3. Les facteurs professionnels
a. Les exemples d'une tournée Chinoise et du canal
de Panama
Dans l'une des zones les plus densément peuplées
au monde, où 333,8 millions d'habitants vivent quasi-exclusivement par
la pêche (source Quid 2001), où les fonds ne dépassent pas
40 mètres le long des côtes, la navigation en approche de Hong
Kong, principal pôle économique local, à 25 noeuds
s'apparente à la manoeuvre d'un éléphant dans un magasin
de porcelaines. Éprouvante par nature, l'approche d'un port chinois
s'avère rapidement épuisante lorsque la météo se
dégrade. Le radar ayant la jaunisse57 sur une échelle
de 1.5 mille, la brume s'en mêlant, il est surprenant que davantage de
pécheurs locaux ne disparaissent corps et biens, renversés par
des tankers, porte-conteneurs, vraquiers et méthaniers croisant dans la
zone.
Un navire n'est considéré productif par un
armateur et/ou un affréteur58 que lorsqu'il est en
opération de chargement ou déchargement. La multiplication des
escales dans la zone Asiatique, liée à l'accroissement
exponentiel de l'économie locale, implique pour le marin une
période de plusieurs jours où son principal souci est de ne pas
s'endormir. En application de la convention C180, convention sur la
durée du travail des gens de mer et les effectifs des
57 Sur un radar, en réglage de jour, les
échos apparaissent usuellement en jaune sur l'écran. Un radar
réglé à 1.5 mille soit environ 3.5 Km d'échelle
ayant la jaunisse donne une idée de la concentration de navires sur
zone.
58 L'armateur est propriétaire du navire,
l'affréteur loue les services de l'armateur afin de transporter des
biens.
navires (disponible en annexe), il est demandé aux
navigants de remplir une « REST TIME HOURS SHEET »(RTHS). Outil de
contrôle par les autorités portuaires, celles-ci peuvent
être amenées à stopper un navire dont l'équipage
présente un taux de dépassement d'horaires trop important.
Malheureusement, ces contrôles ne sont pas systématiques, et
nombreux sont les armements qui tirent sur la corde, quand ils ne demandent pas
à leurs navigants de fausser les feuilles d'horaires.
Ainsi qu'il est indiqué sur la RTHS en annexe, un
officier de quart pourra être amené à n'avoir que 28 heures
de pause en 72 heures ; pauses entrecoupées par les manoeuvres, le
quart, les opérations commerciales et les éventuelles
formalités douanières.
De plus, le quart passerelle se fait en général
dans des conditions de stress permanent de part la concentration de
pêcheurs apparaissant faiblement au radar, les autres navires manoeuvrant
souvent en dépit des réglementations internationales (COLREG), la
présence de haut fond et l'accumulation de fatigue.
De la même manière, dans le cas du passage du
Canal de Panama (voir RTHS), l'officier « Zérac » et son
matelot feront une journée de presque 24 heures, l'officier ayant eu la
possibilité de dormir deux à trois heures avant de reprendre le
quart. D'autre part, le stress durant toute la remontée du canal de
Panama est à son maximum. Outre la navigation en eau resserrée,
un navire Panamax est réellement limitéquant à son
entrée dans l'écluse.
Enfin, comme il existe une visibilité OMI59,
en deçà de laquelle un navire n'a pas le droit d'appareiller,
Panama a fixé une limitation de visibilité plus
sévère. Néanmoins, la plupart des compagnies
préfèrent payer l'amende afin de passer avec un navire
rentabilisé au maximum. Là encore, la tension nerveuse du
Commandant et des officiers est à son comble lors du passage des
écluses, ce à quoi, il faut rajouter la fatigue physique due
à une trans-pacifique toujours éprouvante pour l'organisme
(changements de fuseaux horaires quasi journaliers, météo
médiocre à déplorable).
Seules quelques compagnies, telle MAERSK Danemark, pratiquent
la doublure dans ces zones à très forte tension de travail. La
plupart des armements, préférant jouer sur une alternance
semaine épuisante/semaine plus reposante. Néanmoins, l'organisme
est incapable
59 La visibilité OMI (Organisation Maritime
Internationale) est l'angle mort maximum acceptable au-delà duquel un
navire ne peut être autorisé à appareiller. Cf. annexe
d'anticiper sur le manque de sommeil à venir, les
conditions de navigation, de part les impératifs économiques, qui
se dégradent alors très vite.
b. La préparation de la crise, les exercices
Le domaine maritime n'autorise pas, en cas d'avarie, un
soutien logistique facile d'accès. Ainsi, les équipages sont-ils
rodés ou tout au moins supposés l'être aux notions de bases
de lutte contre l'incendie, la pollution, l'accident du travail, etc. La
fréquence des exercices, telle que déterminée par la
SOLAS, est malheureusement loin d'être suffisante pour assurer un niveau
de maîtrise convenable du matériel. Ainsi, il appartient souvent
aux officiers d'apprendre à l'équipage l'utilisation correcte des
équipements disponibles.
A valeur d'exemple, il m'est arrivé de conduire des
exercices avec un matelot Philippin si effrayé à l'idée
d'étouffer dans son masque à air que sa bouteille ne parvenait
à lui fournir que 5 à 6 minutes d'air (hyperventilation). De la
même manière, un exercice incendie non prévu, vit la
quasi-totalité de la Maistrance réfugiée dans les
embarcations de sauvetage.
Nous abordions plus haut (les nationalités à
bord -- la discrimination à la nationalité) le problème de
la confiance et de la solidarité au sein même de
l'équipage. Il apparaît clairement que suite à un manque de
formation cet esprit ne peut être atteint. Ainsi, la certification
internationale délivrée, la majeure partie des équipages
et Maistrance étant maintenant recrutée via les marchands
d'hommes, quand est-il de la traçabilité et la validité de
ces certifications ?
Ce manque de maîtrise du matériel, la
répétition des exercices (en moyenne 1 à 2 par semaine),
ajoutés à la tension de travail nécessaire à la vie
courante du navire entraînent une usure physique et psychologique
prématurées des hommes. La vie en milieu marin se
caractérise par une tension de survie permanente, la notion de
sécurité des hommes et du navire étant au premier plan des
préoccupations de chacun. Sur un bateau de près de 300
mètres de long, et dont l'équipage ne compte qu'une vingtaine de
personnes, chacun sait que l'espérance de survie en cas de chute
par-dessus bord est presque nulle, la plupart des hommes ne se croisant que
pendant les repas ou à la relève de quart.
c. La piraterie, le terrorisme et l'ISPS
Loin des histoires de boucaniers, la piraterie est encore de
nos jours d'actualité. La recrudescence des actes de piraterie aux
approches du détroit de Malacca, des côtes Somaliennes et en mer
de Chine, ajoute une ultime dimension stressante à une situation qui

Message journalier reçu par satellite
l'est déjà bien suffisamment. Les navires de
Marine Marchande étant désarmés, les consignes de
sécurité telles qu'énoncées par l'OMI sont les
suivantes : doublement du quart passerelle (de 1 on passe à 2 personnes
également fatiguées), disposition de lances à incendie de
part et d'autre du navire en position ouvertes..., ronde
régulière sur le pont afin de s'assurer de l'absence de
pirates..., préparation de manoeuvres évasives en cas d'approche
d'un vecteur suspect, etc. La réalité est que, confronté
à une attaque pirate, l'équipage ne peut souvent rien faire si ce
n'est tenter de fuir l'abordage. Une fois celui-ci effectué, il ne reste
plus qu'à prier.
Carte représentant les lieux reconnus pour les risques de
Piraterie en fonction du niveau de dangerosité :
De plus, les attentats du 11 septembre 2001 ont clairement
démontré la possibilité d'une attaque terroriste par
détournement d'un appareil de fret civil, la possibilité de
l'utilisation d'un navire de commerce, nettement plus facile à
arraisonner, est alors clairement apparue comme existante.
Différents facteurs favorisant cette hypothèse
peuvent être énoncés :
- La distance d'arrêt d'un navire ne
déplaçant que 61 000 tonnes est d'environ 4 à 5 Km en
fonction de l'état de la mer, cette distance s'accroissant avec le
tonnage (jusqu'à 10
Km).
- Le niveau technique mis en oeuvre pour effectuer un
atterrissage avec un navire est nettement plus simple à acquérir
que celui d'un pilote.
- Un méthanier explosant engendrera une boule de froid
intense sur un rayon de 800 mètres, puis une explosion,
dévastatrice par l'effet de souffle.
- A titre d'exemple le port de New York se trouve en plein
centre-ville.
Conscientes de ce risque, les autorités
Américaines appuyèrent la mise en place du code ISPS, relatif
à la sûreté des navires et espaces portuaires. Obligation
était alors faite à tous les navires d'assurer la veille
anti-terroriste en opérations commerciales. Malheureusement, rares sont
les ports à fournir des équipes de gardiens, encore moins
nombreux sont les armements ayant engagé de la main d'oeuvre
supplémentaire afin de pallier convenablement à cette nouvelle
astreinte, tout en respectant le droit du travail maritime.
Ainsi, en escale, depuis la mise en place du code ISPS, les
matelots sont-ils contraints d'effectuer en plus du quart normal en
Opération Commerciale, une veille ISPS, rendue d'autant plus inutile que
ces derniers ne possèdent aucun moyen de prévenir la
montée à bord de terroristes armés.
Tous ces facteurs sont autant d'accidents maritimes en
gestation, aucun d'entre eux ne pouvant jamais être
considéré comme mineur. Car qu'est-ce qu'un accident ? La
définition telle qu'elle nous est donnée dans les cours de
l'école nationale de marine marchande indique que l'accident n'est que
la résultante de la dégradation d'un certain nombre de
détails/facteurs isolés ou dépendants. Considérer
le facteur humain est une chose, mais comme nous le savons bien, nul
employé n'est responsable des contraintes organisationnelles et
structurelles de l'entreprise pour laquelle il travaille. Si à terre, la
réponse à l'accident est trop souvent le stage de formation, en
mer, elle se traduit par un recours en justice. Les conséquences de la
fortune de mer ne sont jamais anodines :
Ainsi, le cargo "FENES" chargé de blé qui s'est
éventré sur la côte Corse, créant une pollution
significative par la fermentation du blé répandu sur le fond.
De même, le porte-conteneurs "MELBRIDGE BILBAO" venu
s'échouer sur les rochers de l'île de MOLENE, comme ses
frères "KINI KERSTEN" sur une plage du Cotentin ou "COASTAL BAY"
à l'entrée de LIVERPOOL, parce que l'officier de quart
s'était endormi.
Et ces accidents ne sont pas encore à la hauteur de ce
qui pourrait arriver : le gigantisme des navires, l'absence totale
d'implication des marins dans le processus de conception de ces derniers au
profit d'ingénieurs maritimes savants, certes, mais théoriciens
avant tout, peuvent permettre de prévoir certains accidents susceptible
d'arriver dans un avenir plus ou moins proche.
Imaginons le porte-conteneurs de 14 000 boîtes, tel
l'Emma Maêrsk, conteneurs chargés pour certains d'entre eux
évidemment d'une énorme quantité de produits dangereux ou
polluants. Imaginons à la place d' "AMOCO CADIZ" un LPG de 75.000
m3 chargé de propane ! Que seraient devenues la population et
toute la vie côtière ? Le propane se vaporisant et restant
particulièrement froid aurait recouvert la côte asphyxiant tout,
à moins de ne rencontrer une étincelle créant une
énorme explosion !
Imaginons un transport de GNL de 125.000 m3 victime
d'un abordage à proximité d'un port ! Le méthane (à
-164°C) se déversant à la mer, créant un iceberg qui,
en se désintégrant progressivement, bombarderait de
glaçons les environs tout en créant des ondes de choc et un
risque pour la navigation aérienne.
Imaginons le désastre qu'aurait pu présenter
l'abordage du "VASCO da GAMA", éthylénier, devant TERNEUZEN, qui
n'a heureusement pas eu de cuve touchée... Certains spécialistes
disent que si une cuve s'était déversée brutalement dans
l'estuaire, l'explosion se serait fait sentir jusqu'à Anvers où
plus aucune vitre ne serait restée en place.
Imaginons l'abordage d'un navire à passagers, loin de
côtes équipées, par un transport de gaz (certains
constructeurs "géniaux" imaginent déjà des paquebots avec
10.000 passagers !). Le feu, l'explosion, la tempête etc. rendant le
sauvetage immensément difficile.
Mesure-t-on les conséquences d'une brèche dans
une cuve d'un chimiquier transportant du "VCM" ou tout autre produit hautement
cancérigène à l'abord d'un port ?
La course au gigantisme dont sont les victimes consentantes
les armateurs, à tort ou à raison, la réduction permanente
des équipages et l'accroissement de la tension de travail
inhérente, le recours à des solutions technologiques à
moindre coût plutôt qu'à une main d'oeuvre qualifiée,
le jeu fait sur les règlementations internationales quant au code du
travail maritime ou de l'ISM, la pression que certains gros transporteurs sont
capables d'infliger aux
États si ceux-ci se montrent trop pointilleux ou pas
assez accommodant (la compagnie Maersk fait plier le gouvernement
Panaméen quant à la définition des navires Panamax, fait
également plier le gouvernement Danois quand celui-ci désire
durcir les règles de son pavillonnement), sont autant de critères
montrant bien le peu de cas qui est fait du marin face aux besoins du capital
navire. C'est oublier bien vite que, malgré une tentative peu
convaincante au Japon de navires sans marin, celui-ci reste le seul à
même de faire circuler le navire et d'assurer sa rentabilité et
son entretien tout au long de sa vie. Le marin « donne une main au navire,
et en garde une pour lui, mais si le bateau souffre, il donne encore trois
doigts au navire. »
Bien évidemment, les conditions de vie des marins sont
bien loin de celles qui prévalaient du XIVe au
XIXe siècle. Les nuits de sommeil dans l'entrepont, les
hamacs si serrés que le nez de l'un touche le dos de l'autre, la pluie
ou l'eau de mer dégoûtant du pont mal jointé, les
vêtements toujours humides d'eau de mer et l'eau douce, denrée
rare, n'autorisant ni douche ni même un semblant d'hygiène, tout
cela a disparu. Mais tandis qu'à l'époque, les marins, en avance
sur leur temps, bénéficiaient d'une sécurité
sociale, d'une retraite et nombreux autres avantages comparativement à
la population terrestre, le marin d'aujourd'hui, s'il est à la pointe du
capitalisme, fer de lance d'une société de consommation et
d'échange nécessitant un apport de matières, produits et
denrées sans cesse grandissant, a néanmoins perdu les
avancées qui lui étaient propres. Le lien entre le marin et son
armateur, s'il n'a jamais été particulièrement fort,
était représenté néanmoins en la personne du
Commandant. Mais le rôle de celui-ci, ayant été lui aussi
soumis à une très forte évolution, n'est plus
représentatif de ce dernier.
Que reste-t-il alors du lien entre armateur et marin ? Le
contrat de travail maritime. Encore celui-ci ne s'applique-t-il que pour une
faible portion des navigants. Nous l'avons vu, les matelots sont plus souvent
recrutés par l'intermédiaire de marchands d'hommes que par un
armement, celui-ci se dégageant alors du maximum de
responsabilités.
On le voit, la situation de la marine marchande, soumise
à une évolution extrêmement rapide de l'environnement
commercial mondial et à la massification des flux de marchandises, a
été amenée à relâcher et distendre les
relations que les États pouvaient normalement entretenir avec elle.
Conscients des conséquences du dépavillonnement, les pays
traditionnellement maritimes ont créé les pavillons bis, pauvres
succédanés aux pavillons de complaisance et peu satisfaisants
à la fois dans la détermination du lien substantiel comme dans
les avantages et certitudes qu'ils pouvaient procurer aux armements maritimes.
Ainsi, le TAAF, tant décrié par le flou juridique dans lequel il
évoluait, n'avait pas su convaincre les armements français et
étrangers de pavillonner tricolore.
La tentative du RIF, reconnu pavillon de complaisance par
l'ITF, obéit à une logique purement économique dans
laquelle la situation de la France d'un point de vue commercial et
stratégique ne permet plus de protéger les emplois des nationaux.
Le report des responsabilités de l'engagement de main d'oeuvre
française sur les affréteurs, loin des considérations
normales de la responsabilité des Commandants comme de celle des
armateurs est l'une des nombreuses marques de la distanciation de l'État
quant au lien substantiel qu'il exerce sur le navire.
Alors que la communautarisation du droit français et
l'alignement du droit maritime sur le droit terrestre ont eu des
conséquences importantes sur les particularismes de la vie maritime et
de celle des marins, il est intéressant de noter que le fer de lance des
capacités d'export et d'import d'un pays passe par une
dérégulation sensible et néanmoins ordonnée de son
fonctionnement.
La licence donnée aux armements de faire appel aux
agences de manning pour le recrutement d'une main d'oeuvre
étrangère aux conditions du pays d'origine est une marque forte,
à mon sens, de la volonté de l'État français
d'aborder de façon pragmatique le problème de la marine marchande
française et son manque de compétitivité. Loin des
considérations sociales et de la responsabilité envers ses
ressortissants navigants, la France prend lentement la voie derrière de
nombreux pays pour rejoindre une complaisance totale et affranchie de tout
scrupule pusillanime.
Il est de bon ton chez les navigants de critiquer ouvertement
toutes les avancées effectuées par l'État comme par les
armements concernant leurs statuts propres, et cela semble justifié dans
la mesure où le métier se réduit comme peau de chagrin
autour de quelques navires dont les équipages n'auront de
français que le pavillon au cul du navire flottant au dessus du nom
d'une ville dont ils ignoreront jusqu'à la localisation.
Du Commandant français, officier d'État Civil,
représentant de la France en déplacement, nous arriverons sous
peu à un Commandant de navire français dont les
prérogatives déjà bien mises à mal par
l'évolution du monde maritime feront face aux énormes
responsabilités qu'engendrent la loi Perben.
Néanmoins, force est de reconnaître que
l'importance de la marine marchande pour un État n'est pas
négligeable et loin s'en faut. C'est la force de leur flotte et
l'attractivité de leur pavillon qui ont permis à certains pays
tels le Liberia, les Bahamas ou Malte et Chypre, plus proches de chez nous,
d'éviter une banqueroute dans le pire des cas, une situation
économique difficile dans le meilleur des cas. D'autres pays tels que
les philippines voient dans la manne de la marine marchande internationale le
moyen d'importer des devises fortes en encourageant leur population à
embrasser le métier de marin60.
60 La plupart des marins du monde sont payés en
Dollars américains.
Un certain nombre de solutions existe néanmoins afin de
sauvegarder un semblant d'ordonnancement sur les mers du monde. La convention
de Montego Bay stipule que l'État du port peut effectuer des
contrôles sur les navires en relâche ou de passage dans les eaux
territoriales. Cette tache qui permettrait un assainissement notable des mers
n'est malheureusement pas systématisée. En effet, alors que la
majorité de la flotte mondiale navigue sous pavillon de complaisance,
imaginons les conséquences d'un boycott de la flotte panaméenne
sur les côtes française. Ne nous faisons pas d'illusion, la France
s'enorgueillit d'influer sur les orientations politiques maritimes. Force est
de reconnaître que ni sa petite flotte, ni la productivité de ces
terminaux, ni même sa capacité d'import-export et sa situation
géographique en retrait par rapport aux lignes de flux logistiques ne
permettent de tenir bon face à la foule compacte des pavillons de
complaisance.
A mon sens, le renforcement du contrôle par
l'État du port ne passera que par une volonté européenne
commune d'assainir les mers du monde des pavillons poubelles.
Une autre solution envisageable serait le renforcement des
contrôles de compétences et une réévaluation de la
STCW 95 fixant les standards de formation des marins marchands. Car le danger
sur la mer ne vient pas du pavillon à proprement parler puisqu'il n'est
que l'extension d'un besoin économique et commercial de la part d'un
État,, mais des marins qui sont amenés à naviguer sous ces
pavillons. Cela étant, le peu de contrôle effectué sur les
navires et l'état déplorable de certains dus à la mauvaise
volonté évidente d'armateurs-affréteurs, plus
concernés par la rentabilité immédiate et à court
terme du navire que par son entretien, montrent bien que le renforcement des
normes pesant sur les seuls marins ne sera pas suffisant.
S'il est vrai que ce dernier point mériterait
d'être soulevé comme symptôme conséquent à la
dérive de l'ensemble des pavillons mondiaux, il n'en reste pas moins que
le principal problème de l'exercice réel du lien substantiel
réside d'abord dans le flou juridique qui entoure le concept et dans la
latitude qui fut laissée aux pays à organiser le mode
d'immatriculation et de pavillonnement.
Il est important de souligner une fois encore que si le flou
juridique a su profiter aux États du pavillon, ses précisions
dans le domaine de l'enregistrement des sociétés a permis
à nombre d'armateurs de limiter leurs responsabilités, de fait,
bien au-delà du cadre initialement prévu par la loi
(confère la limitation légale de responsabilité, chapitre
précédent).
Enfin, un effort important reste à faire auprès
des États-Unis dont l'intégralité de la flotte marchande
(ou presque) est pavillonnée sous complaisance principalement aux
Bahamas. Sans l'appui de ce pays important représentant une part de
marché non négligeable dans le commerce mondial, il ne saurait
être question de convaincre les pays émergents dans le monde
maritime, comme la Chine, de renoncer aux facilités et aux dangers des
pavillons de complaisance.
Addenda : Article paru le 24 janvier 2008 sur le site armateurs
de France.
Le tribunal correctionnel de Paris a rendu, ce jour, sa
décision dans l'affaire de l'Erika.
En écartant la convention sur les pollutions maritimes,
le tribunal a réussi à éviter le conflit entre le droit
international et le droit français. L'armateur, son gérant
technique et la société de classification ne pouvaient ignorer le
problème grave de structure du navire et que celui-ci n'était pas
aux normes. Dans ces conditions, on ne peut que se réjouir de leur
condamnation. Elle est exemplaire pour améliorer notre métier.
Un armateur dont la légèreté jette
l'opprobre sur l'ensemble de sa profession doit être sanctionné.
Toutefois, la question du respect de la hiérarchie des normes reste
entière et il serait souhaitable que les conventions internationales
puissent servir leur véritable objet : poser les fondements du droit de
la mer pour éviter désormais toute interprétation.
Le grand absent de ce procès est l'État du
pavillon. A quoi sert en effet de créer des obligations pour les
États qui accordent leurs pavillons, s'ils ne peuvent être tenus
responsables lorsqu'ils n'exercent pas les contrôles nécessaires ?
Pourquoi la France n'a-t- elle pas poursuivi sa logique et engagé devant
une juridiction internationale la responsabilité de l'État de
Malte ? Au nom de la réciprocité ? En matière de
contrôle par l'État du pavillon, l'administration française
est exemplaire.
Le bon fonctionnement du Fipol (fonds créé
spécialement pour compenser les conséquences de ce type de
catastrophe) avait permis d'indemniser le préjudice économique
des victimes. Le tribunal a décidé de compléter ce fonds
conventionnel. Introduire une notion de « préjudice environnemental
», pourquoi pas ? Mais cette notion ne devrait-elle pas dans son principe
et ses modalités être définie par le législateur (au
niveau international) plutôt que par un tribunal ?
Fin de citation.
On le voit, le problème reste entier, le contrôle
par l'État du port en France est convenablement fait, sans s'accorder
les envolées lyriques du texte ci-dessus, mais comment faire face
convenablement à la dégradation générale des
conditions de navigation et de flux commerciaux quand il est manifeste que
certains États se refusent à assumer toute responsabilité
quant à la situation des navires immatriculés sous leurs
pavillons. Il est regrettable que le droit International ne se penche pas de
façon plus approfondie sur le problème, comme il est regrettable
que la taille de la flotte pavillonnée préside à la valeur
du vote de l'État du pavillon. Que dire du fait que l'État du
pavillon incriminé dans cette affaire soit un pays européen,
Malte ?

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