B-2/ Destination et organisation de l'émigration
internationale lougatoise
22 Griots
23 Boucherons, boisseliers
Carte 2: Destinations des émigrés à
partir des principaux foyers de départ dans le département de
Louga
B-2-a/ Destination des émigrés
lougatois
Le « Ndiamour-Ndiambour » ou habitant de la
région de Louga a une tradition de mobilité. La Guinée, la
Coté d'Ivoire et le Gabon ont été les premières
destinations ; ensuite vers la fin des années 70 ils ont investi
l'Europe et plus particulièrement la France. Cette période
correspondait à la politique française d'ouverture à
l'immigration internationale de travail. Ce n'est que plus tard, quand la
législation française a commencé à se durcir, que
les pays de l'Europe du sud comme l'Espagne et l'Italie ont commencé
à accueillir les émigrés lougatois.
Certaines études empiriques montrent que les migrants
ne sont généralement pas issus des couches les plus pauvres de la
population. La raison est simple : la migration, surtout lorsqu'elle se fait
à destination de l'étranger, engendre des coûts (frais de
transport, coûts d'obtention des documents nécessaires à la
migration,...) que ne peuvent supporter les ménages les plus
défavorisés. Cette contrainte est d'autant plus forte, que les
pauvres n'ont souvent ni la possibilité de fournir des garanties
suffisantes pour pouvoir emprunter, et une épargne propre pour financer
le départ en émigration.
Malgré toutes ces difficultés, le nombre
d'émigrés ne cesse d'augmenter. Cet élan, presque
généralisé au départ, qui touche à la fois
les hommes et les femmes, s'organise dans une dynamique bien structurée
qui permet au candidat, futur émigré, de réussir son
voyage.
L'Europe reste la destination favorite des
émigrés lougatois. En effet 96% des flux migratoires est
orienté vers le vieux continent. L'Afrique et les Etats-Unis
représentent des pourcentages très faibles respectivement, 2,49%
et 1,23%.
Figure 1 : Diagramme pays de destinations des
émigrés lougatois
destination des émigrés
lougatois
6,79
11,11 2,491,23
30,24
48,14
France
Italie
Espagne
Autres pays européens Pays africains
Etats unis
Source : données enquêtes personnelles,
2007
Dans les détails l'Italie domine : 48,14% des
émigrés originaires du département y sont
installés. L'Espagne suit avec 30%, soit un peu moins de 10 000
émigrés. La France constitue un grand paradoxe, puisque au
départ du Sénégal, la quasi totalité des candidats
ont comme destination ce pays. Cependant, en raison du durcissement de la
réglementation française en matière d'immigration et des
difficultés liées à l'obtention d'un travail, les
émigrés en ont fait une plaque tournante. Ils ne restent que
quelques jours avant des traverser la frontière pour l'Italie ou
l'Espagne. Après 1994, la France semble être pour les migrants
sénégalais une porte d'entrée vers l'Italie grâce
à l'intermédiation des "passeurs" entre Nice et San Remo autour
du poste frontalier de Vintimille. La plupart des migrants
Sénégalais bénéficiaires des régularisations
de la loi Dini24, déclarent être entrés en
Italie en passant par la France après avoir obtenu un visa de
très court séjour (Fall, A. S., 2003 ).
Le rythme élevé des départs, est ainsi
facilité par des réseaux officieux. Cette amplification des
départs est soutenue par des réseaux complexes à la
quête d'un élargissement de l'espace migratoire lougatois par
l'exploration sans cesse de nouvelles
24 Loi du 21 février 1998 portant
réglementation de l'immigration. L'article 19 affirme explicitement :
« L'entrée sur le territoire de l'État pour des motifs
de travail dépendant, même saisonnier, et de travail autonome,
s'effectue dans le cadre des quotas d'entrée fixes » chaque
année par des décrets signés par le président du
Conseil « sur la base des critères et autres indications
» (art. 3, alinéa 4).
destinations. Les investissements rapides et colossaux de ceux
qui sont partis il n'y a pas longtemps sont des facteurs attractifs pour les
candidats potentiels.
B-2-b/ Organisation de l'émigration internationale
lougatoise
La migration internationale s'organise selon des
référents nouveaux où la question de l'identité est
fondamentale (Fall A. S, op. cit.). Cette migration relativement récente
est dirigée principalement vers l'Europe du Sud. A ses débuts,
elle était plutôt organisée selon des logiques familiales.
Mais de plus en plus aujourd'hui elle est organisée selon une
identité émergente qui est la confrérie religieuse. Les
réseaux confrériques, contrairement aux réseaux familiaux,
sont plus ouverts, dynamiques, modulables.
L'organisation de l'émigration lougatoise en
réseau trouve son origine dans l'organisation de la
société sénégalaise. La vie communautaire
traditionnelle et les pratiques anciennes de l'islam dans la région ont
constitué les deux principaux motifs qui ont favorisé la
constitution de « réseaux de solidarité »
c'est-à-dire des « regroupement des personnes qui partageant des
objectifs communs, crée les conditions favorables à une vie
communautaire basée sur l'entraide mutuelle » (Bâ, op. cit.
). Ces réseaux sont pour les émigrés des structures
sociales qui servent à l'accueil et à l'insertion
résidentielle et/ou socio-professionnelle du migrant.
Au niveau du département de Louga, les réseaux
sont moins représentés contrairement en Europe où ils sont
biens structurés. En effet, les us et coutumes locaux veulent que celui
qui aspire à la migration doit garder son projet secret. C'est dans
l'ombre que se prépare le départ du candidat. Il existe des
personnes - des passeurs - qui facilitent le voyage des candidats. Ce service
rendu s'échange contre trois à quatre millions de FCFA. Ce qui
signifie que la migration n'est pas à la portée de toutes les
bourses.
Dans les familles lougatoises, seul le départ du
premier migrant est financé par la famille. Ce dernier, une fois bien
installé, s'occupe de la venue des autres membres (frères,
cousins...) En migration, les derniers venus sont accueillis par leurs
aînés de la même famille. Ainsi les charges
financières qui lui étaient assignées vont se
réduire considérablement avec les envois des frères ou
cousins émigrés. De ce fait, il aura la latitude de construire
une maison, de fonder une famille et si possible, d'investir.
Cependant, il semble important de nuancer de telles
généralités. En effet outre les fortes
inégalités sociales, il existe des familles au sein d'un
même village, d'un même quartier qui n'ont jamais pu vivre en
communauté. Ces derniers dans le cadre de la migration font appel aux
réseaux confrériques. Un autre bémol réside dans le
fait que, comme l'explique Barry (1971), « les guerres entre les
différentes tendances qui minent souvent l'entente villageoise - voire
du quartier- constituent une autre raison militant contre l'existence d'une
« solidarité mécanique » entre tous les lougatois, et
qui serait transposable en situation migratoire ». Néanmoins la
solidarité islamique reste d'actualité et de rigueur.
La religion, ou plus exactement, la confrérie est une
identité fortement présente dans les modes de sociabilité
parmi les migrants de la nouvelle génération, contrairement aux
migrants de l'ancienne génération qui mettaient en avant des
valeurs relatives à la famille, à l'honneur et à l'ethnie.
Daum C. (1994) remarque que les associations religieuses mourides constituent
des cadres d'impulsion des investissements collectifs suppléants dans ce
domaine les carences de l'Etat ». La constitution de réseaux n'est
pas l'apanage des seuls mourides. Les autres confréries participent
à cette logique et poursuive les mêmes objectifs pour faciliter
l'intégration de leurs compatriotes.
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