III- Plaidoyer pour une réappropriation culturelle
des TIC en Afrique
L'ancien Président français, François
Mitterand, déclarait : « Il serait désastreux d'aider
à la généralisation d'un modèle culturel unique. Ce
que les régimes totalitaires, finalement, n'ont pas réussi
à faire, les lois de l'argent alliées aux forces des techniques
vont-elles y parvenir ? »58. Cette question posée depuis
1993 reste toujours d'actualité et nous fait penser que la
représentation idéologique59 de l'univers symbolique
des techniciens, pour ne pas dire des technocrates des TIC, serait de trop
oublier les différences des cultures. Aussi une réelle
appropriation culturelle des TIC en Afrique s'avère-t-elle
nécessaire pour nous rappeler qu'il n'y a de richesses que de cultures.
Pour affranchissant l'esprit humain John Perry Barlow, dans sa
Déclaration d'indépendance du cyberspace, réclame une
indépendance de la liberté de penser, de cliquer et de surfer
dans un univers pluriculturel. « Gouvernements du monde
industrialisé, géants fatigués de chair et d'acier, je
viens du cyberspace, le nouveau domicile de l'esprit. Vous n'avez aucune
souveraineté sur le territoire où nous nous assemblons. Nous
n'avons pas de gouvernement élu, et il est peu probable que nous en
ayons un jour : je m'adresse donc à vous avec la seule autorité
que m'accorde et que s'accorde la liberté elle- même. Je
déclare que l'espace social global que nous construisons est
naturellement indépendant des tyrannies que vous cherchez à nous
imposer. Vous n'avez aucun droit moral à nous gouverner, et vous ne
possédez aucun moyen de faire respecter votre autorité que nous
avons de bonnes raisons de craindre.»
Divisée par des fractures sociales, numériques
et cognitives, la société de l'information est un alibi
idéal pour ajouter de façon subtile à
l'hégémonie économique, une autre
58 Le Monde, 25 Octobre 1993.
59 MATTELART Armand, « Les nouveaux
scénarios de la communication mondiale », in Le Monde
diplomatique, Août 1995, p.24.
hégémonie qui réduira le monde à
un seul modèle de pensée : l'hégémonie culturelle.
Comme l'écrit l'administrateur du PNUD, M. Malloch
Brown, dans la préface au rapport sur le développement humain
(2004), « si l'on veut que notre monde atteigne les objectifs de
développement du millénaire et finalement éradique la
pauvreté, il doit commencer par relever victorieusement le défi
de savoir construire des sociétés intégratrices, qui
respectent les diversités culturelles ». Pourquoi un plaidoyer
pour la diversité culturelle60 ? Tout simplement parce que
comme nous l'avons vu tout le long de ce travail, le
néo-libéralisme drainé par l'hégémonie
économique affirmée de l'hyperpuissance américaine innerve
par une hypocrisie sociale de solidarité toutes les actions
globalisantes d'un rééquilibrage des échanges à
travers le monde. Il ne s'agit pas dans la présente démarche
d'essentialiser en prescrivant le type de discours à adopter ou en
indiquant la voie à prendre. Chaque peuple doit pouvoir trouver la voie
qui est la sienne non pas en se détachant de l'héritage de
l'histoire, mais en découplant le passé du présent, et en
portant un regard nouveau vers l'Autre. Avec ce regard nouveau porté sur
l'autre, l'on ne saurait s'aligner ni derrière les fervents
détracteurs de l'occidentalisation du monde au risque de demeurer
africanophiles, ni derrière les militants de la décroissance, au
risque d'être traités d'anti-développementistes. Et c'est
en cela que ce plaidoyer va plutôt en faveur de l'écoute et de la
rencontre des cultures en faisant le pont entre ces différentes
positions fortement ethnocentristes.
De ce fait, la « diversité » ne devrait pas
être perçue comme la promotion d'une « disparité
» contre l'« homogénéité » ou la «
singularité ». Aujourd'hui, la diversité culturelle remplace
l'exception culturelle et vise à garantir le traitement particulier des
biens et des services culturels par le biais de mesures nationales ou
internationales. Synonyme de dialogue et de valeurs partagées, cette
notion pourrait être utilisée comme base d'une
réappropriation endogène des TIC par les pays africains.
D'où le paradigme de glocalization et son fameux leitmotiv : «
Think global, act local ». Armand Mattelart au cours d'une
interview, confiait justement que pour sortir du néodarwinisme
informationnel : « Il faut se réapproprier les nouvelles
technologies en construisant une alternative à la société
de l'information. Or, aujourd'hui, ceux qui osent parler d'alternative sont
aussitôt taxés de technophobes. Il n'y a aucune réflexion
sur la question essentielle. A savoir : face à un projet qui se
réduit de plus en plus à une techno-utopie, à un
déterminisme techno-marchand, peut-on opposer des projets sociaux et
d'autres formes d'appropriation de ces technologies qui pénètrent
la société ? »
60 La 33ème Conférence générale de
l'Unesco, réunie à Paris, a adopté, le 20 octobre 2005, la
Convention sur la protection et la promotion de la diversité
culturelle.
La question reste posée et pourrait faire objet d'une
étude approfondie à partir d'une démarche
ethnométhodologique pour la compréhension des usages des TIC par
l'observation de certaines populations africaines en situation de pratiques. La
certitude que nous avons à notre niveau est que l'e-inclusion ne saurait
se faire sans une démarche dans laquelle les populations
concernées prendraient une part active en choisissant les technologies
dont ils ont besoin et en les introduisant dans leur espace culturel.
Loin de viser des simples transferts, les démarches
d'e-inclusion, devraient aider les populations en marge de la
«société de l'information» à acquérir les
clés d'accès (techniques, économiques, culturelles, etc.)
leur permettant de s'insérer de façon dynamique dans les
systèmes de communication mondialisés. L'initiation à la
création de logiciels, la maîtrise des logiciels existants,
l'apprentissage de la programmation, la production des TIC à un niveau
local, voilà autant de variables du processus d'appropriation qui,
à notre avis, ne devrait plus appréhender les usages sous le seul
angle des consommateurs ou récepteurs passifs des technologies que sont
jusque là les pays africains.
Pour Alain Kiyindou, il s'agit « de promouvoir le
processus par lequel les gens deviennent les principaux acteurs de leur propre
développement». « Le mot développement, écrit
justement Bertrand Cabedoche61 en conclusion de son livre, Les
Chrétiens et le Tiers- Monde, a pu perdre de son attrait au contact
de trop d'expériences décevantes. Il reste le seul vocable que
partagent tous les humains pour dessiner leur espoir. » Et dans le
prolongement de cette pensée, B.Cabedoche constate qu'en «
accordant une place fondamentale aux expressions culturelles, certains
cherchent à y retrouver aujourd'hui la voie d'une alternative
économique, hors développement » 62. L'approche
de la diversité culturelle, qui est la nôtre, trouverait bien sa
place dans cette logique alternative.
61 CABEDOCHE Bertrand, Les chrétiens
et le tiers-monde, Paris, Karthala, 1990 (Coll. « Économie et
développement »), p. 255.
62 CABEDOCHE Bertrand, « Confondre les
Représentations stéréotypés de l'Afrique dans les
médias transnationaux ? Une démarche
épistémologiquement problématique », Colloque
«Globalisation, Communication et Cultures», Centre des Nations Unies.
Intervention au sein de la délégation des Nations-Unies à
Brazzaville, le 17 Avril 2007, p.1 8.
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