Chapitre 2 : Communication internationale et
souveraineté nationale : Les limites des organisations
internationales
I- Les enjeux géopolitiques de la régulation
de la communication internationale
Armand Mattelart54 nous rappelle que :« C'est
à l'Unesco qu'à l'occasion du débat sur le Nouvel ordre
mondial de l'information et de la communication (NOMIC) et plus tard au Gatt
qu'il apparaît que l'autodétermination dans le champ de
l'information et de la communication est imbriquée avec
l'autodétermination dans les domaines politique, social,
économique et culturel, et que la souveraineté nationale,
l'identité culturelle, l'économie nationale et même la
sécurité nationale des pays dits en développement sont
menacés par la communication internationale. »
Les TIC ont ainsi profondément recomposé le
monde depuis que la chute du mur de Berlin a consacré de nouvelles
doctrines militaires et diplomatiques basées sur la maîtrise de
l'information, ou la information dominance, socle de nouvelles
façons de faire la guerre et la paix, d'exporter le modèle de la
démocratie de marché. La mondialisation ou globalisation de
l'économie et des échanges a été ensuite
accélérée par les processus de dérégulation,
de libéralisation et de privatisation orchestrés par les
organisations intergouvernementales avec le soutien des politiques d'aide au
développement des pays industrialisés.
C'est cet environnement qui selon, Ignacio Ramonet, nous
conduit à une géopolitique du chaos, inhérente
à la révolution de l'informatique et de la communication ayant
entraîné l'explosion des marchés financiers et des
réseaux d'information : « La transmission de données
à la vitesse de la lumière (300 000 kilomètres par
seconde) ; la numérisation des textes, des images et des sons ; le
recours, devenu banal, aux satellites de télécommunications ; la
révolution de la téléphonie, la
généralisation de l'informatique dans la plupart des secteurs de
la production et des services ; la miniaturisation des ordinateurs et leur mise
en réseau sur Internet à l'échelle planétaire ont,
peu à peu, chambardé l'ordre du monde » 55. La
communication, au coeur de ce « système hégémonique
instable et conflictuel alternant phases de stabilités, de tensions et
d'affrontements »56, devient alors un enjeu dont la
régulation est l'objet de grands débats car dessinant une
cartographie mondiale des rapports de richesse et de puissance.
54 MATTELART Armand, Passé et
présent de la "société de l'information": entre le nouvel
ordre mondial de l'information et de la communication et le sommet mondial sur
la société de l `information, p.12-13.
55 RAMONET Ignacio, Op.Cit., p.72.
56 CARROUE Laurent, Mondialisation -
Globalisation : le regard d'un géographe, APHG - Régionale de
Caen - 22 novembre 2006.
Les autoroutes de l'information globales annoncées en
1994 à Buenos Aires à l'occasion d'une conférence
générale sur le développement et les
télécommunications sous les auspices de l'UIT, ont conduit en
1995 à la « société globale de l'information »,
appellation adoptée à Bruxelles par le G7 des pays les plus
industrialisés. Cette société globale est
présentée par les partisans du free flow comme assise d'un Nouvel
ordre mondial de l'information (NOMI) qui était rejeté quelques
décennies auparavant par les mêmes acteurs. Un balbutiement de
l'histoire avec peut-être un nouveau départ : celui d'une
«société de l'information» érigée en
véritable enjeu géopolitique. Solveig Godeluck57
écrit à cet effet que « Le réseau (...) se
déploie autour d'un hypercentre américain, presque en
étoile, alors que la vertu supposée d'Internet est justement sa
décentralisation ». C'est là que réside la vraie
fracture numérique. Une fracture apparemment masquée par la
volonté des grands pays, détenteurs de la technologie et
producteurs de contenus. Derrière ce masque de bon samaritain, les pays
industrialisés imposent, ou plutôt diffusent leurs normes et leur
pouvoir. Dans cette logique, l'invocation de la souveraineté nationale
serait, quant à elle, un moyen pour certains régimes autoritaires
des pays du Sud de clamer leur exaspération face à la menace
d'une technologie qui les contourne. L'UNESCO, dans sa mission de
rééquilibrage de la circulation de l'information, a la
possibilité de profiter du terrain balisé par la subversion
numérique des territoires pour transpercer le système
informationnel des nations indépendantes et pénétrer dans
leurs politiques intérieures publiques. N'y aurait-il pas des limites
contraignant parfois l'UNESCO à rester dans un cadre bien circonscrit de
ses compétences ? Ne se heurte-t-il pas à des résistances
idéologiques locales ou régionales ?
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