2.2.2. L'impact de l'Aide sur les réformes
politiques
Le deuxième argument développé pour
justifier l'idée d'une sélectivité plus grande des
pays receveurs en fonction de leurs politiques économiques est
que l'aide n'a pas d'effet sur la qualité de ces politiques. Plusieurs
arguments théoriques ont été avancés concernant
l'effet de l'aide sur les réformes de politique. Tout d'abord, Sachs
(1994), Lafay et Morrison (1998),
Alesina et Drazen (1991), Nelson (1990), Waterbury (1989),
Amprou et Duret (2000) ont développé l'idée selon laquelle
l'aide peut permettre à un gouvernement de lancer les réformes en
compensant leurs coûts d'ajustement, notamment si ces coûts sont
supportés par un segment particulier de la population. En effet, les
mesures de stabilisation et d'ajustement imposent des coûts
immédiats, souvent concentrés sur des catégories de la
population facilement identifiables et mobilisables, tandis que les
bénéfices attendus de ces mesures sont différés,
incertains et diffus.
A l'opposé, selon Rodrik (1996), Berg (1993 et 1997),
les ressources extérieures réduisent à la fois le
coût des réformes et le coût de l'inertie
c'est-à-dire le coût d'éviter les réformes. Pour la
Banque mondiale, l'aide n'a pas été l'élément
principal des réformes économiques. Les raisons de cet
échec sont les dysfonctionnements dont souffre l'instrument permettant
à l'aide d'influencer les orientations de politiques économiques
à savoir la conditionnalité attachée aux
déboursements. Ce diagnostic est largement partagé par l'ensemble
des bailleurs mais les stratégies pour y remédier
diffèrent. Ainsi, la Commission européenne vise une
réforme de la conditionnalité, consistant à prendre en
compte des indicateurs de résultats. Tandis que la Banque Mondiale,
elle, propose une sélectivité ex-ante des pays receveurs
basée sur la qualité des politiques économiques comme
indicateur instrument.
Cependant, les deux points suivants développent
l'argument que l'aide n'a pas d'effet sur les réformes. Cet argument est
analysé à travers les dysfonctionnements des
conditionnalités et les analyses empiriques sur l'inefficacité de
l'aide en matière de promotion des réformes.
2.2.2.1. Les conditionnalités
La conditionnalité consiste en l'accord de financement
en contrepartie des réformes. Les bailleurs de fonds deviennent en
quelque sorte des « conseillers-payeurs ». Malgré deux
décennies de leur mise en oeuvre, les conditionnalités restent
toujours un instrument peu performant pour promouvoir les réformes
économiques. En effet, d'après Guillaumont (1995) les
difficultés d'application de ces conditionnalités et les
objectifs souvent contradictoires (débourser rapidement l'aide
accordée et conditionner ces déboursements à des
réformes destinées à favoriser durablement la croissance
économique) ont contribué à pervertir le
système.
Pour Collier (1997), deux éléments principaux
sont à la base de ces dysfonctionnements : la politique du gouvernement
déterminée par les forces politiques intérieures et la
formulation des conditionnalités n'est pas appropriée.
D'après Williamson (1994), Waterbury (1989), Stiles
(1990) et Haggard, Lafay et Morrison (1995), les choix des politiques
économiques sont dictés par l'orientation doctrinale des
responsables politiques et le comportement des groupes d'intérêt,
notamment leur opposition à l'égard de mesures susceptibles de
réduire les rentes de situation. Ainsi, lors de la conception des
politiques faisant l'objet de conditionnalités, ces deux
éléments représentent des obstacles à la
réforme et provoquent un manque d'intériorisation des programmes
soutenus par l'aide extérieure. Alors que le principe même de
l'aide à l'ajustement impliquait un engagement des pays à mettre
en oeuvre des réformes, il est fréquemment apparu que les
conditions de politique économique étaient acceptées sans
conviction, en raison de l'urgence d'obtenir un financement. Selon Guillaumont
(1995), suivant cette perspective, l'engagement formel à opérer
des réformes est devenu le prix à payer pour obtenir de l'argent.
Ainsi, la réforme est perçue comme un coût et non comme un
avantage. Face à la réticence des pays, à la lenteur des
réformes qui en a résulté et à l'échec de
nombreux programmes, la confiance des bailleurs de fonds a largement
baissé. Ceux-ci, devenus acheteurs de programmes, ont alors
été conduits à formuler des conditions de plus en plus
particulières et à s'impliquer davantage dans les réformes
pour en garantir la mise en oeuvre. Les programmes sont ainsi devenus l'affaire
des bailleurs de fonds, plus que celle des Etats receveurs.
L'étude de Dollar et Svensson (2000) estime la
probabilité de succès ou d'échec des programmes
d'ajustement structurel mis en oeuvre par la Banque mondiale, en fonction des
caractéristiques d'économie politique des pays receveurs
(gouvernement démocratique, stabilité politique, polarisation
ethnique) et de variables sous le contrôle de la Banque mondiale
(coûts administratifs liés à la préparation et au
suivi des programmes). Leur étude économétrique
suggère que le succès des programmes de réformes
dépend principalement des caractéristiques institutionnelles et
politiques des pays receveurs, les variables sous le contrôle de la
Banque mondiale n'étant, quant à elles, pas significatives.
Le deuxième élément susceptible de
provoquer des dysfonctionnements de l'aide est la formulation des
conditionnalités. La plupart des accords de financement comportent
plusieurs conditionnalités liées à différents
aspects d'une même réforme et correspondant au décaissement
de différentes tranches. La propension à n'appliquer que
partiellement les réformes convenues a été parfois
renforcée par la modération des sanctions effectives,
c'est-àdire par la poursuite des versements lorsque les conditions
prévues n'étaient pas vraiment remplies. Ainsi, les performances
des agences d'aide au développement sont le plus souvent mesurées
en fonction des taux de décaissement des volumes financiers
engagés. Selon cette
logique bureaucratique de succès, les institutions
financières ont considéré les conditionnalités
comme alors un moyen de pression qu'elles ne l'étaient pas.
Il apparaît donc que la conditionnalité
macro-économique, qui est aujourd'hui l'instrument principal permettant
aux bailleurs de fonds de promouvoir ou d' « acheter » les
réformes de politique économique dans les pays receveurs, souffre
de nombreux dysfonctionnements. Ces derniers constituent l'un des
éléments à l'origine des performances largement
discutées de l'aide en matière de promotion des
réformes.
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