Introduction
Pour étudier l'acte de collectionner dans la
construction de la culture cinématographique, il nous a fallu
délimiter un terrain de recherche. Le film qui nous a
particulièrement intéressé, Dirty Dancing,
semblait propice à une étude particulière dans la mesure
où il faisait l'objet de conversations, de réminiscences, de
critiques, formulées bien souvent dans des cadres informels et de la
part de personnes de sexe féminin9. Le fait qu'un film fasse
autant parler de lui été d'autant plus intéressant que les
personnes rencontrées précisaient l'avoir vu un bon nombre de
fois et le regarder encore.
Aussi, il nous paraissait particulièrement
intéressant de rencontrer cette génération de jeunes
femmes qui avaient regardé Dirty Dancing à la fois celle
est en groupe et qui avait fait de ce film leur film fétiche.
Pour délimiter notre terrain de recherche, nous avons fait le choix de
faire passer des entretiens à 15 jeunes femmes de 20 à 35 ans.
Les délimitations d'âge ont été faites d'une part,
en fonction de la date de sortie du film ; 1987, et d'autre part, nous voulions
étudier Dirty dancing comme un objet de jeunesse.
C'est-à-dire un film qui était apparu dans l'adolescence des
jeunes femmes et qui avait contribué à la construction de leur
identité à la fois cinéphile et culturelle. Nous avons
donc choisi un âge limite en supposant que la jeune femme aurait eu 15
ans10 l'année de la sortie du film. Pour rencontrer ces
jeunes femmes, nous avons procédé par réseau en essayant
de diversifier les âges et les situations géographiques.
Dès lors, nous avons procédé à des
entretiens directifs, à partir d'une grille que nous avions
élaborés. Bien que la trame ait été définie,
nous avons eu de cesse de nous réadapter aux propos tenus par les jeunes
femmes que nous rencontrions.
9 Nous avons particulièrement
été sensible à cette référence
cinématographique récurrente qui revenait dans le cadre de
conversation privées et féminines (partagées par des
jeunes femmes entre 22 et 25 ans) mais aussi par des propos plus « people
». Ainsi, la chanteuse Diam's dit « Vers 10-12 ans, ça a
été la Boum et Dirty Dancing, que j 'ai vu deux mille fois ! Je
rêvais d'être Bébé, l'héroïne du film, et
trouvais Patrick Swayze plutôt beau gosse, et puis ça touchait
à la danse, à la musique » magazine STUDIO paru en
novembre 2006 (n° 228)
10 Âge symbolique, majorité sexuelle.
Lors des entretiens, les jeunes femmes avaient l'impression de
se confier car elles parlaient de leurs enfances, de leurs adolescences, de
leurs premiers amours, et de cette expérience spectatorielle qu'elles
jugeaient très personnelle. Tout d'abord, les jeunes femmes que nous ne
connaissions pas ont instaurées d'elle-même le tutoiement en
précisant que, étant donné qu'elles allaient raconter des
choses sur leur vie « privé », cela ferait de nous des
intimes. Les entretiens étaient donc partagés entre
récits de vie et auto-analyse. La dimension subjective de l'entretien
est importante car elle apparaît comme un facteur d'interprétation
au premier degré des propos de la jeune femme rencontrée. De la
même manière que l'énonce Bernadette Bawin-
Legros11 : «II faut être terriblement prudent
lorsqu'on recueille des récits de vie est pas extrapoler trop vite, car
les acteurs ont souvent tendance à rationaliser a posteriori, à
mettre volontairement un sens là où la vie les a simplement
entraînés » (p.93).
La dimension subjective, l'analyse sauvage
élaborée par les spectatrices apparaît comme un facteur
d'évolution dans la réception qu'on a d'un objet
cinématographique particulier. Aussi, nous nous ne devions pas
l'occulter et la considérer avec prudence. Il s'agissait de comprendre
pourquoi ce film avait particulièrement compté, et pourquoi il
l'avait fait l'objet de visionnage récurrent. À la fois
étude d'une pratique, d'un public et un objet spécifique, notre
travail de recherche tend à explorer la circulation d'une oeuvre
à travers la manière dont elle a été
reçue.
Dans une première partie, nous proposerons la notion de
film fétiche de salon que nous définirons à
travers l'exemple de Dirty Dancing. Cette partie fera l'objet d'une
analyse spécifique de l'objet film. La deuxième partie traitera
plus spécifiquement de l'acte de collectionner, nous nous interrogerons
sur ce mode de consommation et ce qui en découle. Enfin, nous nous
interrogerons sur la circulation du cinéma, de la pratique de sortie
à la domestification du septième art.
11 BAWIN-LEGROS, Bernadette,
Génération désenchantée-le monde des
trentenaires- Payot, Paris, 3006, 213 p.
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