C- Le Savoir
Dans son ouvrage, Différence et
Répétition, Gilles Deleuze évoque la thèse de
Hume " la répétition ne change rien dans l'objet qui se
répète, mais elle change quelque chose dans l'esprit qu'il la
contemple79" (p. 96)
En effet, nous pouvons considérer que chaque visionnage
d'un film est un apport, à la fois dans sa connaissance de soi mais
également dans sa connaissance du film, ou de l'objet culturel dont il
est question.
Je l'ai regardée à pas mal de mois d'intervalle
aussi ! Donc à chaque fois, je redécouvre... En fait, il y a des
trucs dont je ne me rappelle pas... Et je m'en rappelle... Caroline, 27
ans
... Mais bon, il y aussi des films d'amour, que j'ai vu
plusieurs fois, que je regarde en boucle... Je peux le voir un soir, et le
lendemain je le regarde encore... Je peux me faire des soirées, il y a
aussi « Espace détente », que j'ai adoré...
À chaque fois que je le regarde, je vois des petites
subtilités...
Emilie, 29 ans
Mais c'est des films cultes !! C'est des films cultes... C'est
des films dont je peux me rappeler les paroles... !
Allison, 21 ans
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Répliques, Musique, subtilités d'humour ou de mise
en scène... Autant d'éléments auxquels la spectatrice est
sensibilisée au fur et à mesure des visionnages.
78 BERTAUX, Daniel, la perspective ethnosociologique
in l'enquête et ses méthodes : le récit de vie, Armand
Colin, 2005, p.21.
79 DELEUZE, Gilles, Différence et
Répétition, PUF, Paris, 1968, 407 p.
Même s'il s'agit du même film, il n'est jamais
identique comme le souligne Gilles Deleuze : " le paradoxe de la
répétition n'est-il pas qu'on ne puisse parler de
répétition que par la différence ou le changement qu'elle
introduit dans l'esprit qui la contemple ? Par une différence que
l'esprit soutire à la répétition ?80"
Chaque visionnage entraîne des retours en
arrière, des souvenirs de ce qu'on connaît... Mais on ne peut
considérer la collection comme mode de consommation si on n'envisage pas
la collection comme apport d'un savoir. De même, plus on va savoir de
choses sur le film, plus on va voir les différences et les nouvelles
caractéristiques. Cela peut aller du détail, une tenue, une
réplique, un trait d'humour que l'on n'avait pas remarqué au
message transporté par l'objet film. Avec du recul, la spectatrice de
Dirty Dancing se rend compte du modèle amoureux
véhiculé, du stéréotype... Prendre de la distance
peut sans doute nous permettre d'intellectualiser nos relations aux choses.
Outre les subtilités évoquées dans les
derniers les extraits d'entretiens, nous pouvons rendre compte de la
connaissance que la spectatrice du film dès lors qu'elle en parle :
Il y a trois scènes que j'adore dans ce film... Il n'y
a la scène où elle apprend à danser... Dans l'eau ! Avec
le porté, machin... Quand ils sont tout mouillés... Il y a la
scène où il abandonne un peu, où je ne sais plus quoi...
Je crois qu'il y a son père qui est venu lui parler... Venu lui faire la
morale... Lui dire que c'était un gros looser, et elle « mais non,
Johnny, tu n'es pas un looser ! » Et là, ils vont coucher
ensemble... Et c'est trop romantique... Et la dernière scène...
Où il vient la chercher dans la salle... Et il dit « On ne laisse
pas bébé dans un coin »...
Amélie, 29 ans
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Non seulement la spectatrice se souvient des scènes du
film, les raconte, les joue, mais elle cite simultanément des
répliques comme pour mieux nous faire partager l'action. La connaissance
du film lui sert à accréditer son jugement. La scène
est romantique à la fois dans l'action est dans le
propos.
80 Op.cit. p.96
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