2/ les leitmotivs
Au sein du film, on trouve un certain nombre
d'éléments récurrents qui corroborent aussi avec les
éléments entourant la réception du film par le public qui
compose notre étude. Ainsi, on peut remarquer l'importance du
thème du groupe. Dans le film, on peut observer une segmentation par
groupes. Il y a « les clients » de la pension, qui font les
activités imposées, les « serveurs » qui sont des
étudiants, et l'équipe de loisirs, qui sont des jeunes en
situation « précaire ». Chaque groupe à des rôles
bien définis et ne doit pas se mélanger à un autre.
L'histoire d'amour entre Johnny et Bébé naîtra de l' «
intrusion » de la jeune femme dans le groupe de danseurs, qui se
chargeront de rappeler le héros à l'ordre.
Penny : Johnny, qu'est-ce qui ce passe ?
Johnny : Si tu t'inquiètes pour ta réputation...
Penny : On a toujours dit qu'il ne fallait pas tomber amoureux
des clients ! Johnny : Ecoute, je sais ce que je fais Penny...
Penny : C'est toi qui va m'écouter, tu vas arrêter
ça maintenant, compris ?
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Le conflit dans le film naît du fait que les deux
héros n'appartiennent pas aux mêmes groupes d'origines sociales.
L'importance des groupes est d'ailleurs soulignée par Vincent Amiel et
Pascal Couté :
« On a tellement dit que l'individualisme régnait
dans la culture américaine, et dans ses manifestations sociales, qu'on
oublie parfois la force des groupes qui la composent et qui en constituent
d'incontournables matrices. En fait, la plupart des films américains,
depuis toujours, sont construis sur l'idée implicite du danger
d'arrachement au groupe42 ».
La volonté d'appartenance à un groupe n'est pas
qu'un propos inhérent au film. C'est une des valeurs, ou en tout cas des
caractéristiques importantes pour la spectatrice. En effet, la notion
même d'appartenance à un groupe est un vecteur
d'intégration et de socialisation chez l'adolescent. « Le
groupe des pairs à un rôle important dans la socialisation
adolescentes. L'émancipation des influences familiales est en
effet
42 AMIEL Vincent, COUTE Pascal, Formes et
obsessions du cinéma américain contemporain, Klincksick
Etudes, 2003, p. 157.
parallèle aux investissements dans des
activités sociales impliquant des partenaires semblables à eux
».43
(...) Dirty Dancing, je pense que c'est un film culte...
Enfin pour les filles de notre époque, quand on était ados, il y
a quelques années... Je ne sais pas si les ados d'aujourd'hui, celles
qui ont 13 ou 14 ans, regardent encore Dirty Dancing... Mais pour moi
c'est un film culte... Pour moi il fallait le voir, pour faire partie
d'une tribu, pour faire partie des nanas qui avaient vu ce film il fallait le
voir plus ou moins pour être normal... Après, moi je l'ai
adoré... Même si, au départ c'était pour faire comme
les autres, c'est quand même une histoire que toutes les nanas ont vue...
Il fallait le voir quoi.
Juliette, 24 ans
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Bien sûr, l'arrachement au groupe n'est pas le seul
prétexte à faire de Dirty Dancing un film où la
spectatrice tend à assimiler l'héroïne. L'importance de la
famille est également présent. Une famille gagnée par le
conflit, certes, mais néanmoins adorée comme c'est aussi
le cas, vraisemblablement, chez les adolescentes : « (...) Bien que le
jeune marque ses distances par rapport à ses parents, la famille joue
encore un rôle primordial à l'adolescence. On constate que, dans
l'ensemble, les jeunes restent assez bien intégrés au sein de
leur famille... 44 ».
Outre les valeurs d'appartenance À un groupe, ou
à une famille, le propos du film s'appuie sur une valeur : le travail.
Dans le film, l'héroïne part de rien pour atteindre le but qu'elle
s'est fixé, à savoir être capable de remplacer au pied
levé la partenaire habituelle de Johnny, Penny. À force de
travail, d'effort, de sueur elle parviendra à s'acquitter de cette
tâche et elle deviendra par la même occasion une brillante
danseuse. Une partie du film est axée sur les séances de travail
intense où on nous montre les différentes étapes de
l'apprentissage, l'effort et la pugnacité dont l'héroïne
fait preuve. L'importance du travail dans l'existence n'est pas uniquement le
propos de Dirty Dancing. En effet, l'entraînement et la rage
tenait des rôles à parts entières dans le film
Flashdance, où on voyait l'héroïne
s'entraîner pendant des heures. De même la série
43 COSLIN, Pierre G., La Socialisation de
l'adolescent, Armand Colin, Paris, 2007, p. 46.
44 Op. cit. page 21.
télévisée Fame45
prônait l'effort comme unique moyen d'y parvenir. Outre le fait de
montrer que le talent ne suffit pas, les spectatrices retenaient surtout le
fait qu'à force de travail on pouvait arriver loin même si on
partait de très bas. Cette valeur, présente dans bon nombre de
films semble être une des bases du rêve américain (the
American Way of Life). Au moment du visionnage, certaines adolescentes ont
commencé à pratiquer un sport en se disant qu'il était
possible de progresser « puisque bébé l'avait fait" :
Donc, ce que vous préfériez dans le film,
c'était la danse ?
Oui, euh...et puis l'aspect euh... « c'est possible
», c'est possible d'être complètement inculte au niveau de la
danse et d'arriver à faire quelques chose... Y'a un espèce de
parcours initiatique on va dire et j 'pense que c'est ça qui m'a plu...
parce que moi aussi, je commençais la GRS et je progressais dans mon
truc, et je pense que y'a eu de la motivation qui venait de là
aussi... Sophie, 25 ans
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Cet aspect pragmatique du film démontrait bien que rien
ne se faisait sans rien et occultait une image féerique d'une
transformation de la citrouille en carrosse. Il est certain que cela a
contribué à la véracité du film et à son
ancrage dans le réel. Nous pouvons dès lors supposer que la
particularité de Dirty Dancing dans sa réception tient
également au fait qu'il est un processus d'assimilation de la part des
spectatrices.
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