B- Le retour en arrière
Nous avons vu que la collection d'un objet culturel engendrait
un « regard oblique » plutôt que critique sur cet objet, et, de
fait, sur soi-même. Plus qu'un retour en arrière sur l'histoire de
la consommation que nous avons pu avoir de tel ou tel objet, il s'agit d'un
vrai travail de réminiscences. C'est cette « analyse sauvage »
effectuée par les jeunes femmes lors des entretiens. Un « objet
culturel » tel que Dirty Dancing n'est pas seulement le
déclencheur d'un imaginaire d'adolescentes et ce n'est pas
seulement un « idéal temporaire » : nous pouvons le
reconsidérer d'une manière beaucoup plus pragmatique grâce
aux entretiens que nous avons effectués, c'est à dire comme un
prétexte à communication.
Outre les moments d'union et de réunion entre les
jeunes femmes évoquées, l'objet-film fétiche de salon peut
aussi être, peut apparaître comme, le symbole d'un
77 TISSERON, Serge, Réalité ou
Fiction, comment faire la différence ? in Les bienfaits
des images, Odile Jacob, Paris, 2002, 258 p.
moment particulier partagé qui force la jeune
femme à se rappeler de tel ou tel passage de sa vie :
Combien de fois avez vous vu Dirty Dancing ??
« A peu près ...euh... alors comme j'étais
plus jeune, j'ai pas de souvenirs temporels exacts, mais je pense l'avoir vu au
moins une vingtaine de fois...en fait, pour resituer exactement, mes parents
sont divorcés et donc a cette époque là, je faisais une
semaine chez ma mère , une semaine chez mon père,
voilà...le dimanche, c'est là qu'on intervertissait chez l'un ou
chez l'autre, et le dimanche, chez ma mère, tout les 15 jours, je
regardais Dirty Dancing... voilà... pour les conditions de visionnage...
c'est ça, c'est toute seule dans mon salon, je crois que ma mère
et mon frère déguerpissaient, enfin, j'ai pas le souvenir qu'ils
regardaient ça avec moi...et bon, je peux les comprendre parce que...
parce que peut être la première fois ça les as
amusés et ensuite p'têtre plus et voilà... c'était
euh..Oui, le film du dimanche... »
Sophie, 25 ans
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Lors de son entretien, Sophie nous a expliqué que pour
comprendre sa pratique de visionnage de Dirty Dancing, elle devait
nous expliquer sa situation familiale. Selon elle, selon sa
subjectivité, cette situation familiale serait la cause,
l'élément déclencheur de son acte de collection. On
retrouve dans cet entretien l'importance du contexte familial et la
nécessité de reformer indirectement un lien social «
rassurant » ; la manière dont Sophie pense avoir imposé
son film fétiche à sa famille témoigne du sentiment
d'avoir à reformer sa place au sein de la cellule familiale. Dans la
mesure où cette donnée qu'on peut qualifier d'"empirique"
alimente la formation de la trajectoire personnelle, et dans le cas qui nous
intéresse de l'identité culturelle et cinématographique,
elle devient essentielle. C'est ce que souligne aussi Daniel Bertaux : «
le recours aux récits de vie s'avère particulièrement
efficace, puisque cette forme de recueil de données empiriques colle
à la formation de trajectoire ; elle permet de saisir
par quels mécanismes et processus des sujets en sont
venue à se retrouver dans une situation donnée (...)78
»
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