Chapitre III
Un système de communication
Nous avons vu que l'objet film était le support au
récit de soi et à la discussion. Nous pouvons le
considérer comme le support de la communication adolescente. Le rite est
vécu comme un signe de reconnaissance sociale à usage interne. Le
rite permet la construction de l'identité sociale et contient le
principe de sa propre reproduction, l'initié devient ensuite
l'initiateur (Rivière, 1995).
La manière dont un film, dans ce cas précis
Dirty Dancing, apparaît comme révélateur des
identités est particulièrement intéressant parce qu'il est
à la fois objet de consommation culturelle et objet symbolique. Il ne
stigmatise pas l'ensemble d'une pratique culturelle mais il représente,
il symbolise une période de vie.
A- Un révélateur des identités
Nous avons vu que le film fétiche pouvait être le
prétexte à la formation d'un groupe, à un rassemblement.
De même, la ritualisation du visionnage sur laquelle nous reviendrons
ultérieurement était le moyen d'ouvrir un lieu de parole. Il
convient de nous interroger à présent sur ce système de
communication, ses apports et ses influences dans la construction de
l'identité cinéphile, et, a fortiori, dans l'identité de
la cinéphile. Dans La Culture des sentiments66,
Dominique Pasquier étudier l'impact des séries
télévisées sur les adolescentes, et notamment
l'expérience de la série Hélène et les
Garçons67 sur les adolescentes :
« La sociabilité féminine s'organise
autour des séries sentimentales (...) C'est aussi qu'il s'agit d'une
déclaration de choix et que ce choix engage une identité
sexuelle.
66 Pasquier, Dominique, La Culture des
Sentiments, Editions de la maison des sciences de l'homme, Paris, 1999, p.
181
67Hélène est les
Garçons est une série télévisée
française, crée par Jean-François Porry et produite par AB
Productions. Diffusée de 1992 à 1994. Cette série raconte
les histoires d'amour au sein d'un groupe d'amis, étudiants. Avec
Hélène Rolles, Patrick Puydebat, Sébastien Roch...
En marquant leur adhésion à l'univers des
sentiments, les filles marquent leur adhésion à une
communauté d'échanges féminines. (...) De même, les
séries agissent comme marqueurs d'identité
générationnelle. "(p. 181)
La série dont il est question dans cet ouvrage a
débuté bien après la sortie de Dirty Dancing,
cependant on peut penser que les spectatrices Dirty Dancing ont
également regardé cette série puisque cela correspond
démographiquement à la même génération... Si
l'étude de Dominique Pasquier ne concerne que l'univers
télévisuel, on peut facilement se rendre compte que la question
de l'identité est également présente dans notre
étude, notamment par l'évocation de l'identité
sexuée. De plus, si on considère que les spectatrices
interrogées ont majoritairement vu Dirty Dancing à la
télévision, le mode de réception est vraisemblablement
similaire à celui des séries télévisées.
Sachant que les jeunes femmes interrogées sont aussi consommatrices de
télévision et de séries, on peut imaginer que ce
comportement influe sur la consommation d'un film. Une série comme
Hélène et les garçons était hebdomadaire,
ce qui rendait sa réception journalière... Ainsi, on peut
imaginer que cette ritualisation instaurée par les séries a
créé une nouvelle habitude de consommation et une influence sur
le fait que les spectatrices puissent regarder plusieurs fois le même
film. Même si le parallèle entre réception d'une
série télévisuelle et édition d'un film
fétiche tient davantage de la proposition d'analyse que de
l'enquête de terrain, il paraît intéressant de se pencher
sur la ritualisation systématique de ses prétextes au dialogue
entre filles.
Qu'il s'agisse d'une série adolescentes ou d'un film
pour adolescentes, le schéma de communication reste le même
puisqu'il s'agit pour les adolescentes de communiquer autour de ce qu'elles
voient dans leur poste de télévision. Symboliquement, quel que
soit l'objet on peut penser qu'elles cherchent le moyen de recréer cette
situation de communication et c'est cette situation qui apparaît comme
une étape essentielle dans la construction de l'identité de la
cinéphile ou de la spectatrice. Martine Segalen évoque Mauss
à propos des rites contemporains68 : « existe du
rite là où se produit du sens ». C'est justement cette
production de sens qui est au coeur de notre problématique puisque d'une
part, nous cherchons le sens de l'acte même de collectionner, mais
puisque l'acte lui-même est au coeur d'un système communicationnel
il est donc lui-même producteur de sens.
68 SEGALEN, Martine, Rites et Rituels
contemporains, Armand Colin, 128, Paris, 2005, p. 17
Mémoire de Master 2 Etudes, Recherches, Prospectives /
Parcours Festival(s) Cinéma
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