Conclusion générale
L'industrie aéronautique est constituée de
quelques avionneurs mondiaux (duopole Boeing et EADS), d'un nombre relativement
limité de systémiers, motoristes et équipementiers
internationaux et de nombreux fournisseurs de composants et sous-
équipements. Elle se distingue par un caractère hautement
stratégique et un marché en pleine expansion. Néanmoins,
le caractère cyclique de l'activité dans un environnement
concurrentiel ouvert ainsi que les contraintes liées à
l'organisation productive, ont introduit un certain nombre de tendances,
notamment le désengagement progressif des Etats, la concentration et
l'internationalisation des acteurs industriels, ainsi que de profondes
mutations des stratégies des compagnies aériennes. Ces tendances
ont contraint les grands DOs mondiaux à réorienter leurs
stratégies dans le sens à la fois d'une réduction
drastique du nombre de fournisseurs directs et d'une externalisation accrue
notamment vers les pays émergents.
Dans cette optique, le Maroc de par ses atouts, a
capté l'attention des investisseurs internationaux. Conscient de ces
nouveaux enjeux, le Maroc a érigé ce secteur en un des moteurs de
croissance et de développement dans le cadre de sa nouvelle
stratégie industrielle «Programme Emergence«.
Par ailleurs, le Maroc est confronté sur ce
créneau à une rude concurrence, notamment de la part de la
Tunisie qui dispose d'un tissu aéronautique assez étoffé
et des pays de l'Europe de l'Est qui ont une tradition aéronautique
reconnue. Ceci invite les pouvoirs publics marocains en particulier et les
différents acteurs de la filière en général,
à s'interroger sur la stratégie à adopter pour assurer une
meilleure compétitivité à la filière
aéronautique marocaine.
Des conclusions d'étape
L'outil de développement stratégique de la
présente recherche (voir Figure 6), s'inspirant de la
«Competence-Based View«, suggère que la performance
des STs est tributaire de l'acquisition des compétences technologiques
et organisationnelles, de l'existence d'une dimension d'apprentissage
organisationnel et de l'inscription dans un registre relationnel de
partenariat vertical avec les DOs, moyennant un processus
d'évolution graduelle. C'est ainsi qu'un ST peut incrémenter
son statut, au
sein de la chaîne de valeur globale, en empruntant la
trajectoire de développement industriel.
Une stratégie cluster serait aussi une réponse
idoine à la problématique de la recherche. En effet, les espaces
clustérisés, en tant que sources d'externalités positives
et vu les possibilités d'apprentissage organisationnel qu'ils offrent,
constituent un champ propice au développement d'une sous-traitance
aéronautique marocaine compétitive de classe
mondiale.
Et si la recherche a d'une part, réfuté le lien
entre le degré d'exigence et le profil du ST ; et d'autre part, n'a pas
validé complètement les hypothèses de départ
concernant la contribution des degrés de dépendance, influence et
clustering dans l'acquisition des compétences technologiques et
organisationnels du ST, il n'en demeure pas moins qu'elle a mis en
évidence d'autres résultats fort intéressants relatifs au
positionnement de la filière marocaine dans la «Chaîne de
Valeur Globale« et des clusters identifiés dans le «Cycle de
Vie du Cluster«.
Ce travail de recherche a permis de dresser le profil
«idéal« du sous-traitant marocain, de situer la
filière dans la «Chaîne de Valeur Globale« de
l'industrie aéronautique, de positionner les agglomérations
à forte concentration aéronautique dans le «Cycle de Vie du
Cluster«, et enfin de proposer par voie de conséquence des
recommandations leur permettant d'évoluer aussi bien au sein de la CVG
que dans le CVC.
En effet, l'étude a révélé que la
filière marocaine est positionnée au stade de sous- traitance de
«composants« dans la CVG. La compétition
exacerbée à ce niveau invite les STs marocains à
consolider davantage cet acquis. Il n'est plus question de se contenter
d'optimiser le triptyque CQD et flexibilité de la production mais
d'actualiser le niveau de compétences en introduisant de nouveaux
thèmes relatifs à l'ingénierie de la valeur et l'analyse
de la valeur. De même, il apparaît que les efforts
marketing et de veille technologique si prégnants, que la
filière a enclenché un mouvement d'évolution progressive
vers le stade d'«équipementier«. Ce stade requiert
des compétences relationnelles- spécifiques avec les DOs
majeurs dans un cadre de partenariat vertical.
Par ailleurs, la recherche a permis de situer les
agglomérations d'entreprises opérant dans l'aéronautique
dans le cycle de vie du cluster. C'est ainsi que la TFZ est à une phase
qualifiée d'«embryonnaire à émergence« alors que
l'Aéropôle est à une phase qualifiée
d'«émergence à croissance«. En outre, il convient de
souligner la prédisposition des STs marocains à s'insérer
dans des clusters en vue de bénéficier du levier de
l'apprentissage inter-organisationnel source d'un avantage concurrentiel
sûr. Ceci plaide pour l'adoption de politiques publiques en faveur des
clusters (PPC) en fonction à la spécificité de chaque
phase selon une approche reengineering.
Dans cette optique, la mise en place d'une politique de
cluster devient une priorité. Cette stratégie permettra de
catalyser les échanges, aussi bien entre les sous- traitants marocains
eux mêmes qu'avec les institutionnels, et améliorera par voie de
conséquence le profil du ST marocain. L'une des externalités
positives offerte par le cluster est la mutualisation des efforts visant la
formation et le développement des ressources humaines ainsi que la
promotion de la R&D.
Un tel scénario gagnant est tributaire d'une
analyse prospective en vue de créer des clusters dynamiques.
Celle-ci permettrait à travers la prospective des acteurs de
définir à la fois un système de gouvernance et une vision
appropriée qui susciterait la plus large adhésion dans ces
clusters. A cet égard le GIMAS a un rôle primordial à
jouer, tant par sa forte implication que par sa participation effective
à une structure de gouvernance/animation efficace et efficiente du
cluster.
Les résultats de la recherche et son ancrage dans la
réalité du terrain ont confirmé l'efficience de la
démarche méthodologique poursuivie pour l'élaboration de
ce travail de recherche.
Cette démarche méthodologique en cinq phases
(voir Figure 1) empruntée par l'équipe de recherche, peut
être considérée comme pertinente dans la mesure où
elle a permis (1) de valider la problématique de départ, (2) de
dégager un modèle conceptuel ad hoc et de
l'opérationnaliser par la suite afin d'aborder le terrain. Par la suite,
(3) la filière aéronautique marocaine a été
diagnostiquée en premier lieu par l'identification des
compétences organisationnelles et technologiques détenues en
interne, et l'analyse de l'environnement externe en second lieu, et ce
conformément aux prescriptions du MRC. (4) Après avoir
positionné au préalable la filière
aéronautique marocaine dans la CVG et situé
l'Aéropôle et le pôle aéronautique de la TFZ dans le
CVC, un scénario gagnant propose l'inscription du secteur dans des
stratégies de clusters. Enfin, cette démarche est
couronnée par (5) une phase de rédaction obéissant
à des normes reconnues dans les sciences de gestion1.
Egalement, Les propositions suggérées par cette étude -
conçues davantage comme des interrogations qui portent sur la meilleure
façon de développer le secteur aéronautique - ont fait
l'objet d'une large communication auprès des professionnels,
institutionnels et chercheurs2. En outre, afin de procurer à
la recherche une dimension internationale, une conférence-débat
est prévue au profit des professionnels nationaux et internationaux le
25 Janvier 2008 à Marrakech à l'«Aeroexpo Maroc«
(premier Salon International Des Industries et Services Aéronautiques au
Maroc).
Les résultats qui seront présentés dans
cette recherche sont le fruit d'une enquête à grande
échelle réalisée auprès de 38 sous-traitants
aéronautiques marocains et six (06) principaux acteurs du secteur sur la
période s'étalant du mois de mars au mois d'août 2007.
31,58% des entreprises ont répondu favorablement au questionnaire. Pour
ce qui est du guide d'entretien 14 entrevues ont été
réalisées avec les principaux protagonistes et également
avec un échantillon représentatif de la filière.
Le déroulement de ce travail a été
mené non sans difficultés. Dans les développements qui
suivent nous en citons les plus saillantes :
· La recherche intervient à un moment
où la gouvernance du GIMAS n'était pas accessible à cause
d'un agenda surchargé (salons du Bourget et de l'«Aeroexpo
Maroc«, missions d'études, projet de l'IMA...). Pour contrecarrer
cette difficulté, les principaux thèmes relatifs au guide
d'entretien adressant le GIMAS, ont été alimentés par les
propos des responsables de l'association qui se sont exprimés sur le
secteur aéronautique marocain à l'occasion d'une
conférence-débat organisé le 22 mai 2007 par la CFCIM. En
complément, des membres du GIMAS ont été sollicités
directement afin de saisir au mieux la vision du groupement. Par
1 L'Institut Supérieur de Commerce et
d'Administration des Entreprises, l'Ecole Polytechnique de Montréal et
la Haute Ecole de Gestion de Genève.
2 Les résultats préliminaires de la
recherche ont fait l'objet de conférences débats et de
présentations à l'Académie Internationale Mohammed VI de
l'Aviation Civile (ONDA), CRI du Grand Casablanca, CFCIM.
conséquent, le planning de la recherche (Cf. Annexe. IV)
n'a pas subi de modifications majeures.
· L'absence d'une définition consensuelle des
activités relevant du secteur aéronautique, ainsi qu'une base de
données unifiée regroupant toutes les entreprises de la
sous-traitance aéronautique, ont rendu difficile la tâche de
l'identification de la population cible de la recherche . Ainsi,
l'équipe de recherche a procédé au croisement de listes
émanant de différents acteurs publics et privés (MICMNE,
ONDA, GIMAS,..) pour construire un fichier aussi exhaustif que possible.
· Le taux de retour enregistré suite à
l'envoi du questionnaire par voie électronique à l'ensemble des
38 entreprises du secteur n'a pas atteint le seuil escompté. Dès
lors, les chercheurs ont opté pour «le face à face«
pour garantir un taux de réponse en conformité avec les standards
académiques, ce qui a valu naturellement un investissement
conséquent en termes de temps et de coût.
· La littérature dénote d'une richesse
quant aux formes organisationnelles qui régissent la sous-traitance
aéronautique, néanmoins elle s'est focalisée davantage sur
les pays industrialisés à forte tradition aéronautique,
occultant au passage, de proposer une grille de lecture des nouveaux
réseaux de sous- traitance dans les pays émergents.
L'avènement de ces réseaux, rappelons-le, s'inscrit dans le
sillage des mouvements d'externalisation et d'internationalisation
opérés par les sous-traitants majeurs cette dernière
décennie. Ceci a incité l'équipe de recherche, à
consentir un effort pour modéliser les nouveaux réseaux de
sous-traitance dans les pays émergents.
· Les limites d'applicabilité de la
méthode de régression linéaire pour un échantillon
d'une taille réduite, appellent à plus de prudence quant au
maniement des résultats quantitatifs. Pour ce faire, lors des phases
d'interprétation et de discussion des résultats, l'équipe
a pris le soin d'intégrer les constats, fruits de l'investigation
documentaire et de l'analyse qualitative.
Des pistes de recherche
L'ensemble des résultats enfin laisse entrevoir des
perspectives de recherche intéressantes à plusieurs
égards. En effet, la recherche nécessiterait des prolongements
tant pour approfondir certains concepts que pour tenter d'apporter des
éléments de réponse complémentaire à
certaines interrogations.
Les efforts de clarification pourraient ainsi porter sur la
notion de «Compétences« détenues en interne par la
firme ou partagées dans des plates-formes cognitives et
organisationnelles. Si la notion de «Compétences clés«
(technologiques et organisationnelles) s'est avérée pertinente
dans l'explication de la performance du ST, il n'en demeure pas moins que des
auteurs1 du MRC ont souligné la nécessité de
confronter chacune d'entre elles aux quatre conditions, dites VRIS
(Valorisable, Rare, non Imitable, non Substituable) afin d'identifier les
«compétences distinctives« permettant de conférer
à la filière aéronautique marocaine un avantage
concurrentiel.
Les résultats trouvés confirment que le
passage2 à des modes plus étroits de partenariat
vertical, opère un changement positif dans le profil du ST et contribue
de facto à l'amélioration de la performance. Egalement, la
compétitivité du ST est tributaire de son insertion dans des
espaces clustérisés, qui requiert une capacité à
entretenir des relations proactives aussi bien avec le tissu industriel
environnant qu'avec les institutionnels. Ces dynamiques inter-firmes, renvoient
à des compétences relationnelles inter-organisationnelles. Par
ailleurs, sur un registre intra-firme, des auteurs3 ont
souligné le rôle prépondérant d'une dimension
sociale portée par l'individu dans la construction et/ou la mise en
place d'un profil proactif chez le ST. A ce titre, la conduite du changement,
la communication intra-firme, la
1 - ATAMER, Tugrul et CALORI, Roland. Diagnostic
et décisions stratégiques. Paris : Dunod, 2003.
- BARNEY, J.B. Gaining and sustaining competitive
advantage, Addison-Wesley, Reading, Massachusetts, 1997.
- HAMEL, G. Competition for competence and inter-partner
learning within international strategic alliances. Strategic Management
Journal, 1991.
2 Un tel processus d'évolution graduelle
nécessitant la construction et la reconfiguration des
compétences, s'effectue, rappelons-le, lentement et difficilement.
3 - PERSAIS, E. Les compétences
Relationnelles peuvent-elles devenir Stratégiques ?, Annales des
Mines : Gérer et Comprendre, vol. 68, p. 37-48, 2002.
- MILBURN P., La Compétence Relationnelle:
Maîtrise de l'Interaction et Légitimité
Professionnelle, Revue Française de Sociologie, n°1, vol. 43,
p. 47-72, 2002.
gestion des connaissances, sont autant de dimensions qui
contribuent à la réalisation d'un objectif socialement bien
défini. Pour cela, il est suggéré, dans le cadre de
programmes de recherche ultérieures, d'étendre cette analyse en
incorporant une troisième catégorie de compétences :
«Les compétences relationnelles«.
Et si les pistes d'amélioration suggérées
par la présente étude pourraient améliorer la
compétitivité de la filière aéronautique marocaine
moyennant des stratégies de clusters en faveur de
l'Aéropôle et de la TFZ, il n'en demeure pas moins que la
définition des contours d'une vision partagée et d'un
système de gouvernance et d'animation intégrant
les différents stratégie des acteurs en présence,
semble offrir un outil ad hoc pour évoluer vers des clusters
aéronautiques dynamiques. Dès lors, l'équipe de
recherche propose de réexaminer dans le cadre des travaux
ultérieurs, les stratégies clusters dans la lignée des
prescriptions de la méthodologie d'analyse prospective
dans l'optique de développer au Maroc des clusters dynamiques,
innovants et capables de se renouveler.
Finalement, l'équipe de recherche estime que la
démarche construite dans le cadre de la présente thèse
(modélisation des réseaux de sous-traitance aéronautique
des pays émergeants, outil de développement stratégique
adapté, MRC décliné sur des clusters... etc.), pourraient
être généralisée, par une approche de
Benchmarking, sur les recherches qui se pencheront sur la
compétitivité des autres secteurs du programme
«Emergence«.
L'ensemble de ces questionnements interpelle tout autant les
chercheurs que les praticiens et les institutionnels. Cette convergence
d'intérêt devrait inciter à mener davantage de travaux dans
ces directions.
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