b. Le Capitaine, de mandataire itinérant à
préposé de l'armateur
Nous l'avons vu à plusieurs reprises au fil des pages
de cet exercice, c'est la terre qui, à présent, régit les
affaires commerciales du navire s'insérant de manière plus
efficace au sein des flux mondiaux. Les communications
s'accélérant, les voyages aux trampings ont connus un premier
essor avant de presque disparaître face à la massification des
besoins logistiques (terminaux, containerisation, taille des navires) et au
développement des systèmes de lignes s'intégrant dans
l'ensemble des systèmes en «juste à temps ». Là
où le Capitaine traitait directement avec la clientèle et agents
portuaires, il s'intègre maintenant au même titre que son
équipage dans un paysage industriel dont la principale garantie de
pérennité repose sur la constance et la vitesse de ses
approvisionnements. A ce titre, le Commandant et les marins ont vu leurs
rôles se limiter pour devenir celui de « transporteur maritime
» quand ils étaient marins au long cours.
C'est dans ce cadre que le rôle du Commandant auprès
de son armateur a vu son importance se réduire de mandataire à
préposé.
Statut et obligations de l'armement
L'armateur choisit son Capitaine en tant que
représentant de ses intérêts à bord mais il est
indispensable, pour comprendre le statut du Capitaine, de préciser que
l'administration maritime va intervenir dans sa nomination et dans le
contrôle de son activité technique.
L'administration maritime va agréer le choix de
l'armateur en contrôlant les conditions d'engagement et l'obtention des
stages et diplômes par le Capitaine. Cette intervention de
l'administration, qui peut aller jusqu'au retrait ou suspension disciplinaire
du Capitaine, se justifie par les fonctions d'ordre publique dont est investi
le Capitaine. Mais le pouvoir de l'administration ne pourra pas s'exercer sur
les fonctions commerciales du Capitaine. Ces fonctions et obligations seront
définies par le contrat régissant les relations entre armateur et
Capitaine, le principe de la liberté des conventions s'applique.
Le Capitaine peut-il vraiment résister aux immixtions
éventuelles de l'armateur, telles que nous avons pu les aborder
précédemment ? Michel Dubosc, avocat au barreau, a répondu
à cette question de façon négative à l'occasion du
colloque organisé par l'Association Française du Droit Maritime
relatif au droit de la mer et de la sécurité de la
terre43. Il justifie sa position en citant l'article 109 du Code du
travail maritime qui permet à l'armateur, toujours et en tout lieu, de
congédier son Capitaine. Par là, l'armateur exerce sur son
Capitaine un droit de subordination, il peut lui donner des ordres et des
instructions. Ce type de comportement est réprimé par la loi mais
le progrès des communications rend ces échanges plus faciles dans
la mesure où ils ne laissent souvent aucune trace écrite.
Cette immixtion de l'armateur, mais aussi et surtout des
services à terre, compromet la sécurité de la navigation
et rend le travail du Capitaine très délicat dans la mesure
où il doit remplir ses fonctions tout en restant en accord avec son
armateur, qui, nous le savons, poursuit souvent des buts commerciaux au
détriment parfois de la sécurité.
En contrepartie, l'armateur engage sa responsabilité
dans plusieurs cas définis par la loi. Comme nous l'avons dit, il est
responsable des dommages causés par son navire. Il répond des
fautes du Capitaine, son préposé, selon l'article 216-1° du
Code de commerce. Le
43 Colloque de l'AFDM des 10 et 11 mai 1979 à
Nantes : « Le droit de la mer et la sécurité de la terre
»
Capitaine peut engager la responsabilité civile et donc le
patrimoine de son armateur par ses fautes, sauf fautes nautiques.
Obligations du Capitaine envers l'armateur
Le Capitaine est le représentant commercial de
l'armateur. Il existe une relation de confiance entre les deux parties. Le
Capitaine doit défendre les intérêts de son armateur. Mais
son rôle commercial ayant pratiquement disparu aujourd'hui, les
obligations dont il était débiteur, comme par exemple de vendre
au mieux les marchandises transportées, de conclure les contrats au lieu
et place de l'armateur, n'existent plus. Le Capitaine doit, en principe,
équiper le navire, c'est-à-dire engager l'équipage, faire
radouber le bâtiment, acheter les agrès et instruments
nécessaires et se munir des approvisionnements. Mais ces obligations
sont aujourd'hui à la charge de l'armateur ou de ses
représentants à terre, notamment le Capitaine d'armement. Le
Capitaine redevient débiteur de ce type d'obligations lorsqu'il ne se
trouve pas en la demeure de l'armateur, c'est-à-dire que lorsque la
présence de l'armateur ou d'un de ses représentants à
terre fait défaut, le Capitaine recouvre alors la plénitude de
ses fonctions commerciales. Cela dit, cette situation est très rare de
nos jours, dans la mesure où l'armateur est représenté
dans une large mesure et que le Capitaine ne se trouve que dans des situations
exceptionnelles coupé de toute relation avec son armateur. En bref, le
Capitaine est responsable envers l'armateur de l'accomplissement de la mission
qui lui a été confiée. Cette responsabilité est une
responsabilité contractuelle44 . Le Capitaine prend, en
acceptant le commandement, la responsabilité de mener à bonne fin
l'expédition maritime. Un manquement à la bonne conduite de
l'expédition maritime pour satisfaire des intérêts
personnels est considéré comme un crime.
Le Capitaine, un préposé de l'armateur
Malgré de nombreuses et vives controverses, le
Commandant est reconnu de nos jours comme préposé de l'armateur,
juste illustration de la diminution des responsabilités du Commandant et
de sa perte de contrôle sur le déroulement des opérations
commerciales. Néanmoins, une certaine indépendance du Commandant
issue d'une longue tradition résiste encore à l'ingérence
de la terre.
44 Ex de faute commerciale du Capitaine : le
Commandant ayant appareillé malgré une condition
météo ne permettant pas d'assurer la sécurité du
navire et de l'équipage commet une faute commerciale et ne peut invoquer
la fortune de mer. A l'inverse, la fortune de mer sera applicable si le navire
venait à subir une avarie lors d'une traversée, puisqu'il s'agit
là du domaine purement nautique.
Le 25 février 2000, l'Assemblée
plénière de la Cour de Cassation a posé par
arrêté la fonction de préposé au Commandant et
diminué de fait ses responsabilités dans l'exercice normal de ses
fonctions. Ainsi le Commandant n'engage plus sa responsabilité à
l'égard de tiers s'il n'excède pas les limites de la mission qui
lui a été impartie. Suite au naufrage du paquebot
Lamoricière, la Cour de Cassation insiste en déclarant : «
l'armateur, conservant l'usage et le contrôle du navire au cours du
voyage, en reste gardien, malgré le pouvoir de direction dont dispose le
Capitaine, mais que celui-ci n'exerce qu'en qualité de
préposé de l'armateur, incompatible avec celle de gardien
».
Cet arrêt, première pierre à un nouvel
édifice de la juridiction, marque le début de l'immixtion du
droit civil dans le droit maritime. Jusqu'à cet arrêt, la Cour
n'admettait pas l'application de la responsabilité du fait des choses au
contrat de transport maritime. La Cour a pris une telle position pour ne pas
déclarer le Capitaine gardien du navire, pour faire peser la
responsabilité sur l'armateur jugé seul solvable45.
Ainsi, le Capitaine est un préposé de
l'armateur, il n'est pas gardien du navire qu'il commande, sa
responsabilité ne pourra être engagée que dans les limites
posées par les dispositions du Code Civil.
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