111.4.5. Les biomarqueurs : un indicateur de mesure de
l'état de santé des écosystèmes
Les marqueurs biologiques permettent de disposer des
informations sur la nature et le niveau de la contamination chimique. Ils
permettent également de mesurer l'état de santé des
organismes vivants et des populations des écosystèmes
(FLAMMARION et al, 2000). En effet, l'analyse
chimique des polluants présents dans les différents compartiments
des écosystèmes aquatiques n'est pas toujours possible du fait de
la multiplicité des molécules présentes, et ceci souvent
à des concentrations inférieures aux limites de détection
analytique (NARBONNE, 1988 ; FLAMMARION et
al, 2000). Par ailleurs, une telle approche ne renseigne pas sur les
risques encourus par les populations animales et végétales
exposées aux polluants (LEvEQuE, 1997), et ne peut, à elle seule,
prédire les effets biologiques des mélanges de contaminants
(synergies, antagonismes, ...) ni quantifier simplement la
biodisponibilité des polluants pour les organismes vivants (DUTKA,
1998). De ce fait, le gestionnaire manque d'informations sur l'urgence des
mesures à prendre pour améliorer l'état de santé de
ces écosystèmes (LASCOMBE, 1997), ou protéger la
biodiversité et l'intégrité des écosystèmes
(LEvEQuE, 1997 ; FLAMMARION et al, 2000).
Le suivi de la perturbation de cibles biologiques peut pallier
cette difficulté. Par exemple, la spécificité d'un
biomarqueur pour certaines familles de molécules chimiques (hydocarbures
aromatiques polycycliques, polychlorobiphényles, métaux lourds,
produits phytosanitaires, ...) permet d'une part de révéler la
présence de ces polluants, et d'autre part de renseigner sur la
biodisponibilité de ces polluants ainsi que sur les effets biologiques
précoces sur les organismes (KRAMER et BOTTERWEG, 1991;
FLAMMARION et al, 2000).
Un biomarqueur est un paramètre mesuré au niveau
moléculaire, cellulaire ou fonctionnel sur des individus issus d'une
population et qui indique, soit que les individus ont été
exposés à des polluants ou des toxiques, soit que l'individu
développe des effets pathologiques à plus ou moins long
terme (NRC, 1989). MAYER et al (1992)
rappellent les critères pour le choix d'un biomarqueur destiné
à une utilisation de terrain :
1. mesure simple et économique ;
2. réponse dépendant simplement de la
concentration et du temps et qui permette une quantification de l'exposition ou
de l'effet à partir de la mesure du biomarqueur ;
3. bonne sensibilité ;
4. influence aux facteurs non toxiques (organisme,
environnement, méthode) bien comprise et dans les limites acceptables
;
5. signification biologique (un impact sur «
l'homéostasie » de l'individu ou de la population).
Ces conditions sont rarement satisfaites dans leur
totalité pour les marqueurs biochimiques connus (DECAPRIO, 1997). En
particulier, dans le cas de biomarqueurs dont la réponse est plus
directement liée à la concentration des contaminants
(biomarqueurs d'exposition), la condition 5 n'est pas remplie, même si on
peut très bien imaginer que plus l'intensité du signal que
représente le biomarqueur est élevée et plus le risque
d'effets biologiques irréversibles est important (FLAMMARION et al,
2000).
Mc CARTY (1990) définit cinq
étapes de validation complète d'un biomarqueur :
4.
2.
4. situations complexes de pollution en collecte de
données sur des sites avec des
5.
1.
collecte de données en sites de référence
et en sites pollués (avec la prédominance d'un seul polluant)
pour évaluer la capacité d'un biomarqueur à distinguer les
situations polluées des situations non polluées ;
expériences de laboratoire sur des espèces
susceptibles d'être prélevées in situ pour
quantifier les effets d'une exposition (mélange de polluants, effets
long-terme, ...) ;
liens avec d'autres biomarqueurs ;
utilisant plusieurs biomarqueurs ;
étude du pouvoir prédictif des biomarqueurs
biologiques supérieurs (reproduction, ...) ; prédictions des
risques pour l'homme.
quant à des effets à des
niveaux
Les principaux biomarqueurs étudiés chez les
poissons, notent FLAMMARION et al, (2000), traduisent
respectivement l'exposition des organismes à certaines familles de
molécules : modulation d'activités enzymatiques, cassure de
simple et de double brin d'ADN (effet génotoxique), perturbation de la
synthèse de vitellogénine (altération de la
reproduction).
a- Mesure de l'induction de l'EROD
Le biomarqueur qui a été le plus
étudié jusqu'à présent chez le poisson est
certainement l'induction du cytochrome P450 1A en particulier au niveau du
tissu hépatique. Elle peut renseigner
sur l'exposition des organismes à des polluants majeurs de
l'environnement tels que les HAPs, les PCBs, les organochlorés
(FLAMMARION et al, 2000).
L'induction peut être quantifiée en particulier
par la mesure de l'activité monooxygénase EROD
(EthoxyRésorrufine-O-Dééthylase) catalysée
spécifiquement par le cytochrome P450 1A. Au niveau européen, ce
biomarqueur fait partie de la batterie de méthodes en cours de
validation méthodologique dans le cadre du projet « BIOlogical
MARkers of envimnmental contamination in marine ecosystem (BIOMAR) »
(FLAMMARION et al, 2000).
b- Mesure de l'inhibition de l'activité
acétylcholinestérasique
La mesure de l'inhibition de l'activité
AcétylCholinEstérasique (AchE) dans le muscle de poisson est un
biomarqueur dont l'expression traduit spécifiquement l'exposition des
poissons à des produits phytosanitaires de la famille des
organophosphorés ou de celle des carbamates (BocQuENE et al,
1993 ; PAYNE et aL,1996 ; FLAMMARION et
al, 2000). L'inhibition est provoquée également, mais de
manière non spécifique, par des contaminations métalliques
(FLAMMARION et al, 2000).
Ce biomarqueur a principalement été
utilisé en milieu marin (GALGANI et BOCQUENE,
1998 ; FLAMMARION et al, 2000). Pour les
poissons des milieux aquatiques continentaux, cette mesure s'est
également révélée intéressante (PAYNE et
al, 1996). L'inhibition observée chez les poissons d'une
rivière du Beaujolais (RICHERT, 1994) a été
vérifiée en laboratoire pour les concentrations mesurées
in situ d'un organophosphoré (FLAMMARION et al, 1996).
c- Evaluation de l'impact génotoxique
Si la mesure de marqueurs enzymatiques (induction de l'EROD,
inhibition de l'AchE) peut apporter des informations sur le degré de
pollution des milieux aquatiques et sur la biodisponibilité de certains
polluants, elle n'est cependant pas suffisante pour évaluer des dommages
significatifs au plan écotoxicologiques au niveau des individus et des
peuplements piscicoles exposés. Dans ce cadre, il est admis que le suivi
de biomarqueurs d'effet de polluants, comme les marqueurs de
génétoxicité, apportent des informations
supplémentaires dans l'analyse des effets sur les organismes vivants
(RETHER et al, 1997 ; FLAMMARION et
al, 2000). En effet, la possibilité de mettre en
évidence des altérations irréversibles du
génôme animal représente un niveau pertinent de
l'expression de la toxicité des polluants, eu égard aux
désordres ultérieurs auxquels ils peuvent conduire lors
d'étapes- clés comme la reproduction (ANDERSSON
et WILD, 1994).
La métabolisation de xénobiotiques tels que les
HAPs peut dans certaines situations donner naissance à des
métabolites très réactifs susceptibles de se lier à
l'ADN en formant des produits (adduits). Parmi les techniques de mesure des
adduits, la technique dite du post-marquage au 32P est
adaptée aux études de terrain (FLAMMARION et al, 2000).
Elle est sensible mais reste lourde de mise en oeuvre (MASFARAUD
et al, 1992). L'essai comètes en conditions alcalines,
plus accessible sur le plan
expérimental, a mis en évidence l'effet
génotoxique que représente l'apparition de cassures simple et
double brin de l'ADN nucléaire de différents types de cellules
(DEvAux et al, 1997).
d- Mesure de vitellogénine
De nombreux composés, organochlorés (DDT, PCBs,
etc.), ou des substances largement présentes dans les effluents de
station d'épuration, comme par exemple les produits de
dégradation de détergents alkylphénol
polyéthoxylés ou les phtalates, ont été reconnus
comme pouvant induire des perturbations du système endocrinien en
induisant une activité oestrogène mimétique plus ou moins
importante chez le poisson mâle (JoBLING et al, 1996 ;
TYLER et al, 1996 ; FLAMMARION et
al., 2000). Des études in situ, en aval des points de
rejets de station d'épuration ont mis en évidence une telle
activité oestrogénique chez les truites mâles
exposées aux effluents des STEP, en relation avec une contamination du
milieu par des alkylphénols et/ou des oestrogènes (HARRIES et
al, 1997).
Pour détecter l'exposition des poissons à des
composés de ce type, lors d'études in situ ou en
laboratoire, il est possible de mesurer une lipoprotéine plasmatique, la
ViTelloGénine (VTG), précurseur de vitellus de l'oeuf du poisson
et synthétisée par le foie au cours de la
vitellogénèse. Cette augmentation de la concentration en
vitellogénine, oestrogène-dépendante, n'a pas lieu chez
les mâles ni chez les individus immatures, sauf dans le cas d'exposition
à des substances oestrogéniques où les concentrations
mesurées peuvent alors atteindre des niveaux équivalents à
ceux mesurés chez des femelles matures (FLAMMARION et
al, 2000). La mesure est réalisée par détection
immunologique de la protéine sur du plasma sanguin prélevé
sur les poissons exposés (TYLER et al, 1996, FLAMMARION
et al, 2000)
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