Chapitre III
Vers une cinéphilie parallèle ?
Dans leur dictionnaire théorique et critique du
cinéma, Jacques Aumont et Michel Marie définissent la
cinéphilie et proposent deux pistes d'analyse dans l'étude de la
relation de l'individu à l'objet cinématographique.
Cinéphilie : Etymologiquement, la cinéphilie
est l'amour du cinéma. Le cinéphile n'est pourtant pas exactement
un amateur érudit comme l'est, la plupart du temps, celui des autres
arts (théâtre, peinture, musique, etc....). On peut définir
cette relation de deux manières opposées, l'une négative,
l'autre positive :
- Pour la première, la cinéphilie
relève de la névrose du collectionneur et du fétichiste.
Sa passion est accumulative, exclusive et terroriste. Elle favorise
l'élitisme et le regroupement en sectes intolérantes
(...)
- Pour la seconde, la cinéphilie est une culture
fondée sur la vision et la compréhension des oeuvres. C'est une
expérience esthétique, née de l'amour de l'art
cinématographique, l'une des versions de « l'amour de l'art »,
tout court121. (p. 34).
Ces deux types de relations telles qu'elles sont
décrites, peuvent nous interpeller dans leurs dimensions excessives,
dans l'idée qu'elles proposent de la relation de l'individu avec le
cinéma. La cinéphilie domestique telle que nous l'envisageons
pourrait être un hybride entre ces deux propositions, entre collection
névrotique et analyse esthétique.
A- la dimension participative de l'individu
121 AUMONT Jacques, MARIE Michel, Dictionnaire
théorique et critique du cinéma, Armand Colin Cinéma,
Paris, 2005, 246p.
Le premier aspect de la cinéphilie domestique et bien
entendue le fait de l'éprouver dans un espace privé. À ce
titre, Dirty Dancing est intéressant, puisqu'il est doublement
éprouvé dans des espaces privés : nous avons pu
évoquer sa réception individuelle, son rôle de
fétiche, et sa réception collective qui faisait du film un
support de communication.
Le second facteur de la cinéphilie domestique pourrait
être le plaisir éprouvé d'être face à un objet
connu. Seule, nous pouvons éprouver le sentiment rassurant de la
connaissance de l'objet, de sa fonction de révélateur de
nous-mêmes. En groupe, outre le plaisir d'être ensemble, il y a
l'excitation du partage. Partage d'un moment privilégié autour un
film, mais partage aussi la connaissance commune. Ainsi, chaque participant au
visionnage du film fétiche est dans une situation d'attente, puisqu'il
espère partager et communiquer ce que lui préfère du film.
De même, la connaissance que chacun a de l'objet film fait naître
une émulation. (Calbo in Laurent Creton)
Si le film peut être considéré comme
l'objet principal de l'activité collective, la socialisation qui nait de
ce moment est principalement basé sur l'initiation de ceux qui ne
connaissent pas, ou moins, les subtilités du film à regarder.
Nous affirmons donc que cette cinéphilie à deux
aspects met en avant la dimension participative de l'individu dans son mode de
réception socialisant. De même, il est possible que la
réception individuelle soit appréhendée par la spectatrice
comme un moment d'apprentissage, de révision, comme le soulignaient
quelques-unes des jeunes femmes rencontrées : certaines d'entre elles
utilisaient les termes de « piqûres de rappel ».
La dimension participative est d'autant plus renforcée
qu'il il ne s'agit pas d'un film vu en direct à la
télévision. Non seulement le film est vu dans un espace
privé, mais son visionnage provient d'une volonté partagée
de le voir. Ce n'est pas un film vu par dépit, ou par élimination
au vu de la programmation télévisuelle. Il s'agit d'un vrai
choix, un choix qui a d'autant plus son importance quand le film a
déjà été vu.
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