C- le rite adolescent
Le fait de se réunir en groupe autour d'un «
fétiche » (pour soi) et totem pour les initiées fait
forcément écho à une pratique religieuse, ou au moins
à une expérience du rite, puisque ceci inclut l'idée de
regroupement d'individus, ce que nous pouvons considérer comme la forme
socialisante d'une pratique culturelle. Claude Rivière a
étudié les rites "profanes"61 dans un ouvrage
éponyme. Il est particulièrement intéressant de constater
le parallèle fait entre le rite individuel et le rite collectif. En
effet, si on considère qu'un rite a pour fonction d'être social,
l'individu peut tenter d'éprouver seul ce qu'il a
expérimenté en groupe. Cette proposition semblait être
applicable avec le film fétiche, en effet les jeunes femmes qui ont
découvert ce film par le biais de leurs amies le regardent par la suite
seules. « Le rite collectif en appelle a des rites individuels, le
rite individuel est accompli par une personne qui utilise une
scénographie collective62 ». La démarche
individuelle contribuerait alors à une socialisation et
réciproquement : « C'est la socialité des rites qui
constitue sa propre
60MOULIN, Caroline, Féminités
adolescentes, itinéraires personnels et fabrication des identités
sexuées, Presses Universitaires de Rennes, 2005, p. 165.
61 RIVIERE, Claude, Les rites profanes,
Presses Universitaires de France, Paris, 1995, 231 p.
62 Op.cit, p. 15
efficacité »63. En
expérimentant une pratique socialisante, les spectatrices sont dans une
expérience de réminiscence. Bien qu'elles admettent regarder ce
film seules, le souvenir des soirées entre filles de l'époque est
omniprésent et appartient entièrement à
l'expérience de la pratique de ce film fétiche.
Il apparaît que la participation à ces moments de
partage contribue à la construction de l'identité de l'individu.
Premièrement, parce que l'adolescente a été « admise
» dans un groupe.
(...) Pour moi il fallait le voir, pour faire partie d'une
tribu, pour faire partie des nanas qui avaient vu ce film il fallait le voir
plus ou moins pour être normal... Après, moi je l'ai
adoré... Même si, au départ c'était pour faire comme
les autres, c'est quand même une histoire que toutes les nanas ont vue...
Il fallait le voir quoi ». Juliette, 24 ans
Deuxièmement, parce qu'elle y a trouvé un lieu
de parole. Ce lieu qui va permettre l'échange, va aussi être un
lieu de transmission : «Le rite comme pédagogie
d'intégration de la culture à l'individu, puisque s'y
façonnent les personnalités qui, bénéficiant de la
mémoire du groupe, tendent à se laisser guider par les
systèmes rituels d'anciennes expériences
objectives.64 » Le rite participe à la construction
du soi65, mais également à la perception d'autrui. En
confrontant ces expériences, on confirme appartenir au même groupe
et pourtant, on se différencie. Le film fétiche, « la base
» apparaît comme un support de communication, ce qui nous permet
d'envisager cette pratique culturelle socialisante du film comme système
de communication.
63 Op.cit, p. 25
64 Op.cit, p. 51
65 Nous pouvons considérer le « soi
» comme étant l'ensemble des connaissances qu'un individu a sur
lui- même il correspond ici au soi relationnel (théorie du faux
self de D.R Winnicott- Processus de maturité chez l'enfant) qui inclut
l'influence de la relation aux autres sur la perception qu'on a de
soi-même. En sociologie, il s'agirait de l'identité sociale, une
des trois composantes de l'Identité définie par Erving Goffman
(la tripartition de l'identité).
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