L'implication de la communauté internationale dans les processus de démocratisation en Afrique. Le cas du Cameroun( Télécharger le fichier original )par Jean Marcel ILUNGA KATAMBA Université de Kinshasa - Graduat 2004 |
CONCLUSION ET PERSPECTIVESTout observateur africain, qui ne se voile pas les yeux par pudeur ou par honte devant le phénomène de l'influence politique de l'ethnicité, reconnaît l'influence néfaste de ce paramètre sur les démocraties africaines. En effet, les élections contredisent rarement l'appartenance tribale et régionale de l'électeur. Dans des telles conditions, il n'est pas assez étonnant de constater que les principes démocratiques de mise en occident ne peuvent s'appliquer en Afrique que de manière extrêmement précaire. Par exemple, « la démocratie occidentale repose, sous une forme ou une autre sur la règle de la majorité. Or celle-ci présuppose que la majorité est susceptible de changer et que la minorité d'aujourd'hui a des chances d'être la majorité de demain. Mais quand les divisions suivent les lignes de clivage ethniques, tribales ou religieuses, l'équation ne vaut plus. Un groupe condamné à un statut minoritaire permanent ne peut pas admettre qu'il s'agit d'un arrangement politique équitable »((*)198). Le phénomène ne touche pas que les Etats considérés comme étant très en retard sur la voie de la démocratisation. Ce phénomène peut en fait être décelé dans certains Etats lors des élections qui sont considérées à ce jour comme démocratiques et transparentes. Pour s'en convaincre, en Afrique du Sud, la composition « ethnique » des grands partis que sont le Parti National, l'ANC et l'INKHATA hypothèque lourdement l'avenir de la démocratie dans ce pays. Négliger tout ceci, par ignorance ou par pudeur moderne, pourrait conduire à des solutions erronées, irréalistes ou contestables. Sur ce, certains auteurs trouvent impérieux, pour assoire efficacement la démocratie universelle, de l' « inculturer » en adaptant son apprentissage aux réalités des peuples, ce qui ne doit pas être perçu comme étant une tentative de rejeter ou même d'entraver le processus démocratique((*)199). C'est donc poser en d'autres termes la problématique de la « spécificité africaine », ou mieux, de la « démocratie à l'africaine ». Mais il nous faut refuser tout honneur à la spécificité africaine. En effet, la prise en compte des particularités a conduit certains à préconiser un « droit à la différence », un « droit à l'oppression » et un « droit à la mort ». Son exacerbation présente le risque d'un enfermement dans la glorification des particularités culturelles qui excluraient de s'intéresser à ce qui se passe au delà de la nation. Ces particularités culturelles, si elles sont révélatrices de l'identité culturelle africaine, n'apparaissent pas moins comme des limites à l'expression de la démocratie libérale et pluraliste. Par exemple, l'exacerbation de la spécificité de la démocratie camerounaise((*)200) a poussé le constituant camerounais à se prononcer pour une protection des minorités et des « populations autochtones »((*)201). Cependant, une analyse scrupuleuse des dispositions susmentionnées révèle que l'exacerbation de cette spécificité de la démocratie camerounaise énerve le principe universel de la démocratie libérale auquel le constituant de 1996 semble pourtant accordé la primauté. Commençons par la première disposition, qui peut s'interpréter comme garantissant la participation des groupes minoritaires à la gestion de la Région. Mais face à l'absence de définition constitutionnelle desdites minorités, on peut esquisser une définition se composant de plusieurs critères objectifs et d'un critère subjectif. Les éléments objectifs tiennent au caractère ethnique de la minorité et au fait que ce caractère la distingue de la majorité de la population du pays, étant entendu que les membres de la minorité possèdent la nationalité de l'Etat dans lequel ils se trouvent. L'élément subjectif réside à la fois dans la volonté du groupe de préserver son identité et dans le choix effectué par chaque individu d'appartenir ou non au groupe. Partant de cette esquisse, au regard de quelques trois centaines de groupes ethniques peuplant le Cameroun, que seraient le ou les groupes qui doivent être considérés comme minoritaire ? Le risque est alors grand de voir, au regard du critère volontariste avancé dans la définition des minorités, tous les groupes ethniques du pays revendiquer le statut de minorité, dans le but de bénéficier des droits particuliers que la constitution déclare leur reconnaître((*)202). Mais quels droits reconnaître à ces minorités ethniques, dans l'hypothèse où elles existeraient ? Peut être que le constituant camerounais a-t-il vu dans la garantie des droits des populations autochtones un moyen efficace de protection des minorités. Ce qui nous amène à analyser la seconde disposition. En effet, la protection des minorités passe par l'octroi de la présidence du conseil régional aux seules personnalités autochtones. Cette disposition introduit donc une distinction d'un point de vue strictement juridique entre les populations autochtones et celles allochtones appelées encore allogènes. En effet, ces deux pôles ne jouissent pas des mêmes droits sur toute l'étendue du territoire, leur situation juridique étant fondée sur le lieu d'établissement. Ainsi, seuls les citoyens autochtones sont éligibles à la présidence du conseil. Sur le plan du droit, cette différentiation des droits politiques est une relativisation du principe démocratique régissant l'organisation de l'Etat, car elle introduit une discrimination portant sur un droit démocratique essentiel, à savoir l'éligibilité à une fonction publique. Cette disposition heurte de toute évidence l'interdiction de traiter de manière différente des personnes placées dans des situations analogues ou comparables en l'absence de justification objective et raisonnable de la différence de traitement, disposition contenue dans les différentes conventions internationales relatives à la non discrimination. Seul l'existence d'une minorité aurait légitimé cette discrimination. Or il n'est pas démontré que les populations autochtones sont minoritaires dans leurs régions, ou encore dans le sens où l'entend la théorie du droit, pour que soit légitimé un traitement discriminatoire en leur faveur. L'exemple du Cameroun démontre le piège de la perversion que le recours à la spécificité africaine peut porter aux principes libéraux et pluralistes de la démocratie. En effet, vouloir adapter la pratique de la démocratie en repensant des termes comme la majorité par l'utilisation du principe ethnique, outre le fait qu'elle porte atteinte à l'âme même de la démocratie, peut avoir comme conséquence un dressage des ethnies les unes contre les autres. La mémoire de l'humanité restera longtemps marqué par le génocide rwandais, la crise libérienne et yougoslave, nés de l'exacerbation des identités ethniques. La même mémoire de l'humanité est marquée au fer par les rivalités sanglantes au nord -est de la RDC, c'est-à-dire en Ituri, entre les Hema et les Lendu, deux populations qui après avoir vécu longtemps dans le calme, se sont vu dressés les uns aux autres par la politique d'accentuation de l'identité ethnique menée par l'occupant ougandais. L'Etat démocratique moderne a déjà été inventé, il a évolué pour devenir la forme d'organisation la plus achevée dans le monde entier. Il convient ainsi d'appliquer strictement ses principes tels que théorisés en droit public. Toutefois, cet Etat peut dans sa genèse, son organisation et son fonctionnement c'est-à-dire en dehors de son originalité ou de sa substance, être modelé à la société sur laquelle il va imposer sa puissance souveraine. Rechercher une spécificité pèche d'un subjectivisme car aucun peuple africain ne s'est jamais prononcé, ne fut-ce que par voie de referendum - et encore que cela serait honnête, transparent et ouvert à tous - en faveur d'une démocratie à la congolaise, à la camerounaise, etc. A la suite du professeur Greg BASUE BABU-KAZADI, notons que « l'exemple de l'application de la charia au Nigeria renseigne sur les tentatives forcées de faire table rase ou marche arrière alors que l'évolution du monde a atteint la vitesse cybernétique »((*)203). Certes, il n'existe pas de théorie démocratique applicable sans une adaptation épousant les réalités de la société sur laquelle elle est appelée à être modelé. En effet, la démocratie n'est pas un « produit » à exporter sans réserve, avec un mimétisme à tout vent. La démocratie n'est pas une idéologie, mais le fruit capricieux d'une évolution historique. Mais elle a tout de même un théorème qui doit s'appliquer dans toutes les aires et les ères, sans le moindre marchandage et qui peut s'énoncer en ces termes : « Pour que l'humanité soit libre, mieux vaut que le peuple soit souverain, et cette souveraineté populaire implique l'égalité politique et sociale »((*)204). Bien évidemment, le recours logique au fonds culturel africain par les dirigeants africains est plus orienté vers la recherche de solution pour se pérenniser au pouvoir, se fondant sur l'argumentaire d'une démocratisation graduelle menée sans l'intervention des acteurs extérieurs, ou pour disqualifier tout bonnement la nécessité d'une intervention de la communauté internationale. Il est difficile de chercher à sous-estimer l'influence potentielle que pourrait exercer la communauté internationale dans la conduite ou l'aboutissement des processus internes de démocratisation en Afrique. Mais il est aussi évident que ces pressions ne sauraient, à elles seules, entraîner un changement démocratique. En définitive, la démocratisation est un processus qui résulte avant tout d'un mouvement endogène, interne. C'est l'oeuvre des peuples : la démocratie est le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple. Même dans les pays occidentaux qui estiment être les plus avancés en matière de démocratie, celle-ci est avant tout l'oeuvre d'une maturation interne. « Ni la France, ni le Royaume-Uni ne sont devenus démocratiques parce qu'il y avait une ONG sur la planète mars qui était intervenue »((*)205). Cette remarque est légitime dès lors que nous acceptons que la démocratisation est un processus. Processus économique et social qui devient politique, qui se consolide en processus juridique et qui crée une culture, formant un ensemble cohérent. En d'autres termes, la démocratisation est le fruit d'une évolution historique. L'erreur est de considérer la démocratisation comme une conversion. « La conversion, c'est Saul qui tombe de cheval sur la route de Damas ». La démocratie serait instantanée si elle équivalait à la vraie foi. L'action internationale n'aura donc pour but que de se greffer, par la solidarité entre les peuples, à la maturation de l'action interne. Solidarité entre peuples, avons-nous dit ? « Les Etats n'ont pas d'états d'âme, ils n'ont que des intérêts », avait révélé Charles de GAULLE ce qui n'était qu'un secret de polichinelle. L'inscription de la donne démocratique dans la politique étrangère des nations occidentales vise prioritairement à rechercher et préserver un intérêt politique, économique, stratégique, militaire, consulaire et autres. Néanmoins, l'idée de solidarité et de coopération fondée sur la morale internationale, les traditions judéo-chrétiennes et la solidarité africaine atténue l'idée d'intérêt. Les interventions externes n'auront donc beaucoup de chances de réussir que si elles sont couplées à des processus endogènes de démocratisation. C'est pourquoi, pensons-nous, l'usage des mesures de contrainte non armées, dont la contribution à l'implantation de la démocratie ne doit pas être sous-estimé, doit être privilégié. Présentées de manière rhétorique comme inefficaces, les mesures de contrainte non armées ont exercé une influence politique majeure sur les changements politiques en Europe de l'Est ou en Afrique du sud. Des régimes que l'on prenait pour des forteresses sont tombés comme des châteaux de cartes, à force de pressions économiques, politiques et diplomatiques. L'intervention armée peut permettre de rétablir la paix, une condition préalable de la démocratie. C'est dans ce cadre que s'inscrit la présence de la MONUC en RDC. Mais elle ne peut pas décréter à coup de bombes la démocratie. Durant prés de sept ans, la RDC a connu une « guerre par procuration menée par des sous-traitants régionaux » ((*)206) qui n'a fait que causé des millions des morts. Les mandants et les mandataires ont plus tué, violé et pillé, mais ils n'ont jamais instauré la démocratie. Depuis 2000 donc, on assiste à un « retour en force de la bannière bleu » afin de rétablir la paix, nécessaire à toute célébration des élections. Aussi, formulons-nous le voeu de voir la communauté internationale accompagner, par la solidarité entre les peuples, la maturation de l'action interne en faveur de la démocratie. Les marches du 03 juin 2004 et du 10 janvier 2005 prouvent la volonté du peuple d'en finir avec les armes et la négociation comme mode de conquête du pouvoir ((*)207). C'est l'éveil d'une dynamique interne qui exige la célébration urgente des élections pour le 30 juin, non pas 1960, mais 2005. Peut être que dans les années à venir, le 30 juin, le peuple ne commémorera plus que l'accession de la RDC à l'indépendance, mais aussi sa réhabilitation en tant que souverain. Désormais, dans leurs curriculums vitaes, les candidats aux fonctions publiques n'exhiberont plus les certificats de décès des congolais qu'ils ont envoyé sous la terre pour se faire nommer. Puisse le processus actuel en RDC aboutir à la formule démocratique 1+ 60.000.000 des congolais !!!!!!!!!!!! * (198) H.KISSINGER, op.cit, p.225. * (199) Voir H.N'GBANDA, op.cit, p.140. * (200) « Le Cameroun c'est le Cameroun », lançait Paul BIYA le 27 juin 1991 à l'Assemblée nationale pour faire comprendre à ses opposants que les contingences inhérentes aux réalités camerounaises n'imposent pas forcément un mimétisme à tout vent. Mais paradoxalement à la revendication de la démocratie de son pays, en visite à Paris le 3 avril 1991, répondant à la question de la presse de savoir si en considération des préceptes de la Baule il était bon ou mauvais élève, Paul BIYA déclarait : « Eh bien, je ne crois pas déformer la pensée du président MITTERAND en disant qu'il estime que je suis parmi les meilleurs élèves » ! * (201) Voir préambule de la constitution : « L'Etat assure la protection des minorités et préserve les droits des populations autochtones conformément à la loi ». Voir notamment l'art. 57 al .2 in fine et al.3 : Le conseil régional doit refléter les différentes composantes sociologiques de la région d'une part, et « être présidé par une personnalité autochtone de la Région élue en son sein pour la durée du mandat du conseil » d'autre part. * (202) Le même problème transposé en RDC, il est légitime de s `interroger si quelle ethnie, dans un pays qui en compte plus de trois centaines, peut être considéré comme minoritaire : les « Banyamulenges » au Nord-Kivu, les Bateke et Bahumbu à Kinshasa, les Bashilele au Kasai-occidental, etc. ? En réalité et de prime abord, seuls les pygmées semblent présenter les caractéristiques qui permettent l'identification aisée d'une minorité nationale, vu leurs difficultés à s'intégrer dans la société moderne (l'affirmation vaut aussi pour le Cameroun). Aussi, déplorons- nous les tentatives menées de l'extérieur en vue de fragiliser l'unité nationale en RDC et de provoquer la désintégration du pays, en se targuant de certaines violations des droits humains à l'encontre d'un groupe ethnique privilégié que dans certaines capitales occidentales on qualifie avec une dose d'ignorance mêlée de mauvaise foi de « minorité ». Paraphrasons ainsi le professeur Sayeman BULA- BULA qui s'étonne du fait que le Conseil de sécurité des N.U. se soit transformé en « Conseil des droits de l'homme, suivant la tête du plaideur, dissolvant ainsi l'humanité au Congo dans ses groupes ethniques, choisis sélectivement » sans avoir assumé sa responsabilité d'enrayer l'agression dont a été victime la RDC. Voir S.BULA-BULA, L'ambiguïté de l'humanité en droit international, Kinshasa, PUK, 1999, p.12 * (203) G.BASUE BABU-KAZADI, Structures...op.cit, p.43. * (204) Jacques BARZUN, cité par L.DONFACK SOKENG, op.cit, p.26. * (205) H.VEDRINE, « Quelles perspectives pour la démocratie en Afrique ? », allocution à la conférence mondiale des fondations démocratiques, Paris, le 21 mars 2003. * (206) S.BULA-BULA, L'ambiguïté...op.cit, p.9. * (207) Pauvre peuple, accusé chaque fois d'être manipulé quand il descend à la rue pour manifester et revendiquer ce qui lui revient de droit. |
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