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Bis Repetita Placent : la collection comme mode de construction de la cinéphile

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par Stéphanie POURQUIER
Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse - Master Sciences de l'Information et de la Communication 2007
  

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B- Le totem adolescent ou la construction d'une identité groupale ?

Dans son ouvrage les Formes élémentaires de la vie religieuse56, Émile Durkheim tend à construire une théorie générale du sacré de la religion. Parmi un certain nombre de concepts, il évoque la notion de totémisme pour définir les formes de religion primitive et les structures de celle-ci. Par totémisme, on entend l'organisation d'un clan, d'un groupe ou d'une tribu autour du "totem57". Durkheim rappelle que la notion de totémisme est le nom d'un culte auquel les ethnographes ont donné ce nom (p. 124). À ce stade de la réflexion, nous pouvons supposer que considérer Dirty Dancing ou plus généralement « le film-fétiche » comme un totem, donc assujetti à un culte, serait sans doute aller trop loin dans la réflexion. Par contre, Durkheim admet qu'« une amulette a un caractère sacré, et pourtant le respect qu'elle inspire n'a rien d'exceptionnel ». Il apparaît donc que l'amulette, souvent objet quelconque, corrobore avec une pratique plus rituelle. Même si nous ne pouvons pas proprement parler de totémisme, et surtout de totem adolescent, nous pouvons envisager de considérer le film-fétiche comme amulette collective, ce qui nous forcerait à considérer sa particularité d'une part et le fait qu'il soit partagé par un groupe.

55 L'économie d'une oeuvre peut être envisagée du point de vue marxien puisque pour l'étudier nous pouvons utiliser le schéma « production-distribution-consommation » propre à à l'étude de l'économie bourgeoise de Marx. Le terme objet-là a été introduit par David Morin-Ulmann (2007)

56 DURKHEIM, Emile, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, PUF, 1960, Paris, 647 p.

57 Le totem tel qui a été évoqué par Durkhem dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse est en général un être, animal ou biologique, qui a pour fonction de représenter l'entité qui protège la tribu, ou l'ancêtre.

Qu'il soit individuel ou collectif, nous allons à présent voir que le film fétiche pouvait n'être que l'élément autour duquel le groupe se réunissait. En effet, selon les jeunes filles interviewées, il était important de le connaître parce qu'il faisait partie de la culture :

« Pour moi, ça fait carrément partie des films que tu dois voir... Je pense que c'est un film que tout le monde connaît... Même si tu ne l'as pas vu, on te sort le titre du film et tu vois ce que c'est... Mais bon, je dirais que 90 % des filles ont dû le voir... Mais je pense que ça fait partie du patrimoine cinématographique ! » Rachel, 24 ans

En admettant que le groupe de filles qui se réunissaient autour du film le connaissent déjà bien, nous pouvons supposer que le film fétiche n'était qu'un prétexte58 à la réunion du groupe.

Comment se passaient ses soirées entre filles ?

(...) Donc, on se retrouvait chez les unes ou chez les autres... (...) c'étaient les pures soirées de filles, comme on voit dans les feuilletons américains ! Avec le concombre sur la tête, en regardant des films, en mangeant du pop-corn... Et en mangeant le pot de glace à la cuillère ! C'était vraiment histoire de se retrouver, de discuter, plus que d'échanger sur le film... C'était plutôt pour échanger à côté... C'était une base quoi ! C'était une base de discussion, et de décontraction de l'atmosphère ! C'était vraiment gnangnan ! On s'identifiait vachement au personnage, donc forcément, tu t'imagines toi... Et tu extrapoles vachement... Et puis surtout, chacune apporte son petit grain de sel par rapport à son histoire du moment... Ou quoi ou qu'est-ce... Vraiment, on s'identifie à la nana... Parce qu'on était toute un peu comme elle... Avec nos jupes plissées, et nos serre-têtes ! Et nos petits cols Claudine ! On se disait : « nous aussi, un jour on va tomber amoureuse d'un avec... Et nous aussi on va le faire changer ! Au début il va être rebelle, et pour nous, bien sûr, ce sera le plus formidable des princes

58 Par « prétexte » nous entendons « motif », il ne s'agit en aucun cas d'un terme péjoratif. Souvenons- nous qu'à cette époque, les jeunes femmes sont de jeunes adolescentes et les sorties, y compris les réunions entre « copines » sont vécues comme de véritables fêtes. Aussi, le fait d'envisager de regarder un film était en quelque sorte la justification de leur sortie.

charmants ! » (...) L'une donnait son point de vue par rapport à l'histoire de l'autre, par rapport à ce qu'on connaissait, ou aux histoires qu'on aurait pu éventuellement avoir, si tant est qu'à l'époque on avait des histoires... Mais il y avait surtout les histoires qu'on avait envie d'avoir ! Plus que sur le film, tu extrapoles après sur les sentiments que tu voudrais voir naître entre telle ou telle personne, ou ce qui existait déjà... Et puis tu imagines vachement de choses par rapport au film, par exemple comment va se passer ton premier rapport à toi, si ça va se passer comme dans le film... Et pour autant, savoir que ça ne va pas être la même chose. (...)

Mais le film, vous le regardiez vraiment ?

Non ! La télé marchait ! La cassette tournait, mais comme tout le monde le connaissait très bien, je pense qu'on avait déjà dû le voir chacune pas mal de fois ! Mais au moment que chacune trouve culte, enfin trouvait culte, là tu avais un moment de silence... « Écoute écoute, la, t'as vu, il va lui dire qu'elle est trop belle... Et là, elle va chercher son père... C'est vachement important »... Et hop ! Dès que le passage est fini, tu retournes à ton vernis, à la cuisine chercher un truc... Et voilà... C'était plus un moment d'échanges entre filles, une soirée pyjama... C'était les prémices de la discussion... C'est quand même un film qui a bercé ma vie adolescente, comme c'était avant tout des retrouvailles entre copines... Ça jalonne un peu... pas ton histoire mais pas loin... Ouais, ta vie d'ado quoi... Et Dieu sait que les filles sont attachées à ce genre de choses... De détail... Ces petites réunions... Et c'est vrai que... Bon on se réunissait pas tant que ça non plus, parce qu'il fallait que l'une ou l'autre ait l'appartement où la maison disponible, parce qu'il ne fallait pas que les parents soient la, dont quoi et c'était vraiment que des réunions entre filles...

En décrivant la façon dont se passaient ces soirées filles, Hélène insiste sur le fait que le film servait de base59 à la discussion. De même, elle précise que la discussion tournait principalement autour des histoires d'amour des unes et des autres, de leur premier flirt, de leurs déboires amoureux d'adolescentes... Le film offrait donc la possibilité aux filles de parler d'elles-mêmes mais aussi de donner leur avis et de partager sur les histoires des autres. Ainsi, nous pouvons supposer qu'à cette époque de

59 C'est à dire support de communication. Les adolescentes commençaient par parler du film, et se servaient de ce qu'elles voyaient pour évoquer leur quotidien, ce qu'elles vivaient.

leur vie, les échanges autour de la sexualité n'étaient pas spontanés et ils avaient lieu dans un cadre défini tel que nous le précise Caroline Moulin : « Les fonctions de l'échange sur la sexualité sont dans un premier temps, normatives et régulatrices (cf. Michel Foucault, Surveiller et Punir) en même temps qu'elles revêtent un caractère informatif. Le groupe devient espace de confidences, d'informations, de réponses à des questions60 ».

L'aspect répétitif de ces soirées et le fait qu'elles soient construites sur le même modèle nous pousse à nous interroger sur l'aspect rituel de ses soirées. Ainsi, nous pouvons nous demander si le fait de partager son film fétiche et d'appartenir ainsi à une "tribu" ne relèverait pas d'un rite adolescent; une sorte de passage obligé pour les jeunes filles qui doivent appartenir à un groupe pour légitimer leur évolution. Si elles partagent leurs expériences, nous pouvons supposer que c'est d'une part pour se rassurer elles- mêmes et d'autre part pour l'exposer aux yeux des autres et mettre en avant une expérience fantasmée.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore