B- Une cinéphilie bâtie à deux
vitesses
1. Eprouvée en groupe...
Outre le fait d'être considéré comme un
support de communication, le film- fétiche apparaît chez certaines
spectatrices comme un révélateur de goût, d'attachement
à un genre ou à un acteur. C'est aussi l'occasion
d'éprouver son analyse personnelle du film et de la confronter au reste
du groupe. Du rassemblement et de l'intérêt autour du même
fil peut naitre de véritables rassemblements cinéphiles, comme
l'observe Jean Pierre Esquenazi122 lorsqu'il étudie les
publics lycéens :
« Ils réfléchissent sur les films et
réfléchissent à partir des films : il s'agit d'une
véritable cinéphilie, même si elle ne suit pas les canons
instaurés par la génération des cahiers du cinéma
».
Le rassemblement autour d'un objet-film alimente une
cinéphilie spécifique et permet d'affirmer ses
goûts, des goûts spécifiques, permet de s'affirmer
devant chacun.
In fine, dans le visionnage collectif, c'est la
dimension groupale qui compte le plus, puisque le film n'en est qu'un
prétexte, nous pouvons donc considérer le visionnage collectif
comme l'élément déclencheur, le lieu de transmission(s) et
de dialogue, d'échange et de débat. C'est aussi dans ce cadre que
peuvent se développer différents niveaux de lectures et d'analyse
d'un film. En effet, successivement à la « fascination »
engendré par un film, les spectatrices avouent se moquer volontiers,
d'abord du film, puis d'elles-mêmes. Mais ce mode de lecture «
parodique » ou critique est tout aussi nécessaire
à l'affirmation du soi et du groupe que la première lecture,
où les spectatrices enchantées par l'histoire d'amour
narrée se mettaient à rêver de prince(s) charmant(s)
ensemble. Dominique Pasquier évoque les communautés critiques et
parodiques dans la culture des sentiments123. Bien
que son propos soit orienté sur le public d'Hélène et
les Garçons, nous voulons l'appliquer à Dirty
Dancing dans la mesure où ce film est également un objet de
jeunesse qui continue à être regardé :
122 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Cinéma Contemporain,
états des lieux, L'Harmattan ,Paris, 2004, p.108
123 PASQUIER, Dominique, La Culture des sentiments,
Editions de la maison des sciences de l'homme, Paris, 1999, 236 p.
« Une telle rhétorique a son utilité.
Tout d'abord elle permet de regarder la série : en affichant une
position très critique, ces adolescents marquent bien les
différences entre eux et le public prétendument mystifié
du primaire. Ils regardent la même chose, certes, mais avec un regard qui
est diamétralement opposé. Ensuite, c'est une manière de
se solidariser avec d'autres, qui portent le même regard critique : une
sorte de NOUS qui se constitue contre le IL de l'écran. (...) la
position du téléspectateur critique n'est viable qu'au sein d'une
communauté. »
En élaborant plusieurs niveaux d'interprétations
du même objet cinématographique ou télévisuel, la
communauté qui s'était initialement rassemblé autour du
même film mesure son évolution sans pour renier le film en soit,
puisque les spectatrices rencontrées continuent de le regarder. De fait,
nous pouvons considérer la dimension collective de la cinéphilie
comme le lieu d'analyse et de confrontation mais qui alimente cependant la
culture cinématographique telle que peuvent l'appréhender les
spectatrices, en étant seules. En effet, si la principale
caractéristique de la cinéphilie domestique est de
s'éprouver dans un espace privé, elle résulte aussi d'une
construction individuelle, alimentée par les apports
extérieurs.
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