II- Théories et discours sur les TIC :
Délimitation d'un champ de
recherche
Au carrefour des SIC et des sciences sociales, la question de
la fracture ou celle de la solidarité numérique engendrée
par les inégalités de la société de l'information
appartient au contexte global des recherches portant sur l'intégration
des technologies de l'information et de la communication dans les
sociétés. Par ailleurs, il s'avère que
l'intégration des TIC dans la sphère publique a favorisé
des discours imaginaires, riches en projections voire contradictoires. Toutes
les études menées sur les TIC se doivent alors d'être
forgées sur l'adoption d'une posture technologique explicite ou
implicite qui contribue à la fabrication des problématiques, des
méthodes et des axes d'interprétation.
Ainsi, s'agira-t-il pour nous ici de confronter quelques
discours et théories sur les TIC, de souligner leurs oppositions ou
convergences, d'être attentifs à leur révision ou à
leur inflexion pour retracer le positionnement de notre sujet par rapport
à ces différents courants de pensée.
A- Le paradoxe entre déterminisme technologique et
déterminisme social
On distingue deux principales postures relatives aux discours
sur les technologies de l'information et de la communication. Tandis que le
déterminisme technique soutient que les techniques, les pratiques des
outils vont résoudre à eux seuls les dysfonctionnements de la
société ou influer de façon exclusive les formes de
rapports sociaux, le déterminisme social prétend que ce sont les
rapports sociaux et les anciennes pratiques qui déterminent les
progrès de la technique.
Rappelons que les origines du déterminisme technique
remontent au 19ème siècle avec la naissance des utopies
technicistes qui seront à leur tour relayées un peu plus tard par
des auteurs comme Kropothkine, Geddeser, Lewis Munford, Simon Nora ou encore Al
Gore avec « les autoroutes de l'information » en 1993. Leroi Gourhan
n'hésite pas, par exemple à soutenir que : « Ce qu'il y a de
plus humain dans l'homme c'est la technique ». Mais Jacques Ellul en
parlant du bluff technologique en 1988, va plus loin car il est, quant à
lui, convaincu que : « La technique prend le pas sur le rôle
effectif de l'homme dans la société. »
Cette période est bien d'ailleurs celle de la
première génération de chercheurs sur les TIC. Il y avait
d'une part les technophobes pessimistes comme P. Virilio, qui dénoncent
les effets désastreux des TIC tout en les percevant comme les futurs
désastres de l'humanité. D'autre part, les technophiles
(prophètes du cyberespace), à l'instar de Pierre Lévy ou
de J. de Rosnay et plus récemment les disciples de Michel Maffesoli, qui
soutiennent de leur côté que les usages des TIC sont en train de
transformer radicalement et positivement la socialité contemporaine.
Norbert Wiener s'aligne dans ce courant de pensée quand il
considère que l'organisation sociale fonctionne telle une machine
autorégulée.
A l'opposé de cette posture de déterminisme
technique, le courant du déterminisme social appréhende les
rapports sociaux et les anciennes pratiques comme les facteurs
déterminant ou influençant la technique. Ce courant s'oppose
à la vision de M. Macluhan à faire du médium le message.
La technologie est le résultat d'une construction sociotechnique. Ici,
la technique est pensée en tenant compte de l'antériorité
des pratiques sociales. Il est alors beaucoup plus question d'appropriation
progressive ou de détournement des TIC au profit des individus ou des
groupes. C'est dans cette logique que de nombreuses études d'impacts ont
été réalisées par les laboratoires des grands
groupes de télécommunication tels que France
Télécom R & D. favorisant ainsi des disciplines comme
l'économie, et le marketing afin d'étudier l'offre de services
à partir des différentes dimensions de l'information :
marchandes, cognitives, communicationnelles et politiques.
A priori, notre travail pourrait être inscrit dans une
démarche de déterminisme social et cela reviendrait à
soutenir la thèse selon laquelle les relations internationales et
notamment les enjeux économiques et culturels qui les sous-tendent
déterminent l'inégale diffusion et utilisation des TIC. Dominique
Wolton précise à juste titre qu'« Il est évident que
le progrès technique et les enjeux économiques poussent davantage
vers le thème de la société de l'information, alors qu'une
approche plus critique et sociétale est davantage sensible aux
inégalités et aux interrogations sur les liens des modèles
cognitifs et rationnels liés à l'expansion des réseaux et
des théories de la société de l'information
»6. Mais au-delà de ce postulat, il s'agit pour nous
d'apprécier le rôle joué par l'UNESCO face au défi
d'une société numérique inclusive dont l'accès est
conditionné par une solidarité numérique aux pays
considérés actuellement comme des exclus et des
marginalisés.
6 WOLTON Dominique, Information Et
Communication : Dix chantiers scientifiques, culturels et politiques, in
Hermès n° 38, 2004.
Dans cette perspective d'analyse, nous sommes tenus de rester
prudents dans nos jugements en visant une certaine neutralité et par
conséquent une certaine objectivité nécessaire à
toute démarche scientifique ayant pour vocation de relativiser les
visions extrêmes d'un phénomène, qu'elles soient positives
ou négatives. Par ailleurs, il est important de mettre fin ou tout au
moins de pouvoir dépasser le paradoxe nourri par les débats sur
les logiques techniques et les logiques sociales. Ainsi, faudrait-il convenir
avec Patrice Flichy7 que « la technologie ne tombe pas du ciel
mais est un produit sociotechnique. (...) La technologie est donc le
résultat d'une construction sociotechnique que l'on peut analyser selon
trois aspects : le projet d'un inventeur, des contraintes de technologie,
d'usage et de marché, des hasards. (...) ». Bernard Miège
critiquant le techno-déterminisme, débouche de son
côté sur la nécessité d'une double médiation
sociale et technique et parle, comme Serge Proulx, d'ancrage social (le social
est dans la technique et la technique est dans le social en permanence). Il est
contre l'usage du terme d'insertion sociale des TIC, et nous aussi d'ailleurs,
puisque : « les TIC ne peuvent pas être conçus à
l'extérieur du social ».
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