Section 2 : Opposabilité de la cession aux tiers
Pour devenir opposable aux tiers, la cession des parts
sociales doit faire l'objet d'une publicité légale. La
publicité légale établit une apparence à laquelle
les tiers peuvent se fier86. Elle est faite
essentiellement dans l'intérêt des tiers et plus
précisément des futurs créanciers sociaux qui peuvent
ainsi jauger des garanties qui leurs sont
offertes87. Elle constitue, au profit des
contractants, un élément essentiel de la sécurité
juridique dans les relations contractuelles88.
Le législateur, dans un souci de sécurité
bien compréhensible, a organisé un régime de
publicité légale pour la cession des parts sociales. À cet
égard, l'article 16 du C.S.C. soumet tous les actes et les
délibérations ayant pour objet les cessions de parts sociales aux
formalités de dépôt et de publicité.
Néanmoins, cette publicité légale prévue pour la
cession des parts sociales n'est pas à l'abri des critiques. D'une part,
on constate que la formalité de dépôt souffre de plusieurs
imprécisions qui risquent d'altérer sa finalité (premier
paragraphe). D'autre part, il est à noter que si le dépôt
demeure une formalité de publicité confortative
sanctionnée par l'inopposabilité de la cession, la
publicité s'élève, à tort, au rang d'une
formalité de
86 CALAIS-AULOY, JEAN. Essai sur la notion
d'apparence en droit commercial. LGDJ, 1961, n°31 et
32.
87 DAHDOUH, Habib ; LABASTIE-DAHDOUH, Christine.
Droit commercial : Entreprises sociétaires, règles
communes. T. 1. Vol. 2. 1ére éd. Tunis : IHE
éditions, 2003, p.470.
88 GHESTIN, Jacques. Traité de droit
civil : La formation du contrat, 3ème éd., Paris : LGDJ,
1993, n°458.
publicité constitutive sanctionnée par la
caducité de la cession (deuxième paragraphe).
Premier paragraphe : Imprécision de la
formalité de dépôt
L'article 16 du C.S.C. soumet les actes et les
délibérations ayant pour objet les cessions de parts sociales
à la formalité de dépôt. L'accomplissement de cette
formalité est régit par les dispositions de la loi
n° 95-44 du 2 mai 1995, relative au registre du commerce. Selon
les articles 44 et 46 de cette loi, les actes, délibérations ou
décisions modifiant les statuts89 doivent
être déposés en annexe au registre du commerce, en deux
exemplaires certifiés conformes par le représentant légal
de la société, au greffe du tribunal dans le ressort duquel est
situé le siège social dans le délai d'un mois à
compter de leur date après, le cas échéant,
publication90.
L'inobservation de la formalité de dépôt
des actes et des délibérations ayant pour objet les cessions de
parts sociales met la personne qui en a la charge dans l'impossibilité
de les opposer aux
89 Étant donné que l'acte
constitutif de la SARL doit comporter l'identité des associés et
la répartition du capital social (Article 96 du C.S.C.) et que la
cession des parts sociales affecte, au moins, l'une de ces mentions et
nécessite donc la modification des statuts, les actes et les
délibérations ayant pour objet cette cession sont soumis à
la formalité de dépôt.
90 Monsieur et madame DAHDOUH notent que
« l'article 46 de la loi sur le registre de commerce crée un doute
dans la mesure où il préconise que le dépôt des
actes modificatifs soit réalisé après la publication. Dans
la pratique, le dépôt au registre du commerce
précède la publicité au journal officiel ».
DAHDOUH, Habib ; LABASTIE-DAHDOUH, Christine.
Op. cit., p.472.
tiers et aux administrations même s'ils ont fait l'objet
d'une autre publicité légale à moins que ces derniers en
aient eu personnellement connaissance. Toutefois, les tiers et les
administrations peuvent se prévaloir de ces actes et
délibérations91.
Les règles qui régissent la formalité de
dépôt suscitent quelques remarques qui méritent
d'être évoquées. Il est à noter de prime abord que
la cession des parts sociales, en soi, n'est pas soumise, vis-à-vis de
la loi n° 9 5-44 du 2 mai 1995, relative au registre du
commerce, qu'à la formalité de dépôt. Elle ne donne
pas lieu à une inscription modificative92
étant donné que la répartition du capital social et
l'identité des associés ne font pas partie des mentions
exigées dans la demande d'immatriculation de la
société93.
Il importe aussi de signaler que le législateur ne
précise pas la personne à laquelle incombe le devoir d'accomplir
la formalité de dépôt. Les retombées de cette
imprécision des textes sont beaucoup plus graves qu'elles ne paraissent
l'être. En effet, en l'absence de désignation des personnes
assujetties au dépôt, on risque de dénuer la sanction
d'inopposabilité attachée à l'inobservation de la
formalité de dépôt de son effectivité.
Cette imprécision pourrait aboutir à
léser les intérêts des tiers qui ne peuvent se
prévaloir de l'inopposabilité desdits actes et
91 Article 62 de la loi n°95-44 du 2 mai
1995, relative au registre du commerce.
92 Article 21 de la loi n°95-44 du 2 mai
1995, relative au registre du commerce.
93 Article 11 de la loi n°95-44 du 2 mai
1995, relative au registre du commerce.
délibérations face à des personnes qui
revendiquent qu'aucun texte ne met à leur charge l'accomplissement de la
formalité de dépôt.
Le législateur aurait dû préciser les
personnes assujetties au dépôt afin d'éviter cette
hypothèse qui, même si elle parait être d'école,
reste concevable. Il aurait dû prévoir que l'accomplissement de la
formalité de dépôt est à la charge du
représentant légal de la société et en cas
d'inertie, de toutes personnes justifiant y avoir intérêt,
notamment, le cédant, le cessionnaire et les autres associés.
Une telle précision est fortement souhaitable.
Cependant, on risque toujours de se heurter à des difficultés
liées aux documents qui doivent faire l'objet de dépôt. En
effet, en cas de départ conflictuel du cédant, le
représentant légal de la société pourrait
négliger de procéder à l'accomplissement de la
formalité de dépôt. Il revient alors aux autres ayants
droit de combler sa carence. Or, il n'est pas certain que le
représentant légal de la société accepte de leur
délivrer des copies des actes et des délibérations
exigées.
Face à cette impossibilité d'accomplir la
formalité de dépôt, aucune mesure répressive n'est
envisagée. Le législateur ne prévoit pas la
possibilité de saisir le juge commis à la surveillance du
registre afin d'enjoindre l'assujetti à la formalité de
dépôt. En effet, la compétence de ce juge ne couvre que les
contestations soulevées au cours de
l'immatriculation94.
94 Article 55 de la loi n°95-44 du 2 mai
1995, relative au registre du commerce.
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