L'implication de la communauté internationale dans les processus de démocratisation en Afrique. Le cas du Cameroun( Télécharger le fichier original )par Jean Marcel ILUNGA KATAMBA Université de Kinshasa - Graduat 2004 |
SECTION 2. UNE REACTION CONTRAIGNANTE EXERCEE EN DEHORS DU « DOMAINE RESERVE » N'EST PAS CONSTITUTIVE D'INTERVENTION ILLICITELa mesure coercitive a été définie dans les pages précédentes comme une action par laquelle son auteur cesse de discuter et de recommander et commence à s'imposer en assortissant ses injonctions de menaces et d'un ultimatum (voir supra, p. 34). Certains auteurs, sur base de l'article 53 de la Charte((*)83), limitent les mesures coercitives aux seules actions militaires en se référant aux mesures de grande envergure prises par l'O.E.A. à l'encontre de Cuba sans l'autorisation du Conseil de sécurité((*)84). Cette assimilation des mesures militaires et coercitives est d'ailleurs souvent opérée d'une manière générale. Toutefois, dans le cadre de notre dissertation, il nous a paru plus logique de considérer les « mesures coercitives » dans le sens plus large de « mesures de contrainte », sans les limiter à cette interprétation particulière à l'art. 53((*)85). C'est d'ailleurs le point de vue partagé par la RDC qui, dans l'affaire du mandat d'arrêt du 11 avril 2000, affirmait que la Belgique avait porté atteinte au principe de l'égalité souveraine entre les Etats en émettant le mandat d'arrêt litigieux contre un ministre des affaires étrangères, un mandat qui constitue comme tel un « acte juridique coercitif » portant atteinte à l'immunité et aux droits souverains du Congo, dans la mesure où il vise à « soumettre à un pouvoir juridictionnel répressif, un gouvernant étranger qui lui échappe en principe... »((*)86), argument qui n'a jamais était contesté par la partie défenderesse, la Belgique, ni réfuté par la cour universelle elle-même. La notion de mesures coercitives éclaircit, la question que nous nous proposons d'analyser dans la présente section est celle de leur licéité. Si l'élément de contrainte confère à une intervention l'illicéité, la considérer comme s'exerçant en dehors du domaine réservé revient à la faire échapper à la prohibition de l'intervention. Il convient donc de préciser la notion d' « affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un Etat » ou du « domaine réservé » (§1) avant d'en déterminer le cadre juridique (§2). §1. NOTION DU DOMAINE RESERVELa notion du domaine réservé renferme l'idée de la soumission de l'Etat au droit international et la liberté de décision de l'Etat lorsque le droit international se contente de fonder les compétences étatiques sans en réglementer les modalités d'exercice((*)87). Elle aura donc un contenu irréductible, aussi longtemps qu'il n'existera pas un « Etat mondial » et que les Etats disposeront d'une compétence « discrétionnaire » plus au moins étendue. Discrétionnaire ne veut pas dire « arbitraire », car leur existence est soumise aux principes généraux du droit international. Par conséquent, seul ce droit détermine, en dernier ressort, l'étendue du domaine réservé((*)88). Fondé donc sur le concept de la souveraineté étatique, le domaine réservé est un concept juridique et non pas politique. Son existence et sa reconnaissance sont tout à fait compatibles avec la suprématie du droit international. Si donc la notion du domaine réservé est juridique, il faut disposer d'un critère de son champ d'application. Et ce critère doit être recherché dans le droit international. A. Le critère de l'engagement internationalIl est un fait évident en droit international de nos jours : l'existence d'un engagement international constitue le critère fondamental de la délimitation du domaine réservé. Cette constatation n'est pas nouvelle. L'art. 2 § 7 de la charte ne fait que reprendre en termes extensifs l'interdiction que faisait l'art. 15 § 8 du pacte de la SdN au conseil de ne « recommander aucune solution » aux différends portant « sur une question que le droit international laisse à la compétence exclusive » des Etats qui y étaient parties. La C.P.J.I a précisé que ces termes recouvraient « Certaines matières qui, bien que pouvant toucher de près aux intérêts de plus d'un Etat, ne sont pas, en principe, réglées par le droit international »((*)89). Et la cour précise par la suite qu' « en ce qui concerne ces matières, chaque Etat est seul maître de ses décisions »((*)90). Cette référence au droit international sera constamment réaffirmée. C'est dans ce cadre que s'inscrivent les résolutions 1514 (XV), 2131 (XX), 2625 (XXV) et 36/103 de l'Assemblée générale des NU. Ces résolutions ne comportent aucune définition précise de la notion du domaine réservé, mais précisent au moins que cette notion recouvre en tout cas les « droits souverains de l'Etat », droits qui, par définition, ne sont pas limités par un engagement international. La CIJ se veut beaucoup plus explicite dans l'affaire du Nicaragua, puisque après avoir affirmé que l'« intervention interdite doit donc porter sur des matières à propos desquelles le principe de souveraineté des Etats permet à chacun d'eux de se décider librement »((*)91), elle précise par la suite que les domaines visés sont ceux « où chaque Etat jouit d'une entière liberté de décision en vertu du principe de souveraineté »((*)92). Amenée à appliquer les principes qu'elle a posés, la cour définit on ne peut plus clairement le domaine réservé en énonçant que « les orientations politiques internes d'un Etat relèvent de la compétence exclusive de celui-ci, pour autant, bien entendu, qu'elles ne violent aucune obligation de droit international »((*)93). La cour examine avec minutie si les matières qui ont fait l'objet d'une intervention des Etats-Unis au Nicaragua étaient conclues dans des engagements internationaux. C'est sur base d'une réponse négative que l'intervention américaine est qualifiée d'illicite ((*)94). L'examen de la pratique interétatique confirme ce point de vue jurisprudentiel. Par exemple, il est d'avis général que le pouvoir de légiférer, au même titre que le pouvoir d'exécuter les lois et les décisions judiciaires et le pouvoir de rendre justice, font partie du domaine réservé d'un Etat, c'est-à-dire des attributs de la souveraineté. Cependant, le parlement congolais s'était vu prier par le CIAT de revoir une loi qu'il avait votée dans les conditions fixées par la constitution de la transition, le 19 avril 2004((*)95), loi portant organisation et fonctionnement de la commission électorale indépendante (C.E.I), afin d'en assurer l'indépendance et l'efficacité. Pourtant, cette mesure ne peut être qualifiée d'illicite, vu que les négociateurs congolais réunis à Sun City avaient reconnu au CIAT le pouvoir d'accompagner les institutions de la transition((*)96). Toujours sur ce registre des faits, l'annexe IV dispositif 3 de l'Accord Global et Inclusif reconnaît au CIAT le rôle d'abriter et de trancher « tout désaccord pouvant survenir entre les parties au présent accord ». C'est ainsi que, par une lettre adressée au gouvernement le 30 avril 2004, le CIAT faisait valoir son intention de procéder à la répartition de la territoriale entre les composantes et les entités, suite au désaccord constaté entre elles((*)97). Il ressort donc d'une jurisprudence constante des instances judiciaires internationales et de la pratique interétatique que l'existence d'une obligation internationale pour un Etat dans une matière particulière fait sortir cette matière de ses affaires intérieures. La doctrine aussi adopte la même solution. Selon BINDSCHEDLER, « le domaine réservé est celui des activités étatiques où la compétence d'Etat n'est pas liée par le droit international»((*)98). Le professeur BIN CHENG affirme quant à lui que l'Etat « est libre d'agir comme il l'entend dans toute affaire qui relève de sa compétence nationale, autrement dit pour tout ce qui ressortit à sa souveraineté juridique, pourvu qu'il ne soit pas limité en son exercice par une règle du droit international ou une obligation qui lui incombe, directement, ou indirectement, en vertu d'un traité»((*)99). L'idée d'un domaine réservé par nature ne fait plus guère d'émules((*)100). L'article 1er de la résolution adoptée par l'I.D.I. en 1954 définit le domaine réservé comme « celui des activités étatiques où la compétence de l'Etat n'est pas liée par le droit international », avec cette précision que « l'étendue de ce domaine dépend du droit international et varie suivant son développement »((*)101). Par conséquent, « la conclusion d'un engagement international dans une matière relevant du domaine réservé exclut la possibilité pour une partie à cet engagement d'opposer l'exception du domaine réservé pour toute question se rapportant à l'interprétation ou à l'application dudit engagement»((*)102). Eu égard à ces considérations jurisprudentielles, pragmatiques et doctrinales, il est tout à fait fondé d'affirmer que toute action visant à contraindre un Etat à respecter ses obligations internationales ne constitue pas une intervention prohibée par le droit positif des Nations Unies. Plusieurs questions concernant l'application de ce critère de l'engagement international restent toutefois à résoudre. * (83) Art. 53 : «...aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux sans l'accord du conseil de sécurité ». * (84) Voir O.CORTEN et P.KLEIN, op.cit, p.19-20. * (85) Avis partagés par O.CORTEN et P.KLEIN, op.cit, p.20. * (86) C.I.J, affaire du mandat d'arrêt du 11 avril 2000 (RDC/Belgique) Arrêt du 14 février 2000, §.62 et 63. C'est nous qui soulignons. * (87) Voir Q.D. NGUYEN et alii, op.cit, p.438. * (88) Quand on sait que ce sont les Etats qui sont maîtres des avancées du droit international, c'est-à-dire des restrictions progressives du domaine réservé! * (89) C.P.J.I, affaire des décrets de nationalité promulgués en Tunisie et au Maroc, extrait cité par O.CORTEN et P.KLEIN, op.cit, p.84. * (90) Idem, p.85. * (91) C.I.J, affaire des activités militaires,... § 205. * (92) Idem, § 241. C'est nous qui soulignons. * (93) Ibidem, § 258. C'est nous qui soulignons. * (94) Ibidem, § 259. * (95) Aux termes de l'art. 160 de la constitution de la transition, la C.E.I. doit être régie par une loi organique. Or pour des telles lois, la majorité des membres des deux chambres du parlement est requise, condition qui a été respectée par le vote du 19 avril 2004 (voir art. 121 de la constitution de la transition). Qui plus est, c'est la cour suprême de justice qui déclare à priori une loi organique conforme ou non à la constitution avant sa promulgation par le chef de l'Etat (voir art.121 al.2 de la constitution). * (96) Voir Annexe IV de l'accord global et inclusif. L'art.1 al.2 de la constitution de transition stipule que « l'accord global et inclusif et la constitution constituent la seule source du pouvoir pendant la transition », la constitution étant élaborée sur base de l'accord global. * (97) Même si M. KUDURA KASONGO, porte parole du Président de la République, déclarait le 7/05/2004 que le CIAT a pour rôle d'accompagner et non de gérer le pays à la place des congolais, en se substituant aux institutions de la transition. Toutefois, M. KUDURA devait se référer à la mise en place par le CIAT de l'Etat Major de l'armée suite au désaccord des parties à l'accord. Voir le journal Le potentiel n° 3116 du lundi 3 mai 2004. * (98) Bindschedler, cité par O.CORTEN et P.KLEIN, op.cit, p.86. * (99) Bin Cheng, cité par O.CORTEN et P.KLEIN, idem. * (100) La doctrine du domaine réservé par nature est une filiation directe de l'idée inacceptable que l'Etat a « la compétence de la compétence », et réserve aux Etats la responsabilité de la définition de leur domaine réservé. Voir Q.D.Nguyen, op.cit., p.439. * (101) Voir AIDI, 1984, p.292, reproduit par O.Corten et P.Klein, op.cit, p.86. * (102) Idem. |
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