quant à elle a une dimension
autant de défenseur des intérêts des populations que de
mobilisateur de tous les acteurs dans une logique d'action pour le
développement propre.
La société civile au Cameroun est en effet
très mobilisée dans la réalisation d'actions concourant
à l'amélioration des conditions de vie des populations. Son
organisation devient de plus en plus structurée, fonctionnant souvent
comme des entreprises mais à caractère non lucratif. Les plus
petites se contentent de rassembler les cotisations des membres (la population
du quartier ou du village le plus souvent ayant adhéré aux
projets de l'association) pour des réalisations concrètes,
validées par tous et ayant un intérêt pour tous. Ses
actions vont également à l'assistance de ses membres en cas de
maladie ou de deuil, de mariage également. C'est comme une grande
famille regroupée pour une vie en communauté et la
solidarité entre les membres. Elles sollicitent parfois l'appui
financier d'organisations internationales ou de donateurs volontaires pour des
dons de matériels en faveurs des populations exclus (malades, orphelin,
handicapés, prisonniers,...). Les plus grosses par contre sont
généralement composées de membres ayant un profil
professionnel (ayant des niveaux d'éducation élevé) et
regroupés pour des projets plus structurés visant les populations
pour l'amélioration de leurs conditions de vie. Ces grosses
organisations travaillent le plus souvent en partenariat avec les organismes
publics (Ministères, collectivités locales) et des organismes
internationaux.
C'est sur cette dernière catégorie que portera
notre attention tout au long de ce document. Le niveau d'éducation et de
professionnalisation de ses membres lui confère parfois un statut
d'entreprise mais à caractère non lucratif. Ses
réalisations concrètes et pérennes, nécessitant de
la technicité et du professionnalisme (route, ponceaux, puits,
bâtiment, études et recherches, etc....) en direction des
populations défavorisées lui ont données de la
crédibilité auprès des organismes étatique et
internationaux qui ne cessent plus de l'intégrer dans leurs politiques
et stratégies. De plus en plus la société civile est
interpellée et associée aux projets. Les différents fonds
de financements nationaux et internationaux lui réserve une part belle
de financement à leurs projets exigeant un niveau de pertinence,
d'impact direct sur les populations nécessiteuses et surtout de
pérennité.
lo Territoires en France, Paris, Economica, 1984
La société civile a une place de choix dans le
développement du territoire. C'est même son objectif premier de
lutter contre la pauvreté en concourant à l'amélioration
des conditions de vie des populations défavorisées. Elle a depuis
longtemps prouvé son engouement et sa capacité à le faire.
Elle a de la crédibilité auprès des populations surtout et
des pouvoirs publics et mondiaux. C'est un acteur non négligeable dans
les stratégies de réduction de la pauvreté. Le
développement local, stratégie de développement global,
est son slogan.
Conclusion partielle
Le Cameroun, pays faisant partie des PPTE (Pays Pauvres
Très Endetté) connaît un état de pauvreté qui
freine considérablement son entrée dans la mondialisation. C'est
état de pauvreté est marqué par un niveau de vie
très bas (revenu moyen estimé à 26 800 FCFA) de ses
populations, un taux de sous-emploi élevé (75.8%).
L'économie camerounaise n'est pas à son beau fixe et la crise
continue de sévir. Des stratégies sont misent en place pour
palier à cet état de fait. C'est le cas du DSRP (Document de
stratégie de réduction de la pauvreté)
élaboré en 2003 et voie d'actualisation qui donne des axes de
développement assez pertinente. Dans ce combat contre la
pauvreté, des organisations de la société civile ont
montré leur motivation et leur investissement pour cette cause. Son
rôle devient de plus en plus primordial dans ce processus grâce
à sa proximité avec les populations et sa maîtrise des
problèmes réels de ceux-ci. Il est clair aujourd'hui que le
développement du pays ne passera pas sans elle. Comme axe de
stratégie de développement, ce document veut mettre la
société civile au coeur du processus par la vulgarisation et
l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la
communication dans une optique de développement local
|