Premier paragraphe : Le risque d'incessibilité
Force est de constater que la réforme du régime
de la cession des parts sociales profite essentiellement aux minoritaires qui
se trouvent bloqués par un refus d'agrément puisque les
majoritaires n'ont généralement pas de problèmes pour
céder leur bloc de contrôle. Or, on remarque que la situation des
minoritaires n'a pas beaucoup évolué après la
réforme. Même si le législateur a tenté de garantir
aux minoritaires le droit de céder leurs parts face à un refus
d'agrément, on ne peut pas être certain qu'ils puissent jouir de
cette garantie. En effet, il ne faut pas négliger les difficultés
auxquelles se heurte tout associé minoritaire désireux de
céder ses parts dès le départ et avant même de se
confronter à un refus d'agrément. Les minoritaires se heurtent
généralement à deux obstacles qui bloquent à un
stade prématuré la mise en oeuvre de leur droit de céder
leurs parts.
Le premier obstacle consiste dans la difficulté de
trouver un acquéreur. En effet, la prédominance de la notion
d'intérêt social en droit des sociétés impose
à l'associé désirant quitter la société de
trouver un remplaçant acceptant d'être associé à sa
place. Or, sachant que le désir de céder ses parts est
généralement synonyme de mécontentement de
l'associé, il serait donc difficile de trouver un acquéreur qui
se substitue à une situation défavorable.
La situation se complique davantage lorsqu'il s'agit
d'associé minoritaire. En effet, contrairement à l'associé
majoritaire qui peut, plus ou moins facilement, trouver un acheteur pour son
bloc de contrôle, l'associé minoritaire éprouve
généralement de très grandes difficultés à
dénicher une personne intéressée par ses parts
sociales116. Il est particulièrement
difficile de convaincre une personne d'investir une partie de sa fortune dans
des droits d'associé qui ne permettent pas d'avoir une influence notable
sur la gestion de la société et qui confèrent des chances
de rémunération ou de plus- value pour le moins inconfortable, et
ce, même si la société réalise des
bénéfices117. Force est d'admettre
qu'aucun investisseur rationnel n'est normalement prêt à investir
dans ces conditions.
Le deuxième obstacle auquel se heurte l'associé
désirant céder ses parts concerne la difficulté de mener
à terme les négociations engagées avec l'acquéreur
potentiel. En effet, pour pouvoir négocier le prix dans le cadre d'une
cession de parts sociales, les parties ont absolument besoin d'informations sur
la situation patrimoniale et économique de la société.
Bien entendu, les documents comptables annuels servent de première base
pour la négociation. Mais ces documents, par leur caractère
annuel, sont généralement obsolètes. L'acquéreur
exige fréquemment un audit complet des comptes à la date de la
cession. Dans les cessions de blocs de contrôle, cette procédure
est la plus courante. Mais, dans ces cessions, le cédant est
116 CHAINEAU, André. Les
problèmes économiques de la transmission des entreprises in La
transmission de l'entreprise, enjeux et perspectives. Presses
Universitaires de Poitiers, 1988, p.19.
117 Art. 133 et 140 du C.S.C.
généralement lui même le gérant de
la société. Sans engager sa responsabilité pour violation
du secret des affaires, il peut parfaitement accueillir une équipe
d'auditeurs extérieurs118.
La situation est très différente en cas de
cession d'une participation minoritaire. L'acquéreur potentiel peut
exiger un audit des comptes. Mais les dirigeants ont toute la liberté
pour refuser cet audit. En effet, la finalité de l'opération peut
justement consister à obtenir des informations confidentielles en vue de
les exploiter contre les intérêts de la société.
Il s'en suit que le dirigeant jouit de moyens lui permettant
de bloquer à un stade précoce la cession, dans l'hypothèse
où le cessionnaire pressenti n'aurait pas ses faveurs. Si les parties ne
parviennent pas à se mettre d'accord sur un prix, il n'y aurait plus de
projet de cession, plus de procédure d'agrément, et plus
d'obligation éventuelle de se porter acquéreur en cas de refus
d'agrément119.
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