3 - Un processus d'assimilation ?
«(...) On se reconnaît dans ce film ! »
Caroline, 27 ans
« ... Tu te dis... Enfin, on se dit... Tu vois, Je
veux être elle ! Si elle, elle peut le faire, moi je peux le faire !
j'ai envie de faire comme elle ! Bon, bien sûr
aujourd'hui je te dirai pas que c'est le cas, encore mais... C'était
plutôt l'état d'esprit dans lequel j'ai été... Vers
13 ou 14 ans... À l'époque c'était possible (...)
» Virginie, 22 ans
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45 Fame est une série
télévisée américaine, créée par
Christopher Gore. Elle a été diffusée entre 1982 et 1987
sur les écrans. Cette série racontée le quotidien
d'élèves d'une école d'art du spectacle, leur
évolution, et leur volonté de réussir. La série
s'inspirait du film d'Alan Parker (Fame, 1980).
« (...) arrive à tout avoir... alors que.
.euh...à la base elle a strictement rien pour elle...que c'est la petite
fille qui...euh...voilà quoi, elle est pas tellement jolie, elle est pas
spécialement douée ...elle sait pas faire faire trois pas sans se
casser la geu... la tronche, et puis tout d'un coup, ça devient la reine
du quartier quoi...c'est le coté « je voudrais être
comme elle, je voudrais être comme elle...je voudrais que ça
m'arrive à moi aussi ! » Mélanie, 28
ans
« On s'identifiait vachement au personnage, donc
forcément, tu t'imagines toi... Et tu extrapoles vachement... Et puis
surtout, chacune apporte son petit grain de sel par rapport à son
histoire du moment... Ou quoi ou qu'est-ce... Vraiment, on s'identifie
à la nana... Parce qu'on était toutes un peu comme
elle... Avec nos jupes plissées, et nos serre-têtes ! Et
nos petits cols Claudine ! On se disait : « nous aussi, un jour on va
tomber amoureuse d'un avec... Et nous aussi on va le faire changer ! Au
début il va être rebelle, et pour nous, bien sûr, ce sera le
plus formidable des princes charmants ! »
Hélène, 23 ans
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À travers ces quatre extraits, et ce malgré
l'emploi de mots différents, nous pouvons observer des similitudes de
réaction46 parmi les quatre spectatrices interrogées.
Si certaines parlent concrètement d'« identification »,
d'autres se remémorent ce qu'elles ont pu penser à 12-14 ans :
« Je veux être-elle, je veux être comme elle ». Ces
réactions vont nous force à nous interroger sur le mode de
réception, et notamment sur le concept d'« assimilation » au
sens psychologique du terme. On parle d'assimilation quand on évoque le
processus de rapprochement entre un individu et des connaissances
antérieures et extérieures. En réalité, il s'agit
d'adapter ses nouvelles connaissances au réel et non pas
à les copier. Il nous faut accepter d'ores et déjà que le
public de notre étude a vu plusieurs fois47 -- plus d'une
dizaine de fois -- Dirty Dancing. C'est pour elles un objet de
jeunesse telle que nous l'avons déjà défini. De fait,
elles admettent que Dirty Dancing fait partie de leur bagage culturel.
Influencées par les circonstances d'un
46 Nous pouvons constater que plus les personnes
rencontrées sont dans la subjectivité, moins elles communiquent
leur enthousiasme, à l'instar d'Hélène.
Hélène, étudiante et clerc d'huissier, a l'habitude des
travaux universitaires, et de fait, elle est sensible au dérouler de
l'entretien. Elle tient à la cohérence de ses propos, et tente
d'analyser au fur et à mesure ce qu'elle dit. Virginie et Mélanie
sont davantage dans un rapport spontané, elles veulent exprimer
l'enthousiasme qui les animait à l'époque et ne sont pas dans une
performance intellectuelle.
47 Le nombre de visionnages de Dirty Dancing par
spectatrice figure dans le tableau récapitulatif, dans le volume «
annexes ».
entretien sociologique, elles sont dans le recul et l'analyse
de leur propre comportement. Ainsi, elles analysent à la fois avec leurs
mots d'hier (vers 13-14 ans) et ceux d'aujourd'hui (à l'instant de
l'entretien) ce qu'elles ont aimé et ce qui les a
particulièrement marquées dans les films. Il y a donc bien une
analyse subjective, « sauvage », effectuée par les
spectatrices.
Nous avons vu que bon nombre d'éléments et de
valeurs mises en exergue dans le film ont participé à sa
véracité, ce qui vraisemblablement pouvait contribuer à
l'implication du film à la réalité de l'adolescente. De
fait, il y a une réelle différence entre les termes « je
veux être-elle » et « je veux être comme elle
».Dans le cadre de l'entretien, face à nous, en situation de
recherche, les interviewés s'en rendent compte, et à l'instar de
Virginie, elles se corrigent. On ne peut pas parler de projection dans la
mesure où les adolescentes ne se projettent pas dans le film
c'est-à-dire n'appliquent pas leur propre réalité à
ce qu'elles voient à l'écran. Et c'est grâce à ce
qu'elles ont vu à l'écran que nous pouvons observer chez elles
une volonté de pénétrer dans l'imagerie ; imagerie qui
renvoie à un imaginaire plus ou moins convaincant, mais toujours
rassurant. L'héroïne du film de « jeunesse »a
été perçue comme un « exemple à suivre »,
ou un « facteur de l'imaginaire ». La consommation domestique
individuelle ou collective, la réception de ce film devient un temps
d'apprentissage, dans la mesure où les jeunes femmes participant
à notre enquête admettent que cela leur a apporté quelque
chose dans leur quotidien.
Certains éléments du film apparaissent
représenter les étapes essentielles de l'adolescence, et, de
fait, pose comme des balises dans le cheminement vers l'âge adulte :
moments anthropologiques ou ceux de l'hypothèse freudienne du complexe
d'OEdipe, perte de la virginité48, premier amour,
apprentissage de la vie49. Allez pas du premier visionnage, la
dimension corporelle de l'apprentissage de la vie était occultée
par les spectatrices50. La dimension sensuelle des corps qui se
touchent, exacerbé par la
48 La perte de la virginité fait
référence à un gain des attributs de la
féminité ; c'est rituel par essence avec un avant/ après
dans la vie de la jeune femme Il y a une rupture, si on se rappelle les
premières phrases du film : « Jamais je ne trouverai d'homme aussi
merveilleux que mon père ». En trouvant l'homme auquel elle se
« donne », elle se donne à elle-même : elle ne sera plus
jamais « que » la fille de son père mais une jeune femme
à part entière.
49 Au début du film, l'héroïne
croit en la paix dans le monde, elle semble naïve. Au fil du film elle se
rendra compte que les conflits sociaux et la ségrégation font
également partie de son quotidien. Son père, prônant la
tolérance et le respect, se braque à l'évocation de son
histoire avec Johnny. Le fait de découvrir la frontière entre les
valeurs et les réactions humaines est aussi une rupture, mais c'est ce
qui la fera grandir.
50 Nous pouvons supposer que ceux-ci étaient
dus à leur jeune âge, la moyenne du premier visionnage
étant 12 ans ( cf. tableaux récapitulatifs).
danse et surtout rappeler dans les entretiens
réalisés auprès des spectatrices les plus
âgés (Valérie et Stéphanie).
Hormis ceci, les étapes de l'apprentissage de
l'héroïne sont également partagées, et reconnues par
nos spectatrices :
« (... )Par contre, il y a vachement d'identification par
rapport au père... Ça, je le comprenais d'autant plus que moi,
j'ai exactement la même relation que l'héroïne avec son
père... Avec mon père aussi quoi, carrément, et même
toujours aujourd'hui... Tu vois, en fait c'est plus ça que je retiendrai
du film maintenant si je le regardais à nouveau... »
Hélène, 23 ans
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