4. Chapitre IV : La cohésion sociale au
Maroc
J
usque là nous n'avons traité que des exemples
ayant trait à des pays hautement industrialisés, ce qui n'est pas
le cas du Maroc. En effet, la description qu'on a faite des
sociétés de type capitaliste n'est pas systématique. Il
convient de mettre en lumière un
certain nombre de nuances entre les pays
développés et les pays en voie de développement, ces
derniers ont une structure sociale composite, c'est-à-dire qu'en
même temps qu'ils développent des structures modernes, subissent
l'influence des avatars traditionnels de type féodal et tribal.
Il est certain que dans chaque pays, on cherche à
résoudre un problème fondamental, à savoir la justice et
l'égalité sociales. Cependant, les préoccupations ne sont
pas les mêmes. Si les pays développés ont affaire à
une problématique d'abondance, où les questions qui sont
posées sont celles, à titre d'exemple, de la qualité des
aliments ou de la pollution de l'environnement, les pays en voie de
développement, quant à eux, souffrent de problèmes
beaucoup plus élémentaires ayant trait directement à la
subsistance de la population. En toute logique, la cohésion sociale dans
les pays en voie de développement revêt une autre dimension.
Cinquante ans après l'indépendance, le Maroc a
cumulé les faux-pas laissant ainsi s'installer l'un des déficits
sociaux les plus alarmants du Maghreb. La politique marocaine a
été, durant ces années, pour le moins ambivalente,
tantôt prônant un libéralisme et un libre fonctionnement du
marché, tantôt effectuant un protectionnisme étouffant.
Sans oublier, une répression politique qui a sévit depuis les
années soixante jusqu'à la fin des années quatre-
vingt-dix. Dans ce contexte, les entreprises publiques étaient «
gérées » par une bureaucratie étatique
dépourvue de toute compétence, ce qui a eu pour effet une gabegie
des biens publics et des ressources nationales sous toile de fond d'une
corruption sans égale. En effet, Une large série de plan et de
réformes comme le Plan d'Ajustement Structurel (PAS), la marocanisation
ou encore la privatisation se sont soldés par un lourd échec :
« La grande maladie du Maroc, c'est la greffe des modèles et
l'absences de l'innovation » (Paul Pascon cité par Zakya
Daoud, 2007).
Le constat du Maroc est affligeant. Il occupe la 126è
place dans le classement du développement humain ( PNUD, 2007-2008)
très loin derrière l'Algérie 104è place et la
Tunisie 91 è place. Cette situation inquiétante nous pousse
à se demander s 'il existe réellement une promotion de la
cohésion sociale au Maroc ? Quelles sont les interventions de l'Etat
marocain pour réduire la fracture sociale ? Et quel est leur
degré de pertinence ?
4.1. Les inégalités sociales au
Maroc
S
elon la logique gouvernementale, la réduction des
inégalités sociales passe nécessairement par une
croissance économique soutenue. Afin de maximiser celle-ci, le
gouvernement envisage mais ne parvient pas encore à améliorer le
secteur de
l'éducation et de la santé : « Le
Maroc n'arrive pas en termes de développement des ressources humaines
à se hisser au niveau des pays à revenu moyen et à
performance élevée ». (MENA Banque Mondiale, 2005) En
plus de ces deux secteurs fondamentaux, le gouvernement mise sur le secteur
privé, en effet, on a assisté ces dernières années
à une grande série de chantiers ayant pour but
l'amélioration de l'environnement du secteur privé. une grande
part de l'effort consenti par l'Etat va à l'assainissement des finances
publiques par le biais :
+ d'une gestion budgétaire bien maîtrisée
qui devrait ramener le déficit budgétaire à des niveaux
soutenables
+ de l'assouplissement de la fonction publique, en
réduisant la masse salariale.
Concrètement, La situation sociale au Maroc est
façonnée par plusieurs éléments résultant
directement ou tacitement de la volonté politique de l'Etat, on peut
citer quelques uns :
+ la série de privatisation, ayant pour but initial la
soumission des entreprises publiques à des règles de gestion plus
rigoureuses, qui traduit le détachement de l'Etat de plusieurs secteurs
vitaux pour la population comme la santé, l'éducation, l'eau et
l'électricité...
+ la dégradation socio-économique qui touche une
large partie de la population + le gouffre entre la ville et la compagne qui
s'étend de plus en plus...
Il faut se rendre à l'évidence, L'action
sociale de la part de l'Etat est inefficace. Pire encore, elle est souvent mise
au second plan, en s'appuyant sur quelques statistiqueson peut relever les
constats suivants :
·:* Le budget de fonctionnement affecté pour
la défense et les anciens résistants absorbe 36.6% du budget
général contre 29.1% pour l'éducation et 5.4% seulement
pour la santé.
· :* Concernant l'emploi, l'Etat a procédé
à la création de 17000 postes, néanmoins il est
prévu le départ en retraite de plus de 25000 personnes. Ce
désengagement de l'Etat intervient à un moment où tous les
indices sociaux sont au rouge prouvant l'échec des politiques publiques
dictées par les organisations monétaires internationales
· :* le régime de sécurité ne couvre
que la moitié des 2 Millions des salariés, alors que les non
salariés ne bénéficient d `aucune couverture sociale
obligatoire.
· :* l'emploi salarié de la main d'oeuvre infantile
est une pratique courante, alors que 77% des petites filles «
employées à la maison » n'ont jamais été
scolarisées.
· :* le taux de chômage urbain en 2000 selon les
statistiques officielles avoisine les 22%. Ces statistiques sont fortement
contestées puisque, selon les critères retenues, même un
chômeur qui ne travaille qu'un jour par semaine est
considéré comme étant actif.
· :* les inégalités sociales se creusent. Les
10% des marocains les plus riches consomment désormais 14 fois plus que
les 10% les plus pauvres.
Devant l'absence d'une politique sociale concrète,
l'Etat met en avant des raisons conjoncturelles pour justifier ces
résultats comme la sécheresse, le cours du pétrole ou le
cours de devises. Il convient de signaler que les inégalités
sociales étant trop flagrantes menacent la cohésion sociale.
D'ailleurs, le Maroc a connu récemment plusieurs manifestations
dénonçant la vie chère ou le chômage des jeunes
diplômés et qui ont été parfois
sévèrement réprimées. La dernière en date
est celle de SIDI IFNI.
4.1.1. Education publique :
Au Maroc, 42% de la population est illettrée selon les
estimations du HCP pour l'année 2006. Ce taux atteint 58.8 % dans le
milieu rural et plus de 73.4% des femmes rurales sont analphabètes.
Même si le secteur de l'éducation n'est pas touché par la
privatisation, L'Etat promeut en quelque sorte le secteur privé. Parmi
les moyens mis en oeuvre pour stimuler le secteur privé, figurent la
validation par l'Etat de l'enseignement dispensé dans les écoles
privées, des réductions ou exemptions fiscales, des subventions
et la formation de personnel d'encadrement du secteur privé,
payée par l'Etat.
Le dernier rapport de la Banque Mondiale a classé
l'éducation publique marocaine à la 11è place parmi les 14
pays de la région MENA (Moyen orient et Afrique du Nord) la Tunisie et
l'Algérie occupent successivement la 3è et la 8è place
tout en sachant que le budget alloué à l'éducation au
Maroc est 10.5% plus qu'en Algérie et 6.4% plus qu'en Tunisie. L'Etat
débourse plus, encore faut-il bien utiliser cet argent. Car, il est
important de le signaler, la situation de l'éducation est en
piètre condition.
Le rapport du conseil supérieur de l'enseignement [CSE]
montre que l'éducation publique se caractérise par une mauvaise
gestion des charges horaires des enseignants, des incohérences
linguistiques, des programmes et manuels dont la plupart sont
désastreux, sans cohérence entre les matières, une
pédagogie dépassée et un enseignement supérieur en
parfaite inadéquation avec le marché de l'emploi.
La gestion des ressources humaines laisse à
désirer. En effet, l'utilisation des effectif est paradoxale 3 340
instituteurs n'ont pas de tableau de service (n'ont pas de classe). En
même temps les écoles souffrent d'un déficit de 1.390
instituteurs. On se trouve dans une situation où dans certaines
régions ou zones, un excédent en enseignants est constaté,
alors que dans d'autres, c'est plutôt le contraire, tout porte à
croire que les affectations se font selon des critères « obscures
».
S'agissant de l'enseignement secondaire collégial, le
problème est tout autre. En effet, le rapport du CSE
révèle que 37,5% seulement des enseignants accomplissent la
charge horaire légale de 24 heures hebdomadaires. Une sous-utilisation
d'effectifs due, selon le
rapport, à la faible taille des collèges ruraux et
à l'inachèvement des structures pédagogiques des
collèges nouvellement construits.
Dans l'enseignement supérieur, l'effectif du corps
professoral n'a guère évolué depuis la rentrée
universitaire 1999-2000 pour s'établir à 9.870 enseignants en
2006-2007. La raison principale est l'opération «départs
volontaires» de 2005. Le rapport souligne d'autres raisons. En effet, le
niveau de recrutement ne suit pas la cadence des nombreux départs
à la retraite qui ne cessent de croître. Cependant, le
déficit est beaucoup plus prononcé dans certaines disciplines que
dans d'autres. Situation qui a poussé le département de tutelle
à procéder au recrutement de quelque 1.140 enseignants entre 2000
et 2007. Mais, malgré cela, le déficit n'a pas été
pour autant comblé. Conséquence, le taux d'encadrement atteint 85
étudiants par enseignant surtout au niveau des facultés de droit
et des lettres. Difficile donc dans cette situation de dispenser un
enseignement de qualité
Les statistiques de l'Unesco en 2005 montrent que seuls 37%
des enfants inscrits en primaire en 1999/2000 arrivent en fin de cycle en 2005,
au lieu des 90% préconisés par la Charte de l'éducation.
Ils seront 19% au lieu des 80% à finir le cycle collège en 2008
et 7% en 2011 au lieu des 60%, en fin d'enseignement secondaire qualifiant. Au
bac, ils ne seront que 3% au lieu des 40% souhaités par la Charte. Force
est de constater que La place occupée par le Maroc est malheureusement
méritée.
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