IV -- Situation de la pauvreté au Cameroun et
stratégies mises en place (extrait du DSRP 2003)
Le Cameroun est entré dans le troisième
millénaire avec des atouts importants mais aussi des défis
majeurs à relever pour diversifier son économie, approfondir la
croissance et améliorer les conditions de vie de ses populations. Au
nombre des atouts, on compte un cadre macroéconomique stable
après des efforts soutenus d'ajustement, des conditions plus incitatives
pour le développement du secteur privé, une position de
pôle de développement dans un cadre sous-régional de plus
en plus ouvert, une population relativement jeune et éduquée,
capable d'absorber les nouvelles technologies et d'améliorer la
productivité, et une grande stabilité politique et
institutionnelle. Ces atouts constituent un « capital social » qui
pourra permettre au Cameroun d'attirer l'investissement étranger, de
diversifier l'économie et de relever le rythme de croissance à la
mesure des besoins et des attentes des populations.
Le Cameroun aura bien besoin de tout ce capital pour faire
face à un défi majeur, celui de combler un « déficit
social » important qui, en l'absence d'attention adéquate et
soutenue, fragiliserait à la fois les fondements de la croissance
à moyen terme et la cohésion sociale. En effet, malgré des
gains importants enregistrés lors de la deuxième moitié
des années 1990, encore 4 Camerounais sur 10 en 2001 vivent en dessous
du seuil de revenu annuel de 232.547 FCFA (soit environ 1 dollar par personne
et par jour ou 19.000 francs FCFA par mois) jugé nécessaire pour
permettre à un individu à Yaoundé de s'offrir un «
panier minimal » de dépenses essentielles alimentaires et non
alimentaires, notamment les dépenses de santé, d'éducation
et de logement. D'une manière générale, les indicateurs de
développement humain se sont considérablement
dégradés au cours des années de crise notamment dans le
secteur de l'éducation et de la santé. Les bonnes performances
économiques des dernières années ne suffisent pas encore
à redresser cette situation, même si l'incidence de la
pauvreté a commencé à reculer.
Dans l'éducation, le taux d'accès à
l'enseignement primaire des enfants en âge scolaire s'est
amélioré pour atteindre 95% en 2001 suite entre autre à la
suppression des frais d'écolage dans le primaire public. Toutefois,
seulement un enfant sur deux (56%) finit le cycle primaire à cause d'un
taux de redoublement élevé de 25% en moyenne sur le cycle et 60%
de ceux qui achèvent le primaire réussissent la « transition
» vers le secondaire. Ces faibles « taux de survie » et de
« transition » révèlent des problèmes
structurels préoccupants et entraînent un coût
économique et social considérable qui croît avec la
pression démographique. De même,
l'état de santé des populations s'est
dégradé par rapport aux débuts des années 1990. Le
taux de mortalité infantile a augmenté de 12 points entre 1991 et
1998, le taux de malnutrition chronique pour les enfants de 12 à 23 mois
a progressé de 23% à 29%, le taux d'accouchements assistés
par un personnel qualifié a régressé de 5 points au cours
de la même période. Le taux de prévalence du VITI/SIDA a
progressé de façon alarmante, de 2% à 11,8% de la
population de 15 à 49 ans entre 1991 et 2002. Dans le même temps,
les infrastructures de base se sont aussi dégradées avec la
crise, et l'accès des populations à la route, à
l'électricité et à l'eau potable demeure encore bien en
deçà des attentes des populations et des exigences de la
croissance économique.
Ces problèmes sont accentués par la croissance
particulièrement rapide de la population urbaine (5% environ). Par
ailleurs, la population camerounaise est relativement jeune (42% de la
population a moins de 14 ans et 72% a moins de 30 ans) et fortement
concentrée en milieu urbain. Ceci constitue à la fois un atout
pour l'économie, mais aussi une pression additionnelle sur les services
sociaux, les infrastructures et le marché de l'emploi. Sans une
attention collective adéquate et soutenue, ces développements
risquent de transformer les grands centres urbains en zones de pauvreté
et d'insécurité ; ce qui fragiliserait le capital social et
compromettrait les atouts compétitifs du Cameroun face au défi de
la mondialisation.
Le Gouvernement est bien conscient de l'enjeu et est
déterminé à mobiliser toutes les forces vives du pays
autour d'une stratégie viable pour un développement humain
durable au Cameroun. Aussi, l'objectif de la nouvelle génération
de politiques économiques et sociales envisagées par le
Gouvernement est-il d'une part de consolider les acquis des programmes
passés afin de relever le rythme de croissance, et d'autre part de
renforcer la sphère sociale afin que les bonnes performances
économiques se traduisent par une nette amélioration des
conditions de vie des populations. A cet effet, le gouvernement a
élaboré un Document intérimaire de Stratégie de
Réduction de la Pauvreté (DSRP-I) en août 2000. La mise en
oeuvre du DSRP-I a été accompagnée de la production d'une
série de documents de stratégies sectorielles, notamment pour
l'éducation, la santé, le secteur rural et les infrastructures de
base (routes, eau), etc.
W.1 - La pauvreté au Cameroun
Afin de formuler une stratégie efficace de
réduction de la pauvreté, les autorités camerounaises ont
mené deux séries importantes de travaux complémentaires,
qui ont permis d'évaluer l'ampleur de la pauvreté et d'en
identifier les caractéristiques ainsi que les déterminants. En
premier lieu, des analyses quantitatives fouillées ont été
faites à partir des résultats des deux grandes Enquêtes
Camerounaises Auprès des Ménages (ECAM I, 1996, et ECAM II,
2001). Cette approche quantitative a été complétée
par une évaluation qualitative de la pauvreté et de ses
déterminants, qui repose sur une série de consultations
participatives auprès des populations menées sur l'ensemble du
territoire national.
L'analyse quantitative révèle notamment que :
(i) le taux de pauvreté monétaire au Cameroun demeure encore
élevé à 40,2% de la population en 2001, bien qu'en
régression significative de 13,1 points par rapport au niveau de 1996,
(ii) la pauvreté au Cameroun varie considérablement selon les
régions, passant du simple au double entre des zones urbaines où
l'incidence est de 22% en moyenne et des zones rurales où elle atteint
50% ; (iii) la pauvreté touche particulièrement les «
exploitants agricoles » (57%), les « dépendants agricoles
informels » (54%) et ceux du secteur informel et les sans-emplois en zones
urbaines (40%). Les résultats mettent aussi en exergue l'importance de
l'éducation et des services d'infrastructure. Un pauvre sur deux vit
dans un ménage où le chef est sans instruction
primaire et l'accès aux services sociaux de base
(éducation, santé, eau, routes) est plus difficile pour les
pauvres comparativement aux non pauvres.
L'analyse de la dynamique de la pauvreté indique que
les gains en terme de réduction de l'incidence de la pauvreté
entre 1996 et 2001 (13,1 points) sont plus le fait de la croissance (11,8
points) que celui de la redistribution (1,8 points). Enfin, l'analyse
quantitative des déterminants confirme l'importance de la zone
agro-économique, de l'occupation professionnelle, de l'éducation,
de la disponibilité et de l'accès aux services d'infrastructure
dans la dynamique de la pauvreté.
Les principaux résultats de l'analyse quantitative sont
confortés par les informations tirées des consultations
participatives que les autorités ont mené auprès des
populations. En particulier, les populations camerounaises perçoivent
bien la pauvreté d'abord comme un état de dénuement
matériel caractérisé notamment par : (i) l'insuffisance de
ressources pour satisfaire des besoins essentiels ; (ii)
l'indisponibilité des services d'infrastructure ou une grande
difficulté d'accès à ceux-ci, principalement l'eau, les
routes, l'énergie électrique, et aux services sociaux, notamment
la santé et l'éducation. Les populations perçoivent aussi
la condition de pauvreté comme conséquence d'un «
dysfonctionnement social », notamment la dépravation des moeurs, la
perte de respect de soi, de solidarité familiale, les
préjugés et attitudes discriminatoires à l'encontre de
certains groupes ethniques ou sociaux. Enfin, elles associent bien la condition
de pauvreté à l'insécurité, au manque de protection
contre les abus, à l'absence de droits et à
l'inaccessibilité aux services légaux.
Les consultations participatives ont aussi permis de recenser
les recommandations des populations concernant les axes stratégiques de
lutte contre la pauvreté. Les populations ont mis l'accent sur
l'importance d'améliorer leurs capacités à
générer des activités économiques afin de se «
prendre en charge », d'appuyer les filières agricoles de production
et de faciliter l'insertion des jeunes et des pauvres dans le circuit
économique par des actions ciblées. Elles ont aussi relevé
la nécessité de résoudre les problèmes
d'accès à l'eau, en particulier dans la région Nord du
pays, de développer les routes pour désenclaver les
régions et faciliter la participation des pauvres aux activités
marchandes. Les populations ont recommandé que les autorités
accordent une plus grande attention et engagent plus de ressources pour
améliorer l'éducation et combattre les maladies contagieuses, en
particulier la pandémie du VIH/SIDA et le paludisme qui compte pour
l'essentiel de la morbidité et de la mortalité au Cameroun.
IV.2 - Les principaux axes stratégiques du DSRP
Les résultats des analyses quantitatives et
qualitatives précédentes ont permis au Gouvernement d'identifier
les grands axes de la stratégie à moyen terme de réduction
de la pauvreté, en cohérence avec les grands objectifs de
développement auxquels le Cameroun à souscrit. Les sept axes
principaux de la stratégie sont :
Axe 1 : La promotion d'un cadre macro-économique stable
Axe 2 : La diversification de l'économie pour renforcer la
croissance
a) Le secteur rural : Appuyer les opérateurs pour
favoriser la production' assurer des revenus et la
sécurité alimentaire aux populations.
(i) l'appui à la modernisation de l'appareil de
production par la facilitation des financements à moyen et long
termes, et le renforcement des ressources humaines dans le secteur grâce
à des
rénovations dans la formation professionnelle, (ii) le
développement des infrastructures dans le secteur rural (routes, piste,
eau, etc.), (iii) la restructuration du cadre institutionnel et la promotion
d'un environnement incitatif et (iv) la gestion durable des ressources
naturelles.
b) L'industrie manufacturière : Favoriser la
compétitivité générale et appuyer l'essor des
filières agroalimentaire' textile et transformation du bois
pour relever la contribution de l'industrie à la croissance.
c) Les services : Favoriser le développement du
tourisme' des technologies de l'information et de la
communication' des transports et des finances.
Pour ce qui est des technologies de l'information et de la
communication, le Gouvernement poursuit une stratégie à deux
volets. Un premier volet concerne la promotion du secteur afin de favoriser son
essor. A cet égard, le Gouvernement a créé une Agence
Nationale des Technologies de l'Information et de la Communication (ANTIC,
Avril 2002) pour promouvoir le développement des centres d'information
(cybercafé) et faciliter leur accès aux populations. Le
gouvernement considère aussi des mesures fiscales (réduction de
droits et taxes à l'importation de matériel informatique) pour
favoriser la croissance du secteur. Un second volet concerne l'accès des
populations aux services d'information. A cet effet, les autorités ont
élaboré un plan « ambitieux » comprenant l'ouverture de
centres communautaires multimédia dans les provinces afin de permettre
aux populations enclavées d'avoir accès, via Internet, aux
informations utiles dans les domaines de la santé, de
l'éducation, de l'agriculture, de l'élevage et de
l'environnement. Elles envisagent également l'installation de nouvelles
radios rurales qui viendraient s'ajouter aux quinze stations déjà
opérationnelles et qui seront financées par le PNUD et l'UNESCO.
Les autorités entendent par ailleurs mettre en oeuvre un plan sectoriel
de communication pour appuyer la stratégie nationale de lutte contre le
VIH/SIDA.
Axe 3 : Le renforcement du secteur privé comme le moteur
de la croissance
Le Gouvernement se donne pour priorités : (i)
d'améliorer l'environnement physique des entreprises en
accélérant le développement des infrastructures de
transport, des télécommunications, de fourniture et de
distribution d'énergie, (ii) d'améliorer le cadre institutionnel
et réglementaire pour accroître l'efficacité des
prestations publiques aux entreprises, (iii) de garantir la
sécurité juridique des investissements par l'amélioration
du fonctionnement du système judiciaire et l'application du cadre
juridique des affaires, et en particulier celui de l'OHADA, (iv) de promouvoir
la pénétration des produits camerounais sur les marchés
extérieurs, (v) de consolider les mécanismes de concertation et
de dialogue avec les organisations du secteur privé.
Au-delà de cette stratégie
générale, le Gouvernement entend appuyer et utiliser le secteur
privé, notamment les PME/PMI (Petites et moyennes entreprises/Petites et
moyennes industries) comme un instrument privilégié pour
créer des richesses et développer les services sociaux afin de
combattre la pauvreté. En cela, la stratégie gouvernementale de
développement du secteur privé comporte des axes
spécifiques d'appui ciblés sur les PME et les micro-entreprises.
Les objectifs sont de :(i) renforcer l'implication du secteur privé dans
le développement des capacités, notamment dans l'offre de
services sociaux tels l'éducation et la santé ; (ii) renforcer la
compétitivité des PME/PMI à fort potentiel de croissance;
(iii) mobiliser davantage des ressources financières en faveur des
PME/PMI et des micro- entreprises, par la diversification et l'adaptation des
instruments financiers, ainsi que le développement de la micro-finance ;
(iv) appuyer l'organisation du sous-secteur des
PME/PMI et de l'artisanat afin de faciliter le partenariat,
par exemple la promotion d'un programme de développement des
réseaux ou groupes (networks/clusters) de PME, de micro- entreprises et
de pépinières d'entreprises ; et (v) améliorer l'impact du
programme de privatisation sur la sous-traitance des services aux PME/PMI. Le
Gouvernement poursuivra par ailleurs sa politique d'appui institutionnel de
consolidation du secteur financier traditionnel et de la micro-finance dans le
nouveau cadre réglementaire régional.
Axe 4 : Le développement des infrastructures pour appuyer
les secteurs productif et social
Les axes prioritaires de la stratégie de
développement des infrastructures : (i) le renforcement du réseau
routier, en volume comme en qualité, (ii) l'amélioration de
l'accès à l'eau potable, (iii) l'extension de la couverture du
territoire en réseau électrique et (iv) la résolution
rapide des insuffisances actuelles dans la production électrique
constituent
Dans le même temps, il s'agit de favoriser la
création d'activités économiques et d'emploi pour les
groupes défavorisés à travers l'utilisation des techniques
à haute intensité de main d'oeuvre (HIMO) dans les programmes
d'entretien et de réhabilitation de routes et des pistes rurales. Ces
objectifs se déclinent en plusieurs axes stratégiques, notamment
: (i) des investissements nouveaux pour l'extension du réseau routier,
(ii) la réhabilitation des réseaux en mauvais état, et
l'entretien régulier de l'ensemble du réseau routier, (iii) une
programmation plus efficace à moyen et long termes accompagnée de
mécanismes de financement appropriés, et l'amélioration
des capacités d'exécution tant privée que publique.
Axe 5 : L'accélération de l'intégration
régionale
Axe 6 : Le renforcement et la valorisation des ressources
humaines
(i) la promotion de l'éducation de base pour tous, (ii)
l'amélioration de l'état de santé de la population en
général et celui des mères et des enfants en particulier,
(iii) l'amélioration des conditions de vie en zones urbaines, (iv) la
lutte contre le chômage et l'insertion des populations
défavorisées dans le circuit économique, (v) la promotion
de l'égalité et de l'équité entre les sexes, et
(vi) l'amélioration des conditions nécessaires à
l'épanouissement et à la sauvegarde de la famille et de
l'individu.
Axe 7 : Améliorer la gouvernance, l'efficacité des
services administratifs et le cadre institutionnel
La promotion de la bonne gouvernance et la lutte contre la
corruption constitueront également des facteurs essentiels de la
réussite du programme de réduction de la pauvreté. Les
populations ont en effet cité, lors des consultations participatives, la
corruption et plus généralement les manquements à la
gestion saine des affaires publiques comme déterminants importants de la
pauvreté au Cameroun. Dans le cadre de la mise en oeuvre du programme
national de gouvernance (PNG) adopté en juin 2000, les autorités
mettront un accent particulier sur (i) le renforcement de la transparence et de
la responsabilisation (« accountability »), (ii)
l'amélioration de l'offre de services sociaux de base, (iii) le
renforcement de l'Etat de droit et de la sécurité juridique et
judiciaire des investissements, (iv) la poursuite du processus de
décentralisation/déconcentration de la gestion des affaires
publiques et (v) l'amélioration de l'information du citoyen sur la
gestion des affaires publiques.
Tableau 1 : Synthèse de l'Etat de pauvreté
du Cameroun
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