B- Du groupe à l'individuel
De l'amulette au lieu de parole, Nous pouvons observer
l'importance du rôle joué par le film fétiche. Pourtant,
nous devons considérer l'existence de ces deux modes de réception
parallèle comme inhérents aux parangons Dirty Dancing.
Ces deux modes de réception sont au coeur de l'expérience de la
spectatrice, puisqu'elles cumulent les deux, de manière
générale.
Il semble que la spectatrice fait d'ailleurs la
différence, sans forcément s'en rendre compte, entre ces deux
modes de réflexion. Si elle considère Dirty dancing
comme un « doudou », elle se remémore ses soirées entre
filles comme un prétexte à l'excitation de se réunir. Le
travail sur l'identité et la recherche du plaisir collectif ne peut
être évoqué sans faire référence à
Durkheim, notamment son travail dans le Suicide69 mais
aussi dans Les formes élémentaires de la vie religieuse,
En effet, selon lui, l'action collective de la recherche de plaisirs tire sa
force du plaisir en soi qu'engendrent les similitudes des sentiments des
personnes de la même communauté. Dans l'ouvrage collectif
dirigé par Laurent Creton, Stéphane Calbo70, affirme
que « la réception domestique d'un film est une activité
socialement organisée, où on apprécie un être
ensemble et qu'on jouit d'un moment de plaisir collectif » (p. 161).
La notion de plaisir est ici importante parce qu'elle donne à
l'idée même de groupe une connotation positive et il nous
apparaît que la ritualisation de la réception n'est pas contrainte
mais bel et bien souhaitée par ses participantes. Affirmer son
appartenance à un groupe, affirmer son identité sexuelle, c'est
communiquer aux autres qui on est. Mais c'est aussi se communiquer à
soi.
Finalement, le film fétiche de salon ou film
fétiche domestique apparaît comme un moyen de communication,
« prétexte-à-société », mais
également comme, une amulette personnelle que l'on transporte et qui a
la triple fonction de nous protéger, de nous intégrer et de nous
séparer des autres. Si nous pouvons attribuer la caractéristique
« domestique » au film fétiche, c'est parce que cette
caractéristique nous apparaît essentielle dans la mesure où
le film fétiche et notamment sa réception, reste quelque chose
d'intime. Nous allons voir dans une seconde partie que cette notion de film
fétiche
69 DURKHEIM, Emile, Le Suicide, Presses Universitaires
de France, Paris, 1930, 463p.
70 CALBO, Stéphane ( Sous la direction de
Laurent Creton), le cinéma à l'épreuve du système
télévisuel, CNRS éditions, Paris, 2002, 307 p.
implique et est impliqué par un mode de consommation et
nous allons pouvoir nous interroger sur le fait que la collection,
c'est-à-dire le visionnage de manière récurrente, soit ce
mode particulier de consommation.
Partie II La collection comme mode de
consommation
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«Par-là même occasion, nous pouvons
définir le lieu de la consommation : c'est la vie quotidienne. Cette
dernière n'est pas seulement la somme des faits et gestes
quotidiens, la dimension de la banalité et de la
répétition, c'est un système d'interprétation.
» Jean Baudrillard71
Pourquoi parler de collection et non de
répétition ? Nous choisissons ici d'employer le terme de
collection pour désigner l'ensemble des visionnages récurrents,
certes, mais pour y joindre tous les comportements qui s'additionnent autour de
cette pratique.
En réalité, il s'agit de considérer
« l'acte de répétition comme une collection de l'esprit
»72.
De plus, si on se réfère à son
étymologie, nous pouvons voir que « collection » vient du
latin collectio qui signifie « action de recueillir,
réunion, rassemblement », mais aussi des termes colligere
« réunir ». La notion de collection s'adapte à notre
étude puisqu'il y est question de réunion d'individus autour d'un
film, mais aussi parce que ce terme inclut l'idée d'un apport
systématique à chaque usage.
Nous avons fait le choix de ne pas utiliser le terme de «
répétition », qui mobilise des a priori du domaine de la
psychanalyse, notamment dans les théories freudiennes. En effet, le
terme de répétition signifie la réitération d'un
acte, le psychanalyste accole à cette notion le terme de compulsion (
Wiederholungswang73). Pour Freud, la compulsion de
répétition appartient au domaine de la névrose
obsessionnelle, bien qu'il souligne le caractère organisé et bien
souvent ritualisé. Pour lui, le sujet répète au lieu de
se
71 BAUDRILLARD, Jean, La société de
consommation -ses mythes, ses structures- folio essais, Paris, 1986, p. 33
72 Nous faisons ici référence à
l'acte de répétition dans le domaine culturel, à l'image
de l'objet de notre étude. La répétition au sens ou nous
l'entendons (visionnages récurrents du même film) instaure un
épiphénomène de récolte d'informations relatives
à l'objet culturel certes, mais également à tout ce qui
l'entoure. La notion de « collection de l'esprit reprend le propos de
David Morin-Ulmann : « la répétition c'est une collection de
la tête » in Kronos TGV 1997-2007, journal non
publié.
73 ASSOUN, Paul-Laurent, Le vocabulaire de Freud,
ellipses, Paris, 2002, p.58.
souvenir, et c'est cette compulsion qui est à l'origine
du plaisir éprouvé74. Et c'est proprement cette
dimension, c'est l'idée que le sujet soit passif face à un de
mode consommation que nous voulons occulter.
La collection cinématographique peut être
considérée comme habitus spatio- temporel dont la
caractéristique principale est la continuité dans le temps,
lorsque le film-fétiche est présent chez les spectatrices depuis
des années. Aussi, elle apparaît comme un choix, une pratique
assumée par les spectatrices. C'est ce qui nous pousse à penser
que l'objet de notre étude peut également être
appréhendé comme un mode de consommation.
74 FREUD, Sigmund, Au delà du principe de plaisir
(1920), in Essais de Psychanalyse, Petite bibliothèque Payot,
réédition 2001, 277 p ;
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