WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Faute et Châtiment. Essai sur le fondement du Droit pénal chez Friedrich Nietzsche

( Télécharger le fichier original )
par Rodrigue Ntungu Bamenga
Faculté de Philosophie saint Pierre Canisius Kimwenza, RDCongo - Bacchalauréat en Philosophie 2005
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

I.1. LE RESSENTIMENT

Le ressentiment, dans la pensée nietzschéenne, est un effet vital marqué par la substitution d'un affect ou d'un sentiment à la vraie réaction. Il est le propre des forces réactives, pour « ces êtres à qui la vraie réaction, celle de l'action, est interdite et qui ne trouvent compensation que dans une vengeance imaginaire »4(*). C'est de cet affect négatif que nous apparaît plus clairement le sens des valeurs « bon et mauvais », « bon et méchant » attribuées aux deux pôles de la morale nietzschéenne, le maître et l'esclave.

Ces antithèses trouvent leur origine dans une conscience d'impuissance et de distance, dans le sentiment général et dominant d'une race supérieure et despotique, par opposition à la race inférieure. Ici encore, l'on doit s'aviser que le ressentiment est un état marquant aussi bien le maître que l'esclave, comme nous le verrons plus loin. Les Juifs, eux, ont spiritualisé cet affect négatif. Dans ce conflit des forces, la bonté en soi n'existe pas ; « le bon n'est plus une réalité donnée, mais une attitude relative à l'autre. »5(*) Peut alors s'opérer une évaluation contradictoire : ou bien le maître est bon... ou bien l'esclave est bon.

I.1.1. Ou bien le maître est « bon »

La morale des maîtres agit, croît spontanément et s'affirme avec plus de joie et de satisfaction. Que le maître s'interdise toute compassion pour nuire à dessein, cela ne lui procure ni scrupules ni remords. Car en réalité, jugeant l'esclave indigne de pitié, il révèle dans son mépris la défense arrogante « de reconnaître (...) la sphère qu'il méprise, celle de l'homme du commun, du bas peuple »6(*). Le maître ne dédaigne ce bas fond humain que pour se satisfaire d'être lui-même toute-bonté, alors que l'esclave est simplement « mauvais ». Est ainsi bon « le noble, celui qui possède une puissance supérieure (...), le maître, le capitaine, le possédant, le riche »7(*), tandis que le mauvais est synonyme de populacier ou de faible.

A la limite de toute bonté, l'agressivité du maître reste teintée de sadisme, de sorte qu'il trouve un objet de satisfaction : l'esclave. Le sadisme en effet « peut s'exprimer par une perversion en acte ou par des fantasmes conscients. Plus généralement, on tend à l'appliquer à un mode de relation à autrui caractérisé par le besoin de dominer »8(*). Pour Nietzsche, le sadisme du maître s'accompagne d'une vision immonde de son antipode, qui rend nécessaire la volonté de « rabaisser ». C'est ainsi qu'il peut se décharger avec « trop de négligence, trop d'insouciance, trop de joie intime et personnelle, pour que l'objet [de son] mépris se transforme en une véritable caricature, en un monstre »9(*) ou, pour reprendre KIERKEGAARD, en une "grimace d'homme".

Camille DUMOULIE trouve dans le sadisme nietzschéen une vie autrement grave. Rallié au masochisme (comportement qui trouve plaisir dans la souffrance physique ou morale subie) comme l'autre versant d'un même phénomène pervers, il peut avoir pour objet de satisfaction son propre Moi. Pratique propre à ceux que Nietzsche appelle « les masochistes moraux », qui exhibent théâtralement leur souffrance. Le saint et l'ascète en sont des exemples patents10(*). On s'en aperçoit, cette souffrance aux allures de fête trahit les dérives à la fois totalitaires et utilitaristes du sadisme nietzschéen : nul n'est cruel sans intérêt.

I.1.1.1. Machines totalitaires du sadisme

Le sadisme se justifie dans ce cas par une affirmation principale : aucun sujet raisonnable ne déchaîne une cruauté sans profit personnel. Autrement dit, pourquoi les spectacles cruels, sinon parce que le sadique en espère toujours un bien pour lui. Ce bien pour lequel il peut opérer sur la victime avec « trop de joie intime et personnelle ».

Mais aujourd'hui, poser le sadisme comme justifiable et nécessaire pour le criminel est un dogmatisme sentencieux. Cette légitimation du crime nous fait croire que nul n'est cruel volontairement et garantit finalement tous les droits de nuire à l'insensé. Il devient alors facile d'acquitter Hitler, en lui reconnaissant un « délire » meurtrier ou un état de démence. Nous n'aurons donc pas vu qu'il faille justement contester tout dessein criminel à Néron ou Caligula11(*). Nietzsche compte pourtant les aristocrates, les Allemands et les Romains parmi ces machines totalitaires de l'histoire, où la cruauté et le sadisme ont reçu un sacre particulier.

L'image des aristocrates d'abord est particulièrement suggestive. L'aristocrate est « le puissant, le dominateur, mais noirci, vu et pris à rebours par le regard venimeux du ressentiment ». Romains, Arabes, Japonais, héros homériques ou vikings scandinaves, tous les aristocrates se valaient en atrocité. Ils trahissaient un fond de bestialité très prononcé tel que, pour les victimes de cette caste déchaînée, barbares, vandales ou ennemis méchants furent les vrais noms pour dire « aristocrates ». Dès lors, rien n'inspirait plus de crainte au faible que « cette "audace" des races nobles, audace folle, absurde, spontanée ; la nature même de leurs entreprises, imprévues et invraisemblables (...) ; leur indifférence et leur mépris pour toutes les sécurités du corps, pour la vie, le bien-être ; la gaieté terrible et la joie profonde qu'ils goûtent à toute destruction, à toutes les voluptés de la victoire et de la cruauté »12(*). Audace, indifférence et dégoût de l'homme, autant d'ingrédients mêlés aux atrocités, pour que l'aristocrate se complaise des spectacles sadiques.

L'Allemagne ensuite porte l'étendard d'une société où la cruauté a reçu un "design" hors du commun. Nietzsche ne se serait nullement penché sur ce tournant accablant, si « la méfiance profonde, glaciale que l'Allemand inspire [ne demeurait] encore un contre-coup de cette horreur insurmontable que pendant des siècles l'Europe a éprouvée devant les fureurs de la blonde brute germanique.»13(*) Paradoxalement, le maître du soupçon a été coté trop bas par ses contemporains, plongé au purgatoire d'une rumeur selon laquelle il aurait été le prophète du Reich hitlérien et "l'autorité de référence de la philosophie nazie".

D'aucuns étalent le mépris où ils tiennent Nietzsche, alors que Sarah KOFMAN s'empresse de sauver l'image du maître : « Pour les notions de "race" et de "nation" le divin Nietzsche, le "sans patrie" n'éprouve que mépris et horreur. »14(*) Il prendra lui-même cette défense sur un timbre éploré : « Nous sommes bien loin d'être assez "allemands" au sens ou (sic.) le mot "deutsch" a cours aujourd'hui, pour nous faire les porte-parole du nationalisme grâce auquel à présent les peuples d'Europe se barricadent les uns contre les autres et se mettent mutuellement en quarantaine. »15(*)

C'est au coeur de ce tournant « humain, trop humain », où s'exerce le bras du sadisme, que Nietzsche situe la part trop féroce du génie allemand : la guerre à la guerre. Cependant, le scandale germanique n'est pas d'avoir consacré Auschwitz16(*) véritable autel d'un crime d'ailleurs justifié, quand Hermann RAUSCHNING écrit d'une plume saccadée : « C'est le culte du sang noble et précieux, du pur et du rayonnant joyau... Le roi Amfortas souffre d'un mal incurable : la corruption du sang. Parsifal, le héros ignorant et pur, doit choisir... C'est notre drame à nous tous. Nous sommes atteints de cette peste du sang, tous souillés de la contamination des races. Quelle est pour nous la voie de la guérison, de l'expiation ? »17(*) C'est peu dire que de placer les fondements du crime germanique dans les hécatombes massives et systématiques. Non, ce n'est pas aux Juifs, Tziganes, Afro-allemands, homosexuels et autres minorités que s'en prenait le nazisme, mais au culturel. Pourquoi s'arroger le "droit de tuer", sinon pour en découdre avec l'interracialité, source de métissage culturel.

Avec la culture aryenne, c'est tout l'homme qui est désormais profané par l'éthique occidentale. Car, à s'interroger si l'Europe de Nietzsche trouve encore en l'homme une trace du sacré, l'on débouche sur une anthropologie sombre : « Ayant cessé de craindre l'homme, nous avons aussi cessé de l'aimer, de le vénérer, d'espérer en lui, de vouloir avec lui. L'aspect de l'homme nous lasse aujourd'hui. (...) Nous sommes fatigués de l'homme... »18(*)

Enfin, que la célébrité de la Rome antique ait connu des avatars antisémitiques, donne une fois de plus la victoire à la cruauté. Pour Nietzsche, la logique de mort qui sous-tendait l'idéologie romaine trouvait dans les Juifs « quelque chose comme une nature opposée à la sienne, un monstre placé à son antipode ». Si les Romains étaient les forts et les nobles jamais égalés jusqu'ici, les Juifs par contre incarnaient le peuple sacerdotal du ressentiment par excellence. Mais Rome représente également un instrument complexe de cruauté, à la fois marqué par le sacre de la force et terrassé par la victoire du Judaïsme. En même temps qu'elle se repaît de sa domination sur la Judée, Rome insuffle aux vaincus la possibilité d'un "jour de colère" où se judaïsera la ville cruelle. Telle sera l'Eglise, nouvelle Rome judaïsée. L'épiphanie de la cruauté ne s'épuise cependant pas dans ces vestiges où l'homme est en procès contre les instincts sadiques. Nietzsche révèle aussi dans le langage une prétention d'autorité.

* 4 GM, p. 50.

* 5 Dominique Bourdin (dir.), 50 fiches de lecture en philosophie. De Hegel à la philosophie d'aujourd'hui, Paris, Bréal, 2000, p. 85.

* 6 GM, p. 50.

* 7 Dominique Bourdin, op. cit., p. 85.

* 8 D. Widlöcher, « Sadisme », in Roland Doron et Françoise Parot (dir.), Dictionnaire de Psychologie, Paris, PUF, 1998, p. 643.

* 9 GM, p. 151.

* 10 Camille Dumoulié, Nietzsche et Arthaud. Pour une éthique de la cruauté, Paris, PUF, 1992, p. 21 note 24.

* 11 Néron et Caligula furent les empereurs les plus cruels de Rome. Le premier se suicidait en déclarant : « Qualis artifex pereo ! (Que l'artiste [lui-même, bâtisseur de Rome] meure avec moi) » alors que le second affirmait : « Qu'ils me haïssent pourvu qu'ils me craignent ».

* 12 GM, pp. 58-59.

* 13 Ibidem.

* 14 Sarah Kofman citée par Marc Crépon, Le malin génie des langues. Nietzsche, Heidegger, Rosenzweig, Paris, J.Vrin, 2000, p.75.

* 15 Frédéric Nietzsche, Le Gai savoir (GS), traduit en français par Pierre Klossovski, Paris, Gallimard, 1982, p. 286.

* 16 Le 27 janvier 2005, l'humanité entière a commémoré avec émoi le 60è anniversaire de la libération d'Auschwitz, camp où s'est déployée la cruauté nazie.

* 17 Jean-Pierre Faye, Le vrai Nietzsche. Guerre à la guerre, Paris, Hermana, 1998, p. 65.

* 18 GM, p. 63.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo