L'impact des APE sur le secteur agro-alimentaire
Les relations commerciales avec l'Union européenne
représentent un enjeu crucial pour le secteur agricole. Par exemple, les
ventes de l'UE représentent 99%, 97%, 88%, 77% et 100% des achats
extérieurs maliens respectivement en blé, en farine de
blé, en poudre de lait, en autres produits laitiers et en poussins. Les
importations agro-alimentaires originaires de l'Union européenne - sans
inclure les réexportations qui ne se disent pas, de la part de pays de
l'Uemoa - représentent une valeur de 20 milliards FCFA, ce qui est
équivalent à 10% du déficit commercial du Mali.
La baisse des droits de douane appliqués aux produits
européens à l'entrée de la CEDEAO auraient un impact sur
la concurrence vis à vis du secteur agricole qu'il faut
considérer à différents niveaux :
de produit à produit, directement sur le marché
malien ; les produits européens arrivant sur le marché malien,
accroissent la pression concurrentielle sur la production nationale. Sont
concernés principalement le sucre, les huiles et les produits laitiers
;
de produit à produit, indirectement via les
marchés de débouché des produits maliens ; les produits
maliens perdant des parts de marché à l'export au
bénéfice des produits européens devenus plus
concurrentiels. Sont ici concernés des produits maliens, comme la viande
bovine, consommés par ses voisins en particulier les pays
côtiers;
de produit à un substitut. Il s'agit ici de prendre en
compte les substitutions possibles entre produits maliens et des produits
substituables (partiellement). On inclut ici le blé et le riz qui sont
deux produits de consommation urbaine principalement (sauf dans les zones de
production de riz).
Des simulations sur des modèles de filière ont
été réalisées pour les différentes
filières. La filière sucre
L'analyse de la compétitivité internationale,
à partir des calculs en prix de référence conduit à
mettre en évidence la protection dont jouit la production nationale
(TPN=110%). Grâce à la protection, ce sont l'ensemble des acteurs
concernés par la filière qui bénéficient
d'avantages (TPE = 390%). ). Ces avantages sont d'ailleurs au prix d'un effort
économique supporté par les consommateurs, sinon, aux prix
d'opportunité, la production de sucre ne serait pas rentable.
Les simulations montrent, pour une baisse de 16% du prix du
sucre importé -liée à l'abaissement du tarif -, une
augmentation des importations d'environ 30000 tonnes. Compte tenu du surplus
dégagé par les consommateurs, et du faible niveau actuel de la
production nationale, ceci ne devrait pas conduire à une contraction de
la demande pour le sucre local. Ce qui est en revanche beaucoup plus
significatif est que si la production nationale devenait beaucoup plus
importante - par exemple jusqu'à produire 170000 tonnes de sucre comme
l'ambitionne le projet Markala - , le rapport entre sucre local et
importé changerait radicalement. Pour une baisse de 16,4% du prix des
imports et pour une production de 170000 tonnes (soit 28000 ha cultivés,
la baisse de prix du sucre importé constituerait une incitation telle
sur la consommation que s'opérerait un report de la demande sur les
imports conduisant à une contraction de la demande de sucre local de 22
mille tonnes, soit une nécessité de réduire la production
de 13% et donc de recalibrer le projet d'investissement.
La filière maïs
Le maïs est classé en catégorie 1 et subit
l'imposition de la TVA. Son entrée sans droit de douane correspondrait
à une baisse de 4,7% du prix du maïs importé.
Les conséquences d'une baisse des prix
d'opportunités du maïs, seraient une baisse de la production
nationale de 4,5%. Compte tenu de la part prépondérante de la
production nationale dans la formation de la valeur ajoutée, il en
résulterait une forte variation de la valeur ajoutée au niveau de
la production, de l'ordre de -1,2 milliards FCFA, mais qui serait
compensée par l'augmentation du commerce. L'impact global sur la valeur
ajoutée serait
limité à -0,2%. Les importations passeraient de
3000 à 20000 tonnes, ce qui induirait une hausse de la facture de 650
millions FCFA.
La filière riz :
L'Union européenne n'est pas un concurrent sur le
marché du riz consommé au Mali. Les faibles productions
européennes concernent un créneau très particulier de riz
haut de gamme à prix élevé. La valeur ajoutée
créée par la filière malienne est de l'ordre de 80
milliards FCFA. Les importations représentent un peu plus de 10% de la
production nationale. L'ensemble des transferts sur les biens et services
échangeables et liés à la politique commerciale du Mali ne
sont que de 3,7 milliards FCFA. A supposer que ces transferts soient
intégralement liés à la protection vis à vis des
intrants originaires de l'UE, on se rend compte que la marge de manoeuvre est
très faible à ce niveau pour accroître la
compétitivité de la filière.
En revanche, l'APE pourrait avoir un impact sur la
consommation. Le riz est largement consommé en milieu urbain, à
40%. On peut ainsi craindre que selon le rapport de prix entre farine de
blé, également consommée en ville sous forme de pain, et
riz, ne s'opère une substitution en défaveur de ce dernier. Or
30000 tonnes de farines sont importées, principalement de France.
L'enjeu de la farine ne porte donc pas seulement sur les industries de
minoterie, mais aussi sur une partielle substitution au riz malien.
La filière lait
Le lait est le troisième produit agro-alimentaire le
plus importé au Mali. Il vient à près de 90% de l'Union
européenne. Mais le montant du total importé ne doit pas faire
oublier que le lait est principalement auto-consommé et donc en tant que
tel représente une valeur créée considérable pour
le pays. C'est l'ensemble de la valeur ajoutée dont il faut tenir compte
dans une comparaison internationale.
Or la filière jouit d'une faible protection (TPE et TPN
proches de 1). Le coût en ressources internes, proche de 0 indique une
très forte valorisation des ressources nationales et donc un
intérêt collectif à favoriser la production
laitière.
La simulation réalisée conduit à estimer
un impact important de la baisse du prix de la poudre sur la production locale.
Cette dernière pourrait se contracter de plus de 4%, ce qui conduirait
à une diminution de la valeur ajoutée de la filière de 3%.
L'augmentation des importations pourrait correspondre à une production
de 9000 tonnes de lait frais. La facture d'importation de lait
s'accroîtrait de 2,6 milliards FCFA.
Seuls les consommateurs finaux en profiteraient avec une
augmentation possible de leur consommation de 2,6% sans avoir à
dépenser plus qu'actuellement, mais ceci seulement à condition
que la baisse du prix de la poudre soit bien répercutée par les
transformateurs et commerçants.
La filière bovine
européenne pourrait devenir beaucoup plus attractive
que la viande sahélienne à la suite de la diminution du tarif
douanier. Près de 60% de la production et donc de la valeur
ajoutée est réalisée grâce au marché
d'exportation. Le risque principal pour la filière est donc que se
tarisse ce débouché.
Cette perte de part de marché serait alors assez lourde
de conséquences. Nos simulations indiquent que la valeur ajoutée
de la filière diminuerait de près de 6 milliards FCFA soit une
baisse de plus de 8%. Les conséquences sur la production nationale
serait une perte de débouchés pour 37000 animaux. Du point de vue
macro-économique, la perte en devise serait de 6,6 milliards FCFA sur
l'ensemble des exportations soit une chute de 14%.
La filière avicole
La filière avicole malienne n'est certes pas la plus
confrontée à la concurrence internationale parmi les
filières de la CEDEAO. Elle subit toutefois, au travers de l'UEMOA, les
effets indirects d'une politique peu favorable à la filière.
Actuellement, plus que le prix, on peut considérer que
ce sont les conditions d'acheminement de poulet congelé depuis la
côte vers le Mali qui limitent la concurrence. On peut se demander si la
baisse de 20% du tarif du poulet importé de l'Union européenne
dans les pays côtiers ne provoquera pas la recherche, de la part
d'importateurs ivoiriens ou sénégalais d'opportunités de
commercialisation de poulet congelé vers l'hinterland. La diminution
d'environ 100 FCFA par kilo du coût de revient sur une base prix CAF de
400 FCFA/kg pourrait devenir incitative et ainsi inverser le flux de
marchandise au détriment des exportations maliennes.
L'influence de l'APE sur la production malienne dans sa
globalité serait très faible compte tenu du poids de la
production auto-consommée actuellement. Mais la perte du
débouché à l'export induirait une perte de valeur
ajoutée d'environ 1%. A supposer que la totalité de la production
du secteur moderne soit exportée vers la Côte d'Ivoire, ce serait
35% de la production de ce secteur qui ne trouverait plus de
débouché.
La filière tomate
L'industrie de transformation de tomate ou de concentré
est absente du paysage industriel malien. Il existe pourtant un potentiel pour
la tomate locale. Dans les conditions actuelles, le droit de douane de 20% sur
le concentré accroît donc directement le prix au consommateur de
produits de la tomate sans que cela bénéficie aux producteurs.
D'autre part, on ne signale pas d'importations de tomates fraîches de
l'UE. On peut donc dire que la réduction du tarif, en dehors de
considérations fiscales, ne représente pas un enjeu crucial pour
la filière tomate.
Les huiles de consommation
Actuellement, l'importation d'huile représente une
facture de 5 milliards FCFA mais l'Union européenne ne prend qu'une
faible part dans les livraisons (36% de l'huile de soja, soit environ 80
millions FCFA). Pour le Mali spécifiquement, l'APE ne constitue donc pas
un enjeu particulier pour les huiles si ce n'est éventuellement pour
exporter de l'huile du coton vers l'UE ou plus probablement vers d'autres pays
de la CEDEAO.
La filière coton
S'agissant d'une filière d'exportation sans concurrence
sur le marché intérieur, la filière coton peut être
concernée par la mise en place d'un APE au niveau principalement de
l'accès aux intrants. On a simulé en statique - c'est à
dire sans prendre en compte l'effet sur le niveau de production - l'effet d'une
diminution du prix des intrants sur la valeur ajoutée
créée.
Le gain total serait assez faible en comparaison de la valeur
ajoutée globale : il serait de 1,3 milliards FCFA au plus, dont environ
1 milliards reviendrait aux producteurs, le reste étant à
répartir entre les différents maillons de la filière.
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