Section 2 : L'analyse empirique de la relation entre
capital humain et croissance : 2.1. Les estimations du modèle de
croissance néoclassique :
La question qui nous intéresse ici est la suivante :
dans quelle mesure la littérature empirique qui s'appuie sur les types
de modèles présentés dans la section 1 fournit-elle une
estimation crédible du rôle du capital humain dans la
croissance, c'est à dire du paramètre ß ou d'un de
ses dérivés
(â',â',â '
)? Il est d'abord utile de récapituler les différentes
stratégies d'estimation susceptibles d'être appliquées aux
différentes spécifications.
Dans leurs estimations, les économètres indicent
les pays par i et posent 0
Ait = A e avec log A 0 = a +
å
gt
où å est un terme résiduel
aléatoire et a une constante. Le progrès technique exogène
g est donc supposé commun à tous les pays. Par ailleurs,
les notations, y, k et h désigneront
dorénavant les quantités par tête qui sont mesurables
(alors que les quantités par unité efficace de travail ne le sont
pas), soitY L, etc.
La procédure la plus directe consiste à estimer la
fonction de production agrégée, logi t l o g l o g
y á k â h a g t i t
? = ? + ? + + + å (2.1)
i t i t
Cette fonction a l'avantage de décrire une relation
technique et d'être très économe en hypothèses sur
l'état de l'économie. Elle est le plus souvent exprimée en
taux de croissance, soit,
log y it - log y io á (log
k it - log k io ) â (log
h it - log h io ) gt it -
i o
? ? = ? ? + ? ? + + å
å(2.2)
à l'opposé, la forme réduite de
l'équilibre stationnaire permet d'écrire le revenu en fonction de
variables supposées exogènes (les taux d'épargne), mais
à condition de faire une hypothèse très forte sur
l'état de l'économie :
log it log log - log( )
y = á ' s + â '
s ã n g ä a gt å it
? + + + + + (2.3)
ki hi it
dans une estimation en coupe transversale, g ne peut pas
être identifié (gt est commun à toutes les observations et
entre dans la constante) tandis que ä est en
général mal connu, aussi est-il nécessaire de faire des
hypothèses sur la valeur de (g + ä).
Si on suppose enfin que les économies sont peu
éloignées de leur équilibre stationnaire, on a la relation
dite « de convergence »
log it log ki log hi - log(
it ) log
y ? = á '' s + â
' s ã ' n + g +
ä + èy + a + gt + å
it
? (2.4)
io
On trouve également dans la littérature une
spécification intermédiaire, où shi
est remplacé par *
hi :
log it log ki log h i - l og( )
log
y s it
? = á ' + â
' ã ' n + g + d
+ è y + a + gt + å
* ? (2.5)
it io
Dans l'une et l'autre de ces deux équations on peut
mettre à gauche le taux de croissance du revenu par tête (au lieu
de son niveau), ce qui conduit simplement à remplacer è
par è-1 dans le terme de droite. Trois spécifications
peuvent donc être utilisées pour mesurer le rôle du capital
humain dans la croissance, la fonction de production (2.1), (2.2), le
modèle d'équilibre(2.3) et le modèle de
convergence(2.4),(2.5); en pratique la première et la dernière
sont les plus souvent utilisées dans la littérature empirique.
L'estimation des modèles (2.3) et (2.4) a
été réalisée par Mankiw, Romer & Weil (1992),
leurs estimations principales portent sur 98 pays, pour lesquels ils disposent
de données sur la période 1960-85. Ils prennent comme mesure du
taux d'investissement en capital humain la proportion de la population active
potentielle inscrite dans l'enseignement secondaire1 en pourcentage
et expliquent soit le revenu par tête en 1985, soit son taux de
croissance entre les deux dates. Barro (1991) avait proposé une
estimation du modèle (2.4) en utilisant les taux de scolarisation
primaire et secondaire en 1960 (et en incluant un grand nombre de variables de
contrôle, dépenses gouvernementales, stabilité politique,
etc., en plus de celles requises par le modèle). Ces estimations sont
présentées dans le (Tableau 1)2 et indiquent sans
ambiguïté une relation positive entre la production
agrégée (ou la croissance) et ces mesures du capital humain.
Barro et Sala-i-Martin (1995) présentent d'autres
estimations de la contribution du capital humain à la croissance,
utilisant les mêmes données sur la même période. La
croissance du PIB par tête est fonction entre autres du nombre moyen
d'années d'études primaires, secondaires et supérieures
dans la population, et des dépenses d'éducation en proportion du
PIB au début de la période. Alors que le coefficient de
l'éducation primaire n'est pas significatif, ceux de l'éducation
secondaire et supérieure des hommes sont significatifs et positifs : un
accroissement d'un écart-type du nombre moyen d'années
d'études secondaires, soit 0,9 an est associé à une
augmentation de la croissance de 1,5 point de pourcentage, les chiffres
correspondants pour les études supérieures étant 0.2 an et
1,0 point. En revanche, l'éducation des femmes est négativement
corrélée à la croissance : un accroissement d'un
écart-type du nombre moyen d'années d'études secondaires
(0,9 an) est associé à une diminution de 0.8 point par
an.3
Ces résultats ont cependant deux défauts
principaux. D'une part, ils font une hypothèse forte sur l'accumulation
du capital humain, dont les mécanismes sont probablement beaucoup plus
complexes que ceux du capital physique (Cohen, 1996, Dessus,1998), et d'autre
part, ils font des hypothèses également contestables sur la
proximité de toutes les économies à leur équilibre
stationnaire et sur le taux de progrès technique supposé
identique pour toutes4.
Des modifications plus spectaculaires interviennent lorsque
les auteurs utilisent les données de stock pour estimer directement des
fonctions de production, de manière à limiter les
hypothèses sur l'état d'équilibre des économies.
C'est le cas de Benhabib & Spiegel (1994) qui utilisent les données
de Kyriacou (1991). Ils estiment la spécification (2.2) sur la
période 1965-1985, sans imposer l'hypothèse de rendements
d'échelle constants. Leur résultat est rappelé dans le
(Tableau 2)5 et l'effet du capital humain est cette fois
non-significatif. Pritchett (1996) estime également cette
spécification avec les données de Barro & Lee (1993) et de
Nehru, Swanson & Dubey (1995) et obtient des effets négatifs et
parfois significatifs.
1
C'est la moyenne du produit du taux de scolarisation dans le
secondaire des personnes âgées de 12 à 17 ans par la
proportion âgée de 15 à 19 ans de la population
âgée de plus de 15 ans.
2 voir page 38.
3 Ch.BAUDELOT et F.LECLERQ : « Les effets de
l'éducation »-Rapport à l'intention du Piref (Programme
incitatif de recherche en éducation et formation) ; janvier 2004 ;
P111.
4 Marc GURGAND : « Capital humain et croissance :
la littérature empirique à un tournant »- revue
économie
public » ;N°06-2000/2 ; P77
5 voir page 38.
Les résultats des nombreuses études
réalisées dans les années 1990 sont remarquablement
contradictoires. Durlauf et Quah (1998, tableau 2) citent neuf articles qui ont
trouvé des effets négatifs (mais pas toujours significatifs), en
utilisant comme variables d'éducation dans les régressions de
croissance, l'éducation primaire, l'éducation secondaire des
hommes comme celle des femmes et l'éducation supérieure au
début de la période considérée, ainsi que
l'augmentation de l'éducation secondaire des femmes au cours de la
même période. Dans d'autres articles : six seulement des seize
effets mentionnés par Durlauf et Quah sont positifs et significatifs.
Arcand et D'Hombres (2002) ont remarqué que la corrélation entre
éducation et croissance semble être positive lorsque l'on utilise
des données « en coupe », où l'on ne dispose que d'une
seule observation par pays (cf. Barro, 1991 ; Barro ; 1997, McMahon, 1998 ;
Temple, 1999), et non significative ou négative lorsque l'on utilise des
données « de panel », où chaque pays est observé
sur plusieurs années ou intervalles de quelques années (cf.
Benhabib et Spiegel, 1994 ; Bond, Hoeffler et Temple, 2001 ; Bräuninger et
Pannenberg, 2002 ; Caselli, Esquivel et Lefort, 1996;Hamilton et
Monteagudo,1998 ; Islam, 1995 ; McDonald et Roberts, 2002)1.
Ainsi, il existe à ce stade une contradiction apparente
entre les deux approches, celle qui utilise l'équation de convergence et
celle qui utilise la fonction de production, la première fait
apparaître l'effet positif du capital humain sur la croissance qui est
attendu, la 2nd étant incapable de le mettre en
évidence.
2.2. Les méthodes économétriques
utilisées :
Afin de se concentrer sur la discussion des
spécifications économiques, nous avons volontairement
laissé de coté la discussion des méthodes
économétriques utilisées pour estimer les
différents modèles. En effet la plupart des modèles
estimés sont des modèles structurelles, donc leurs estimation
pose des problèmes d'identification puisqu'il est douteux que les stocks
des différentes variables explicatives du modèle, à savoir
le taux d'investissement, le stocks de capital, la croissance de la population
ou encore le produit par tête initial, soient indépendants des
caractéristiques non observées (résidus) qui distinguent
les différents pays. Or les méthodes employées dans ces
estimations utilisent cette hypothèse forte (l'indépendance des
variables explicatives par rapport aux résidus) et cela même si
l'existence de telles caractéristiques, et leur effet sur la croissance
ou le niveau du produit sont pourtant attestés par l'introduction
d'indicatrices2 régionales dans les estimations.
Pour clarifier la discussion, il convient de distinguer, dans
le résidu non-observable, des caractéristiques constantes dans le
temps et des événements dont la nature et l'ampleur peuvent
varier d'une période à l'autre. Comme la composante du
progrès technique dans la fonction de production peut s'écrire
log Ao = a + å où å est
un résidu d'espérance nulle et a la valeur moyenne de
log A0.
M. Gurgrand Suppose que si å se décompose
lui-même en une composante individuelle constante dans le temps et un
résidu variable ; å it = ìi +
vit , alors pour estimer les modèles (2.1), (2.4) ou
(2.5)
par les moindres carrés ordinaires, il faut admettre
que
E(å it /x i t )= 0
(où x représente l'ensemble des variables
explicatives) et en particulier que E(u i /
xit ) = 0 3
1 Ch.BAUDELOT et F.LECLERQ -op. cit- p.1 12.
2 Une variable indicatrice est une variable qui
n'est composée que de 0 ou 1, elle est utilisée lorsque, dans un
modèle, nous désirons intégrer un facteur explicatif
binaire : « le phénomène a lieu ou n'a pas lieu » , ou
bien lorsque le facteur explicatif est qualitatif : « facteur de
développement ou de sous développement ».
3 Ces hypothèses ont été
utilisées dans les estimations présentées dans le tableau
1.
Mais Lorsque le modèle est estimé sous la forme
(2.2) en revanche, le résidu devient å it -
å i0 = í it -
íio et les estimations sont robustes à
l'hypothèse sur la corrélation entre l'effet
fixe ui et les variables du modèle. Le
problème de la corrélation avec la composante í
it reste cependant entier. Le point le plus important est
que les deux jeux d'estimations, celles résumées dans le
tableau 1 et celles résumées dans le tableau 2, qui conduisent
à des conclusions inverses, correspondent à des
spécifications dans lesquelles l'effet fixe ui est
respectivement présent et
absent.
Il est donc tentant de conclure que les résultats qui font
apparaître un rôle positif du capital humain sont des
résultats biaisés par la présence de l'effet fixe, tandis
que les autres seraient plus robustes.
Tableau 1 : Les coefficients du capital humain dans les
spécifications de convergence
Auteurs Variable de capital humain Estimation
Barro (1991) Taux de scolarisation primaire 1960
0.0181
(0.0060)
Taux de scolarisation secondaire 1960 0.0225
(0.0090)
Mankiw, Romer Taux de scolarisation secondaire 0.23 3
& Weil (1992) (moyenne 1960-1985) (0.060)
Islam (1995) Stock de capital humain en 1985 0.1823
(données de Barro & Lee, 1993) (0. 0895)
Source pour Mankiw, Romer & Weil (1992) : tableau V; pour
Barro (1991) : tableau IV; pour Islam (1995) : tableau V. Ecarts-types entre
parenthèses
Tableau 2 : Les coefficients du capital humain dans les
spécifications de fonctions de production
Auteurs Variable de capital humain Estimation
Benhabib Taux de croissance du stock 0.063
& Spiegel (1994) (données de Kyriacou, 1991)
(0.079)
Pritchett (1996) Taux de croissance du stock
-0.049
(données de Barro & Lee, 1993) (0.046)
Taux de croissance du stock -0.104
(données de Nehru, Swanson & Dubey, 1995)
(0.050)
Source pour Benhabib & Spiegel (1994) : tableau 1; pour
Pritchett (1996) : tableau 1. Ecarts-types entre parenthèses.
Ce point a fait l'objet de la contribution d'Islam(1 995).
Après avoir présenté le résultat que nous avons
reporté dans le tableau 1, cet auteur exploite la dimension de panel de
ses données en utilisant une observation par pays tous les cinq ans, au
prix d'une légère réduction de la taille de son
échantillon. Il estime alors le modèle (2.5) mais en
spécifiant explicitement l'effet fixe ui de manière
à obtenir des estimations non biaisées. Ses estimations sont
reportées dans le tableau 3 et confirment que, lorsque les effets fixes
sont pris en compte, le coefficient du capital humain n'est plus positif et
peut être significativement négatif. Ce résultat
démontre qu'il ne convient pas d'opposer les spécifications de
convergence vers l'équilibre stationnaire aux spécifications de
fonction de
production, mais plutôt les estimations qui ne tiennent
pas compte de l'effet fixe, qui donnent des résultats positifs mais sont
potentiellement biaisées et les estimations qui corrigent ce biais et
qui ne font pas apparaître d'effet positif, quelle que soit la
spécification économique de référence. En d'autres
termes, lorsque la présence d'effets fixes est prise en compte, le
capital humain n'a plus d'effet positif sur la croissance, quel que soit le
modèle de référence (convergence ou fonction de
production).
Tableau 3 : Les coefficients du capital humain dans
l'estimation en panel de Islam (1995)
Echantillon de pays Variable de capital humain Estimation
Non-pétrioliers Stock de capital humain
-0.07 12
(données de Barro & Lee, 1993) (0. 0323)
Intermédiaires Stock de capital humain -0.
0027
(données de Barro & Lee, 1993) (0.0471)
OCDE Stock de capital humain -0. 0208
(données de Barro & Lee, 1993) (0.0449)
Source : tableau V. Ecarts-types entre parenthèses.
2.3. Explication des résultats contradictoires
:
Que penser de ces résultats contradictoires ? Une
première réponse est que la qualité des données et
la façon dont le capital humain est mesuré doivent faire l'objet
d'une attention particulière. La plupart des travaux empiriques sur la
croissance reposent sur la même base de données ; les « Penn
World Tables1» (actualisée périodiquement ; par
exemple, Summers et Heston, 1991), qui couvrent une centaine de pays depuis
1960, avec des observations tous les cinq ans, et contiennent les séries
de PIB par tête. Les problèmes de qualité que peuvent poser
ces données affectent donc l'ensemble des travaux publiés, et il
ne reste pas grand-chose à lire de ces données car les
innovations possibles à partir de cette base sont très
importantes. Les données de capital humain proviennent de plusieurs
bases (cf. Barro et Lee, 1993 Kyriacou 1991 ; Lee et Barro, 1998 ; Mulligan et
Sala-i-Martin, 2000 Nehru, Swanson et Dubey, 1995) dont la qualité est
variable. Kyriacou (1991) combine des enquêtes ménages
réalisées dans 42 pays en 1970 avec les taux de scolarisation en
1965 et 1985 afin d'estimer les nombres moyens d'années
d'éducation à ces dates. Comme toutes les enquêtes, les
informations recueillies sont pleines d'erreurs: Krueger et Lindahl (2001)
montrent que l'accumulation du capital humain mesurée à partir de
cette base est polluée par un fort « bruit » statistique, ce
qui expliquerait son absence d'effet sur la croissance comme dans l'article de
Benhabib et Spiegel (1994). Barro et Lee (1993) utilisent une combinaison entre
deux sources de données celle de l'UNESCO, et celle issue de recensement
et des enquêtes ménages afin de donner plus de fiabilité
à leur données, mais, cette méthode na pas non plus
échappé aux critiques notamment par Behrman et Rosenzweig (1994),
qui ont montré que les définitions utilisées par Barro et
Lee n'étant ni toujours comparables d'un pays à l'autre ni
toujours adéquates (par exemple, les taux de scolarisation de l'UNESCO
incluent les enfants qui ne sont inscrits que nominalement ou quittent
l'école peu après le début de l'année scolaire).
1 Les Penn World Tables sont des tables qui fournissent les
données des variables macroéconomiques pour 168 pays pour
certaines ou toutes les années 1950-2000.
D'autres auteurs ont axé leurs recherches sur la
comparaison des différentes sources de données. On site par
exemple Bosca, de la Fuente & Domenech (1996) qui analysent en
détails les incohérences existante par exemple entre les
données de Barro & Lee (1993) et celles de Nehru, Swanson &
Dubey (1995) y compris dans le sous-ensemble des pays de l'OCDE, pour lesquels
les données statistiques d'origine devraient être les meilleures.
Un certain nombre d'invraisemblances lève en outre dans
l'évolution des stocks construits par Barro & Lee (1993). Il est
donc clair que les estimations présentent des biais d'erreur de
mesure1.
Lorsqu'une variable est mesurée avec erreur, on sait
que le coefficient estimé est biaisé vers zéro (le test de
Student de cet coefficient peut être non significatif), simplement parce
que sa corrélation avec la variable expliquée devient moins
nette. Cela pourrait expliquer qu'un effet significatif estimé sur les
taux de scolarisation (mesurés avec peu d'erreur) devienne non
significatif lorsqu'on passe aux données de stock (mesurées avec
d'avantage d'erreurs). En outre, le fait de passer en différences
premières (comme lorsqu'on passe du modèle (2.1) au modèle
(2.2) a pour effet d'aggraver l'erreur de mesure, car la différence des
stocks cumule les erreurs sur chacun des deux stocks de
départ.2
Il est cependant possible d'affirmer que ces travaux
n'apportent pas plus d'information que les modèles théoriques
évoqués à la sous section 2.1. quand aux voies par
lesquelles l'éducation agit sur la croissance. D'autres études
ont montré que le coefficient du niveau initiale de capital humain dans
les modèles de croissance peut avoir plusieurs significations, selon
l'état de l'économie des pays ou le type de régression
utilisée, ainsi , Topel (1999) et Krueger et Lindahl (2001) montrent
qu'un impact causal positif de l'éducation sur la croissance peut se
traduire par un coefficient négatif dans une régression de
convergence conditionnelle. Entre autre, le stock initial de capital humain
peut représenter le niveau d'équilibre du revenu par tête;
il peut affecter positivement le taux de croissance d'équilibre en
accélérant le progrès technique ; il peut
accélérer la croissance d'une économie dont le revenu
initial est inférieur à son niveau d'équilibre en
favorisant l'adoption de technologies existantes. Dans ce dernier cas, il est
possible que le coefficient du capital humain soit négatif : Un pays
dont le stock initial de capital humain est bas peut l'accroître
très vite, et dispose d'une marge de rattrapage importante par rapport
aux pays qui se trouvent déjà à leur niveau
d'équilibre. Enfin, Bils et Klenow (2000) suggèrent que la
causalité pourrait être inverse, de la croissance à
l'éducation : l'anticipation d'une forte croissance peut inciter les
individus à investir plus en capital humain.
Dans un article très remarqué, Pritchett (2001)
présente des résultats d'estimation utilisant les données
sur l'éducation de Barro et Lee (1993) et Nehru, Swanson et Dubey
(1995), dans lesquels l'effet de la croissance du nombre moyen d'années
d'éducation par travailleur sur la croissance du PIB par tête est
négatif et significatif. Au contraire des auteurs
précédemment cités, il considère que ce
résultat n'est pas dû à la mauvaise qualité des
données disponibles ou à des méthodes empiriques
défaillantes. Il existerait bel et bien un « paradoxe micro/macro
» c'est-à-dire que les effets microéconomiques
avérés de l'éducation sur les revenus individuels
n'auraient pas d'équivalent macroéconomique en termes de
croissance. Pritchett insiste sur
l'hétérogénéité des pays : l'effet
négatif obtenu dans une régression utilisant des données
internationales n'est qu'une moyenne d'effets positifs dans certains pays,
négatifs dans d'autres, et ce sont ces derniers qu'il convient
d'expliquer.
1 Ch.BAUDELOT et F.LECLERQ -op. cit- p.112.
2 Marc GURGAND , -op. cit- P 82.
Pritchett avance trois hypothèses. Premièrement,
l'environnement institutionnel des pays en question pourrait être tel que
des activités rentables individuellement mais contre-productives
socialement, notamment la « recherche de rentes » constituent le
principal débouché des diplômés. Le secteur public
absorbe ou, du moins, a longtemps absorbé, jusqu'aux programmes
d'ajustement structurel des années 1980 et 90, une part importante des
diplômés dans les pays en développement, alors que sa
productivité est souvent faible. Si les salaires de la fonction publique
sont fixés en fonction de l'éducation, les rendements
privés de celle-ci peuvent être élevés sans que les
rendements sociaux le soient. Il est même possible que l'augmentation du
nombre de jeunes éduqués accroisse la pression sur un
gouvernement pour qu'il crée ou maintien des emplois publics
indépendamment de leur contribution productive.
Deuxièmement, faute de transformations structurelles de
l'économie suffisamment rapides, la demande de travail qualifié
peut stagner alors même que les progrès de la scolarisation en
accroissent fortement l'offre : L'augmentation du niveau d'éducation de
la population peut déclencher une baisse de son rendement, d'où
une corrélation négative entre éducation et croissance des
revenus. Cette hypothèse pourrait s'appliquer en particulier à
ceux des pays en développement dont la croissance a été
faible depuis les années 70 ou 80.
Troisièmement, Pritchett évoque aussi la
mauvaise qualité des écoles dans nombre de pays en
développement (l'augmentation du nombre moyen d'années
d'études pourrait n'avoir guère créé de capital
humain) et la possibilité que le « tri par l'éducation
» explique une part importante de l'effet microéconomique de
l'éducation.
L'argumentation de Pritchett est contestable si l'on
considère que ce n'est pas l'existence d'un impact positif de
l'éducation sur la croissance qui est en cause, mais sa mesure. Ainsi,
Topel(1999), se référant à une version de l'article
antérieure à sa publication, montre que le coefficient
significatif et négatif de l'éducation est dû à la
façon dont Pritchett mesure le capital humain, qu'il considère
erronée.
Ainsi, l'existence d'un effet positive de l'éducation
sur la croissance, est un sujet qui suscite un débat
économétrique très passionnant, et qui n'est pas
actuellement en mesure de donner une réponse claire à ce
problème.
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