B / CARACTERISTIQUES DE L'EMIGRATION LOUGATOISE
Le département de Louga fait partie d'une des plus
grandes zones de départ de l'émigration
sénégalaise. Cependant les données statistiques des
derniers recensements généraux de la population renseignent peu
sur l'ampleur du phénomène. Beaucoup d'estimations font
état de 10% de la population lougatoise répartie un peu partout
dans le monde (Europe occidentale, Etats-Unis et même l'Afrique). Ces
chiffres restent loin en dessous de la réalité puisque
l'émigration lougatoise est de plus en plus soumise à la
clandestinité.
De plus, l'organisation et la structure de l'émigration
lougatoise prennent l'allure de celles de la vallée du fleuve
Sénégal: en procédant plus d'une initiative familiale que
d'un défi individuel.
B-1/ Aspects démographiques
Les données de ce chapitre seront tirées des
résultats de nos enquêtes18 auprès des
populations des différentes zones d'études du département
de Louga.
B-1-a/ Age et sexe
Dans le département, ce sont en majorité les
hommes qui émigrent : 94,4% contre 5,6% de femmes dans l'effectif total
enquêté. Le poids des femmes reste encore faible encore quand il
s'agit de l'émigration internationale. Les facteurs explicatifs sont
liés à la tradition qui veut que les femmes gardent le foyer.
Tableau 8: Répartition par sexe de la population
émigrée
SEXE
|
EFFECTIFS
|
POURCENTAGE
|
Masculin
|
153
|
94
|
Féminin
|
9
|
6
|
Total
|
162
|
100%
|
Source : données enquêtes personnelles,
2007
Dans le détail la part des femmes varie selon la
localité. En milieu rural, Niomré, Maka et Djélerlou, on
note une absence des femmes. C'est en milieu urbain que l'on voit
l'émigration féminine du département. En outre, lors de
nos enquêtes, les maisons étaient essentiellement peuplées
de femmes, d'enfants et de personnes âgées. Cet état de
fait peut être corrélé à la forte propension des
jeunes hommes à émigrer. Si globalement la migration des femmes
reste numériquement moins importante dans le département, on note
ces dernières années une nette augmentation dans leur nombre.
Khady, une dame qui habite Djang Bambodj donne son point de vue « vous
savez, devant la conjoncture, les mariages se raréfient. Il faut alors
chercher des issues de prise en charge personnelle ; l'émigration
constitue une voie assez fructueuse »19. C'est ce que montre le
tableau de la répartition par age de la population migrante.
Par ailleurs, l'analyse de la répartition par age des
émigrés montre que l'émigration affecte les tranches
d'ages les plus actives. Le pourcentage des moins de 41 ans
18 Voire page 17
19 Entretien du 24 juillet 2007
représente 66% du total, dont 23% pour la tranche 20 - 30
ans et 43% pour celle entre 30 - 40 ans.
Tableau 9: Répartition par age de la population
émigrée
AGE
|
EFFECTIFS
|
POURCENTAGE
|
15 - 20
|
4
|
2
|
20 - 30
|
37
|
23
|
30 - 40
|
69
|
43
|
40 - 50
|
41
|
25
|
Plus de 50
|
11
|
7
|
TOTAL
|
162
|
100%
|
Source : données enquêtes personnelles,
2007
Les émigrés de plus de 50 ans constituent la
première génération des migrants partis vers la fin des
années 70. Ils sont les pionniers de l'émigration lougatoise.
Leur nombre s'est considérablement réduit du fait que beaucoup
d'entre eux ne partent plus ou se sont reconvertis dans une activité
commerciale. Cette même situation se retrouve pour les moins de 20 ans
qui sont trop jeunes pour tenter l'aventure. Cette migration à la
recherche d'emploi est l'expression du manque de confiance et de la vision
pessimiste que la jeunesse lougatoise a de la situation et des perspectives
d'avenir sans horizon du pays qui les pousse vers « l'eldorado
européen ». la plupart de ces émigrés sont
mariés, avec une famille restée le plus souvent sur place.
B-1-b/ Situation matrimoniale, appartenance ethnique et
religieuse
La situation matrimoniale de l'émigré tient un
grand rôle dans la fréquence des envois. En effet 59% des
émigrés sont mariés, ce qui constitue une obligation
d`envoyer régulièrement de l'argent pour l'entretien de la
famille. Ces émigrés ont fait une durée assez important en
émigration - plus de 5 ans - pour suffisamment amasser de l'argent.
Tableau 10: Situation matrimoniale des
émigrés
SITUATION MATRIMONIALE
|
EFFECTIFS
|
POURCENTAGE
|
Marié
|
96
|
59,25
|
Célibataire
|
63
|
38,83
|
Divorcé
|
3
|
1,85
|
Veuf
|
-
|
0
|
TOTAL
|
162
|
100%
|
Source : données enquêtes personnelles,
2007
Les « nouveaux » émigrés sont quant
à eux majoritairement des célibataires. Ils n'ont pas encore fait
suffisamment de temps en migration pour pouvoir construire une maison et fonder
une famille. En effet, dans les sociétés lougatoises,
l'émigré doit d'abord avoir un toit avant de fonder une famille.
Cependant, le pourcentage de célibataire cache encore - dans une
certaine mesure- la réalité en milieu rural. Les traditions
rurales veulent que les hommes se marient très jeunes surtout s'ils ont
de l'argent. Enfin les facteurs religieux et ethniques sont également
des éléments déterminants dans la caractérisation
de l'émigration lougatoise.
Tableau 11: Répartition des
émigrés selon l'appartenance religieuse
RELIGION
|
CONFRERIE
|
EFFECTIFS
|
POURCENTAGE
|
Musulmans
|
Tidjane
|
62
|
38
|
Mouride
|
84
|
52
|
Autres
|
14
|
9
|
Chrétiens
|
|
2
|
1
|
Total
|
|
162
|
100%
|
Source : données enquêtes personnelles,
2007
La part très faible des chrétiens (1,23%)
s'explique par le contexte local où la population chrétienne
lougatoise représente moins de 2%. Ce sont les Mourides qui ont ouvert
les voies de l'émigration lougatoise. Aujourd'hui leur part reste encore
dominante ; 51,85% contre 38,27% chez les Tidjanes qui n'ont commencé
à émigrer que vers les années 80.
La forte présence des Mourides explique les forts liens
de solidarité qui se sont tissés un peu partout en Europe et au
Etats-Unis entre les émigrés qui sont regroupées en «
dahira20 » ou associations de « talibé21
» de tel ou tel marabout. Ces organisations ont facilité la
formation de réseaux migratoires qui, en plus de l'appartenance
confrérique, se fondent parfois sur l'appartenance ethnique.
20 Regroupement ou association de personnes
(talibés) issues d'une même confrérie musulmane, sous
l'égide d'un guide spirituel
21 Disciple
La prédominance chez les émigrés de
l'ethnie Wolof (61%) s'explique par la forte prédominance des wolofs au
sein de la population lougatoise (tableau 12). Ensuite viennent les Hal Pulaar
30% et de loin derrière, les Serérers avec 5%.
Tableau 12: Appartenance ethnique des
émigrés
ETHNIE
|
EFFECTIFS
|
POURCENTAGE
|
Wolof
|
98
|
61
|
Hal Pulaar
|
49
|
30
|
Serére
|
5
|
3
|
Autres
|
10
|
6
|
TOTAL
|
162
|
100%
|
Source : données enquêtes personnelles,
2007
Les informations collectées révèlent, au
sein des ethnies, que les différentes castes représentées
ont des destinations préférentielles, selon que le groupe est
plus ou moins bien représenté dans le pays d'accueil. Les «
Guéwéls22 » et les «
Laobé23 » s'orientent plus vers l'Espagne alors que les
autres castes se partagent les autres destinations comme l'Italie, la France,
les Etats-Unis...
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