II- Les limites de l'UNESCO dans sa lutte contre la
fracture numérique
L'UNESCO situe la lutte pour l'accès universel au
cyberespace dans le cadre d'une « info-éthique » respectant la
diversité culturelle et linguistique, garant du dialogue entre les
cultures, sans lequel le « processus de la globalisation économique
serait culturellement appauvrissant, inéquitable et injuste ». Ces
politiques de lutte contre la fracture numérique comportent quant
à elles généralement deux volets : d'une part, l'aide
à la diffusion de l'ordinateur ; d'autre part, la formation des adultes
dans le cadre de centres d'accès publics tels que les
bibliothèques, les médiathèques, les associations... Nous
revenons ici sur l'exemple des centre multimédias communautaires. Il
s'agit en effet de centres locaux où sont
57 GODELUCK Solveig, La Géopolitique
d'Internet, Paris, La Découverte, 2002, 247 p.
mises à la disposition du public des technologies de
l'information et de communication. Le terme «communautaire» se
réfère à la fois à la propriété de la
communauté et à l'accès de la communauté au centre
multimédia. Aujourd'hui, on parle de plus en plus de
télécentres communautaires polyvalents (TCP), qui sont des
structures offrant une gamme des services dans différents domaines
(éducation/formation aux affaires, de la santé au gouvernement
local). Une étude récente pour la Banque mondiale, sur les
politiques concernant les télécommunications, remet tout de
même en cause la rentabilité de ces télécentres dont
le fonctionnement est financé par des bailleurs de fonds externes. Les
télécentres, selon l'étude, ne peuvent pas être
rentables car ils sont conçus davantage en fonction d'une vision des
bailleurs de fonds qu'en fonction de ce que les communautés sont
réellement capables d'assumer. D'ailleurs le premier problème et
l'un des plus cruciaux qui se posent au niveau de ces télécentres
et face auxquels l'UNESCO reste indifférent pour des raisons
d'insuffisance budgétaire est bien le défaut de maintenance.
C'est un problème essentiellement lié au vieillissement du
matériel qui est accéléré compte tenu des dures
conditions climatiques. Etant donné le coût élevé de
l'électricité, rares son en effet les télécentres
qui sont climatisés. Ou soit, même quand le budget des factures
électriques est alloué par les organisations internationales, les
gérants desdits télécentres détournent ces
ressources financières et se sentiraient contraints de couper la
climatisation pour ne pas avoir à pays de leurs propres poches les
factures élevées. On ajoute à ces problèmes de
conditionnement des appareils et des technologies, celui du manque de personnel
qualifié pour assurer la maintenance informatique même des
ordinateurs et fichiers dans le cas des télécentres.
Mais l'UNESCO essaie surtout dans ces actions
d'intégrer toutes les dimensions socioculturelles afin de contribuer
à la réduction de la fracture numérique en plaçant
la personne humaine au centre des objectifs de développement. C'est
d'ailleurs l'importante contribution de l'institution à la
préparation du SMSI qui se résume dans les quatre points suivants
:
- s'accorder sur les principes communs qui doivent régir
la construction des sociétés du savoir ;
- accroître les possibilités d'apprendre en donnant
accès à des contenus et systèmes de prestation des
services éducatifs diversifiés ;
- renforcer les capacités en matière de recherche
scientifique, de partage de l'information et d'échanges culturels ;
- promouvoir l'utilisation des TIC aux fins du
développement des capacités, de l'autonomisation, de la
gouvernance et la participation sociale.
L'UNESCO participe profondément sur la base de ces
stratégies à la formulation de politiques au niveau national et
réalise des projets pilotes pour mieux explorer les possibilités
d'action multisectorielle sur le terrain, analyser les difficultés
réelles, les problèmes les plus urgents et tout ceci afin de
proposer des voies de solutions suivant les différents contextes
socioculturels.
Cependant, l'UNESCO rencontre tout de même dans son
combat pour la réduction de la fracture numérique en Afrique des
obstacles de natures diverses dont certains ont déjà
été évoqués au cours de ce travail. Nous citons
entre autres : le problème des infrastructures inadaptées, autant
pour les sources d'énergie que pour les équipements
informatiques, l'état embryonnaire des réseaux de
télécommunication et de diffusion de masse ; l'insuffisance des
ressources financières; l'analphabétisme persistant ; l'absence
d'un environnement scientifique apte à accueillir ces technologies ; le
manque de formation à l'utilisation des TIC ; la maintenance ou
l'assistance aléatoire ; les contenus inadaptés voire
inutilisables pour des raisons linguistiques ou culturelles. Par ailleurs,
l'UNESCO rencontre également des résistances de type
idéologique et des réticences relevant de l'ordre de la
technophobie. Notons que compte tenu de l'effet promotionnel des discours sur
les TIC, il y a plus de simples réticences technophobes que de
véritables résistances idéologiques traduisant
éventuellement le refus des populations africaines (fortement
conservatrices) à recevoir ces technologies pour des motifs de
préservation de leur identité culturelle. Le Président
Abdoulaye Wade se montrait d'ailleurs plutôt rassurant en affirmant que :
« l'identité culturelle ne signifie pas que je ne vais pas prendre
l'avion parce que mes ancêtres ne l'ont pas inventé. Il est
certain que lorsque l'on utilise ces technologies au niveau populaire, le
peuple s'y exprime et y crée selon sa culture. Apprenez à des
enfants à dessiner avec un ordinateur, l'enfant du Sénégal
ne dessinera pas comme un petit Norvégien. C'est un moyen d'expression
culturelle à la disposition de tout le monde. De plus, notre culture
sera mieux connue à travers le monde grâce aux nouvelles
technologies.» C'est justement cette dernière phrase qui confirme
l'existence des croyances qui ont fini par s'ancrer dans la mentalité
des populations africaines qui, sous l'effet des discours
répétitifs élogieux entretenus par les promoteurs des TIC
et relayés par les organisations internationales sont aujourd'hui
presqu'entièrement convaincues de l'utilité rédemptrice
des TIC.
Il ne serait pas superflu de mentionner que le contexte des
transferts de technologie du Nord vers le Sud suit la logique du schéma
de la communication tel que décrit par Shannon et Weaver avec un
émetteur (les pays industrialisés) et un récepteur
destinataire (les pays
africains). L'émetteur apporte la technologie (message)
vers les pays africains (destinataires) sans tenir compte du bruit
généré par les interférences culturelles du cadre
de réception de la technologie. Ici, seul le canal importe
réellement, la production du sens n'est pas de mise. L'information est
ainsi coupée de la culture et de la mémoire. Et ceci pourrait
être aussi une autre justification de l'attribution de l'organisation du
SMSI à l'UIT, qui est un organisme technique des Nations Unies au
détriment de l'UNESCO qui est la mémoire intellectuelle et
culturelle de la communauté internationale. Ce raisonnement
sémio-épistémologique permet de comprendre que l'OMC
traite la culture comme un « service marchand » à
l'égal des autres à l'heure même où la
diversité culturelle est au coeur des débats.
|