L'implication de la communauté internationale dans les processus de démocratisation en Afrique. Le cas du Cameroun( Télécharger le fichier original )par Jean Marcel ILUNGA KATAMBA Université de Kinshasa - Graduat 2004 |
§2. SITUATION INSTITUTIONNELLE ET CONSTITUTIONNELLE D'APRES 1996La conférence nationale n'eut donc plus lieu au Cameroun. L'analyse du constitutionnaliste épris des textes pourrait se fonder sur le fait qu'à la différence du Bénin, du Gabon ou encore de l'ex Zaïre où ces conférences eurent lieu dans le but d'installer un cadre constitutionnel et institutionnel où devait s'ancrer la démocratie, la constitution du 2 juin 1972 du Cameroun, nonobstant ses divers amendements, reconnaissait le multipartisme((*)132). On peut en effet lire à l'article 3 de ladite constitution que « les partis et formations politiques concourent à l'expression du suffrage ». Mais reconnaissons du moins dans une perspective socio-politique que « le rapport de forces entre le pouvoir en place et la « société civile » n'imposait pas cette solution »((*)133). La volonté de « pilotage » exclusif de la dynamique politique interne du gouvernement renforcée, on ne peut donc s'étonner de la détermination unilatérale des modalités techniques de l'élaboration de la constitution. Si cette considération nous permet de rendre compte de l'état de détournement du processus démocratique, ce qui a déjà été fait au point précédent, elle ne nous permet pas de définir la nature juridique de l'acte auquel a conduit la volonté de pilotage exclusif de la dynamique politique interne, ainsi que du régime politique institué par ledit acte. C'est ce que nous nous attèlerons à faire dans les pages qui suivent. A. De la nature juridique de « la loi constitutionnelle n ° 96/06 portant révision de la constitution du 02 juin 1972 »La qualification du discours juridique officiel clase l'acte constituant du 18 janvier 1996 dans la catégorie de la révision constitutionnelle((*)134). Toutefois, la procédure suivie soulève quelques questions auxquelles il convient de répondre. En effet, l'acte que nous nous proposons d'analyser a été finalement adopté par un vote de l'Assemblée nationale et non par référendum. Précisons tout d'abord que le pouvoir constituant dérivé ou institué est l'autorité désignée par la constitution elle-même pour modifier éventuellement le texte constitutionnel((*)135). Le recours au pouvoir constituant dérivé qu'est l'Assemblée nationale en lieu et place du référendum constituant ne poserait pas problème à ce niveau. Ce qui est à noter cependant, c'est que l'Assemblée nationale, organe investi du pouvoir de réviser la constitution, à la différence du pouvoir constituant originaire, est un pouvoir limité par essence. Outre les limitations qui peuvent être expressément prévues dans la constitution et qui ne nous préoccupent guère dans le cas d'espèce, la nature même du pouvoir constituant dérivé implique d'autres restrictions plus générale et qui découlent plus de l'esprit que de la lettre des textes((*)136). La restriction qui nous intéresse dans le cas sous-examen est celle qui rend incompétent le pouvoir constituant dérivé pour toute révision totale de la constitution. Car, comme le souligne si pertinemment le professeur Edouard MPONGO BOKAKO BAUTOLINGA, « Créé par la constitution, le pouvoir de révision ne doit pas abroger la constitution, c'est-à-dire détruire le fondement de sa propre compétence ou si l'on préfère scier la branche sur laquelle il est assis »((*)137). Pourtant, c'est ce qui s'est passé au Cameroun. Alors que la révision devait porter sur quelques articles, les députés sont allés au-delà du champ de la « révision » de la constitution symbolisé dans le texte à eux remis par l'écriture des nouveaux articles en des caractères italiques pour se prononcer sur toute la constitution du 2 juin 1972 ainsi que le témoignent le rapport de la commission des lois constitutionnelles présenté le 21 décembre 1995 à la chambre entière et le vote parlementaire du 23 décembre 1995 par 160 voix pour, 2 contre et 8 abstentions((*)138). Sur le plan de l'analyse juridique positiviste, l'argument de la révision constitutionnelle est d'autant plus difficile à recevoir que la loi fondamentale est passée de 39 articles et X titres à 69 articles repartis en XII titres, que de nouvelles institutions telles le Sénat et le Conseil constitutionnel ont vu le jour, et contribuent à modifier l'économie générale du régime. Il va sans dire qu'il s'agit de toute évidence incontestablement d'une fraude à la constitution, c'est-à-dire d'un « procédé par lequel l'autorité de révision utilise ses pouvoirs dans un but autre que celui en vue duquel ils lui ont été conférés, c'est-à-dire dans le but d'établir un régime fondamentalement différent » ((*)139). Il apparaît donc clairement, eu égard aux considérations d'une doctrine autorisée que ce que le discours juridique officiel qualifie de « Loi n°96/06 portant révision de la constitution du 2 juin 1972 » n'est pas une révision mais est en réalité l'élaboration d'une nouvelle constitution, relevant de la catégorie juridique des fraudes constitutionnelles. Seul donc un référendum constituant aurait donné à cet acte toute sa valeur, nonobstant les irrégularités relevées dans la phase d'élaboration et de discussion de l'Avant-projet. L'argument selon lequel le recours au parlement offrait plus d'opportunités de discussion et de remise en cause qu'un referendum ne tient pas debout, le pouvoir constituant originaire étant souverain et inconditionné. En effet, « une constitution ne tire pas sa valeur de l'élégance de son architecture et de ses équilibres au regard des constitutionnalistes. Elle tient à sa vérité, c'est-à-dire à l'adéquation d'un ordonnancement au vouloir être peuple d'une population »((*)140). Pour ce faire, le peuple doit être mis en état d' "insurrection constitutionnelle "((*)141). C'est plus qu'une question de mode, mais un impératif de la démocratie : « Avant d'être la capacité de se donner des dirigeants par des élections libres, justes et transparentes, la démocratie est le choix, par la libre discussion de sa constitution et de ses lois fondamentales. Le bon ordre exige qu'on satisfasse à ce réquisit avant de passer à un autre et il est tel qu'il ne se négocie pas ni par sa priorité ni pour la préséance »((*)142). Mais au-delà de ces développements sur la nature juridique de l'acte constituant du 18 janvier 1996, l'aménagement institutionnel apporté par ce dernier dans l'espace politique camerounais soulève quelques questions auxquelles l'analytique institutionnelle nous permettra de répondre. * (132) La constitution du Cameroun, adoptée par référendum le 20 mai 1972, a été modifié par les lois constitutionnelles du 9 mars 1975, du 29 juin 1979, du 21 juillet et 18 novembre 1983, du 4 février 1984 et du 23 avril et 16 décembre 1991. * (133) voir P. MOUKOKO MBONDJO, op.cit, p.247. La position de force dans laquelle se trouvait le président BIYA était confortée par un début de positionnement claire des officiels français sur l'inopportunité d'organiser une conférence nationale au Cameroun. C'est dans ce cadre que s'inscrivaient les déclarations du sénateur Charles PASQUA et de l'ancien président et eurodéputé Giscard d'ESTAING, en visite au Cameroun respectivement le 9 novembre 1991 et le 28 janvier 1992, favorables à la solution électorale et opposés à l'organisation d'une conférence nationale souveraine. * (134) Le discours du président Paul BIYA lors du dépôt du projet devant l'Assemblée nationale le 27 novembre 1995 et l'intitulé de la loi constitutionnelle consacrent le terme révision, de même que le communiqué du directeur du cabinet civil de la Présidence de la République du 19 janvier 1996. * (135) Voir E. MPONGO BOKAKO BAUTOLINGA, Institutions politiques et droit constitutionnel, Kinshasa, E.U.A., 2001, p. 98. * (136) E.MPONGO BOKAKO BAUTOLINGA, op.cit, p. 99-100. * (137) Idem, p.101. C'est nous qui soulignons. * (138) Voir L.Sindjoun, « Identité nationale et « révision constitutionnelle » du 18 janvier 1996 : Comment constitutionnalise-t-on le « nous » au Cameroun dans l'Etat post-unitaire ? », in Polis/RCSP, volume 1 numéro spécial février 1996, p.2. * (139) Dans le même sens, Pierre PACTET, citant LIET-VAUX, note que si la révision porte sur un très grand nombre de dispositions, et à fortiori si elle est totale, on peut en venir à l'élaboration d'une nouvelle constitution, ce qui équivaut à une fraude à la constitution. Voir P. PACTET, Institutions politiques et Droit constitutionnel, 12ème édition, Paris, Masson,1993 p.76. * (140) F. EBOUSSI BOULAGA, op.cit, p. 194. * (141) Idem, p. 193. * (142) Ibidem, p.197. |
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