III- Problématique et objectifs de recherche
A- Problématique
Depuis trente ans que se sont ouverts les débats sur le
Nouvel Ordre Mondial de l'Information, la communication internationale a
semblé stagner, du moins au niveau du sens de circulation de
l'information, bien que celle-ci puisse être considérée
comme finalement décolonisée tel que le recommandait Hervé
Bourges déjà dans les années 1970. Si d'un point de vue
économique, beaucoup de facteurs de régulation des flux ont
évolué, il demeure que le contexte géopolitique dans
lequel cette évolution s'est réalisée n'a pas
profondément changé, du moins en ce qui concerne les rapports de
force entre l'Afrique et les pays industrialisés de l'occident. Du coup,
l'écart entre l'Afrique et les pays du Nord qui était
censé se réduire par les belles promesses de la
société mondiale de l'information s'est davantage creusé
même si les populations de ce continent demeurent confiantes et
optimistes sous l'effet des croyances engendrées par les discours de
promotion des TIC.
Et pourtant, depuis trente ans, au nom de la «
coopération internationale », des organisations internationales
n'avaient cessé de se mettre au devant de la lutte contre la fracture
numérique, affichant leur volonté d'aider les pays du Sud
à une appropriation progressive des TIC et à l'intégration
de ces pays dans l'e-inclusion. Mais pourquoi alors, depuis l'échec du
NOMIC jusqu'au lendemain du SMSI à Genève et Tunis, l'UNESCO, en
dépit de sa « solidarité numérique »
vis-à-vis des pays africains, n'arrive pas à
rééquilibrer les rapports humains en matière de
communication et d'accès aux TIC sans que ces pays ne demeurent
écartés par les critères géographiques et de
frontières privilégiant les pays industrialisés ?
Il importe d'interroger à nouveau l'histoire mais en
analysant cette fois-ci les éventuels enjeux géopolitiques
sous-tendus sans doute par des intérêts financiers et
hégémoniques des maîtres du monde. Il
serait encore plus intéressant et c'est là l'une des
particularités de notre travail, de nous questionner sur les probables
pressions et influences que subirait l'UNESCO. Rappelons que les maîtres
du jeu que sont les superpuissances du Nord n'hésitent pas pour imposer
leurs propres intérêts à «discipliner» les
organisations intergouvernementales en les menaçant d'un retrait (comme
cela a été le cas pour les Etats- Unis et la Grande Bretagne qui
se sont retirés de l'UNESCO pendant plus de 15 ans), et en
exerçant, à l'encontre de certains récalcitrants, la
politique de la carotte et du bâton.
« L'insubordination» et l'attitude hostile à
l'égard des intérêts occidentaux ne manquent pas de
générer de nouvelles sanctions, telles l'exclusion de la clause
de la nation la plus favorisée, ou des restrictions à
l'exportation. Les actions des organisations internationales ou
intergouvernementales seraient donc soutenues par certains pays
industrialisés qui sont les pays (donateurs) finançant souvent
les politiques de lutte contre la fracture numérique mondiale. L'UNESCO
est-elle financièrement indépendante pour mener jusqu'au bout ses
programmes en faveur du développement international de la communication
? Si non, n'estelle pas obligée de répondre à certaines
conditions ou de satisfaire certaines exigences qui lui sont imposées
?
Pour répondre à ces questions, nous aurons
à pénétrer au coeur de la communication internationale et
de la souveraineté nationale des pays afin de voir de plus près
les grandes actions menées par l'UNESCO, telles que le PIDC ou encore
l'organisation du SMSI tout en vérifiant si les enjeux
géopolitiques caractéristiques des rapports de force entre pays
du Sud et pays du Nord ne sont pas les principaux facteurs de blocage ou
d'échec de ces programmes. L'UNESCO, par ses stratégies de
diffusion des TIC en Afrique contribue-t-elle davantage à la
dépendance technologique de ces pays ? Ou ces actions favorisent-elles
vraiment la réappropriation des TIC par ces pays?
Il semblerait que le continent africain soit tombé dans
le fossé numérique creusé par la mondialisation de
l'information, laquelle mondialisation conditionne l'internationalisation et la
globalisation des échanges y compris ceux de l'information, et des
technologies. Et pour sortir de ce fossé, l'Afrique a-t-elle
nécessairement besoin de l'UNESCO ou d'autres organisations
internationales ? Pourquoi une solidarité numérique dans la
société de l'information alors que cette société
dans ses fondements sous-entend déjà des valeurs de
solidarité et d'égalité (d'accès universel et de
partage de l'information) ?
Finalement, l'appropriation ou la réappropriation des
TIC par les pays africains ne devrait-elle pas de ce fait être
repensée à un niveau plutôt national, régional et
local qu'international ? Mais les Etats africains ont-ils des budgets
suffisants pour une auto- appropriation de ces TIC ? Sont-ils prêts
à prendre en main leur destin numérique ? Avant le
développement économique, à quand d'abord
l'indépendance numérique des pays africains les moins
avancés en communication ?
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