Guérilla et Droit International Humanitaire: cas du conflit armé colombien( Télécharger le fichier original )par Mohamed Youssef LAARISSA Université Cadi Ayyad - Licence 2007 |
2- ENJEUX DE LA RECONNAISSANCE DE LABELLIGERANCE.La reconnaissance des groupes insurgés comme belligérants est une étape beaucoup plus compliquée à franchir pour les Etats que l'application des règles humanitaires dont l'article 3 commun. Les Etats adoptent une attitude timorée lorsqu'il s'agit de reconnaître une partie au conflit, en effet si la question de l'application de l'article 3 commun n'est qu'une simple question de volonté politique et ne représente aucune atteinte à la notion de souveraineté nationale et ni à celle d'intégrité territoriale, tel n'est pas le cas quand il s'agit de reconnaître une situation de belligérance sur son territoire, cette dernière comportent des enjeux beaucoup plus graves et dangereux pour le dit Etat. Les Etats souffrent d'une certaine peur et phobie lorsqu'il s'agit de reconnaître une partie au conflit en tant que groupe belligérant. Ce sentiment nous semble-t-il est tout à fait normal et légitime, vu les enjeux d'ordre juridique et politique que représente la reconnaissance de la partie insurgée aussi bien pour lui que pour le gouvernement en place, ce dernier a beaucoup plus à perdre qu'à y gagner, de là on peut comprendre la prudence et la réticence des Etats vis à vis de cette reconnaissance. La reconnaissance est l'acte par lequel un Etat reconnaît l'existence d'un conflit armé à caractère non international sur son territoire et attribut aux membres du groupe ou des groupes armés dissidents le statut de belligérants avec les garanties que ce dernier comporte. L'origine de la « reconnaissance » remonte à la guerre d'indépendance américaine. Avant cette date aucun manuel de droit international n'y faisait allusion à l'exception des travaux de « Grotius ». Cependant, cette reconnaissance ne commençât à se matérialiser qu'à la fin du XVIIIe siècle (18). Les gouvernements sont souvent réticents à reconnaître la belligérance, d'une part cette reconnaissance sera interprétée comme un signe de faiblesse de la part du gouvernement qui l'énoncera aussi bien au niveau interne vis-à-vis de ses citoyens, qu'au niveau internationale. D'autre part, cette reconnaissance pourrait renforcer l'autorité des groupes dissidents qui peuvent en tirer de grands avantages dans leurs actions de propagande envers l'opinion nationale et internationale. (19) La reconnaissance peut être soit formelle ou tacite, émaner du même Etat ou d'un Etat tiers. Pour Wehberg et Jessup, la déclaration de neutralité de la part d'un Etat tiers constitue une reconnaissance de belligérance des insurgés. (20) Cependant, la majorité des juristes accordent que la reconnaissance reste un acte fortement attaché à la volonté de l'Etat et qu'ils n'existent pas un critère objectif pour reconnaître une situation de belligérance. Ceci dit, il existe certains actes susceptibles de conduire à une reconnaissance tacite d'une situation de belligérance. Le fait pour un Etat de s'asseoir à la table des négociations avec les représentants d'un groupe dissident constitue bien une reconnaissance. Tout acte d'un Etat impliquant sa personnalité juridique devant les insurgés, notamment
tout traité passé avec eux équivaut à une reconnaissance. Pour le CICR, faire appel ou recevoir une assistance militaire d'un pays tiers constitue un acte de reconnaissance d'une situation de belligérance de la partie adverse (21). Le fait d'exiger aux insurgés le respect des lois et coutumes de la guerre, constitue une reconnaissance. Sinon pourquoi exiger à des criminels de droit commun le respect des dispositions du droit des conflits armés ? Enfin, certains juristes pensent que - dans un souci de réduire les atrocités et les souffrances des conflits armées à caractère non international - le fait que l'Etat veuille appliquer les dispositions du DIH ne constitue pas vraiment une reconnaissance de belligérance. La reconnaissance du statut de belligérant confère aux groupes armés irréguliers le droit de conduire la guerre dans les mêmes conditions d'égalité que l'Etat. En cas de capture ils auront droit au statut de prisonnier de guerre avec les garanties que ce statut comporte et ne pourront être jugés en tant que criminels de droit commun. Ils passent d'être sujets de l'Etat à être sujet de droit international, chose qui les pousse à répondre de leurs actes devant les juridictions internationales, de ce fait, ils ne pourront être soumis au droit pénal interne ni répondre devant les juridictions internes. Or les Etats n'aiment pas soumettre les individus ayant contredit leur autorité par les armes aux juridictions internationales afin de pouvoir les éliminer dans leur ordre interne. Cependant, lorsque ces groupes sont assez forts sur le plan politique et militaire, ils peuvent contraindre l'Etat à les reconnaître. Concernant le cas colombien, les groupes armés dissidents ont joui du statut de groupes belligérants à plusieurs reprises par différents gouvernements. (21) 21ème conférence de la croix rouge, Istanbul, Septembre 1969, P.5. Cependant cette reconnaissance n'émanait pas que de la bonne volonté des gouvernements mais aussi du fait que ces groupes dissidents disposaient de la force politique nécessaire pour obliger ces derniers à les reconnaître. Le dernier gouvernement à l'avoir fait est celui de l'ex-président M. Andrés Pastrana (1998-2002). Ce dernier s'était engagé dans un processus de paix notamment avec les Farc et l'ELN au cours de son mandat. Suite à l'échec de ce processus, M. Pastrana rompit, quelques mois avant la fin de son mandat présidentiel les relations et les accords auxquels le gouvernement était parvenu avec les groupes guérilleros. Pendant les années 80 une fraction des FARC décidât de déposer les armes et de constituer un parti Politique l'« Union Patriotique » (UP). Ce parti participât avec succès aux élections de 1986: 350 conseillers municipaux, 23 députés et 6 sénateurs furent élus au congrès. Au cours de son mandat le président Virgilio BARCO VARGAS (1986-1990) avait incité le « Mouvement du 19 avril » (M 19), qui était le groupe guérillero le plus important de l'époque à faire de même. En 1991, le « M19 » a été majoritairement représenté au sein de l'assemblée constituante chargée d'élaborer une nouvelle constitution afin de remplacer celle de 1886 qui était devenue obsolète (22). Le président actuel M. Alvaro URIBE VELEZ (2002-20 10), premier président réélu grâce à une modification de la constitution a basé son programme électoral sur une politique de main de fer à l'égard des guérilleros et sur une solution par voie militaire. Il est parvenu à faire des groupes dissidents l'ennemi (22) Breviario de Colombia, édition Panamericana, Bogota, 2003, pages 170, 171 et 172. public numéro de la Colombie, et refuse pour l'instant toute solution pacifique au conflit. Les dénominations utilisées par, ce dernier, son gouvernement, les forces armées et de plus en plus par les médias colombiens sont, celle de narcoterroriste qu'on n'a guère besoin de définir et de subversif qui désigne toute personne portant atteinte à l'ordre établi. En outre, le président Uribe s'acharne à parler de maintien de « l'ordre public » et à nier toute allusion à la notion de conflit armée. On constate une attitude contradictoire de la part des autorités colombiennes actuelles, d'un côté on met en évidence l'importance du respect du droit des conflits armés et on insiste sur l'application de ses dispositions , et d'un autre côté on nie l'existence d'un conflit et on parle ouvertement du maintien de l'ordre public. Or le DIH n'est pas applicable en cas d'émeutes, de troubles et de tensions intérieures ou lorsqu'il s'agit du maintien de l'ordre public interne. On a du mal à être en accord avec le président Uribe, en effet, quand on a des groupes armés dissidents qui contrôlent plusieurs portions du territoire national et comptent plusieurs dizaines de milliers d'Hommes dans leurs rangs, il est difficile, voire absurde de parler de maintien de l'ordre interne et la préservation de l'intégrité territoriale. Lorsqu'on visite le site officiel de l'armée colombienne (23) on se trouve avec des slogans tels que : « Le respect du DIH est la meilleur façon de regagner la confiance du peuple colombien en son armée ». Mais quelles sont les raisons qui poussent à adopter de telles attitudes ? Le gouvernement s'engage-t-il vraiment à (23) www.ejercito.mil.co respecter et appliquer les règles du DIH et de cet fait les dispositions constitutionnelles qui l'y obligent, ou le fait-il uniquement parce que ce dernier a compris et comme il l'a exprimé à plusieurs reprises : «qu'il n'y pas de victoire sans le soutien de la population ». Au-delà des raisons humanitaires, on trouve les raisons idéologiques. Le gouvernement s'efforce t- il à faire respecter les dispositions constitutionnelles dans le but de respecter le DIH et la constitution colombienne qui est très exigeante en matière de droits humains ? Ou fait-il cela dans un but purement idéologique ? Puisque l'humanitaire apparaît comme un instrument politique dont chaque Etat peut se servir, au gré de ses besoins idéologiques. (24) Quel est le véritable objectif du Président de la République ? Pourquoi veut-il acharnement mettre fin au Farc en particulier et à la guérilla en général ? Surtout par voie militaire. Serait-ce pour rendre une faveur à son pays en débarrassant la Colombie des FARC et compagnie? Ou uniquement dans le but de pouvoir venger la mort de son père ? Ou pour défendre les intérêts nord-américains en Colombie et dans la région ? Après avoir vu dans une première partie, les différentes qualifications de la Guérilla en DIH, ainsi que l'importance du concept de reconnaissance, et la portée de la menace de l'existence de la Guérilla à la souveraineté nationale des Etats. Nous essaierons de voir au cours de la deuxième partie de ce travail le statut juridique du Guérillero, et les garanties humaines aux quelles il doit avoir droit. (24) El BOUHAIRI Youssef, op.cit, P 65. |
|