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Du NOMIC au Sommet Mondial de la Société de l'Information : Le rôle de l'UNESCO dans la réduction de la fracture numérique

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par Destiny TCHEHOUALI
Université Stendhal (Grenoble) / Institut de la Communication et des Médias - Master 2 Recherche - Sciences de l'Information et de la Communication 2007
  

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C- Etat actuel des lieux

Nous ne saurions faire un état actuel des lieux et un bilan au lendemain du SMSI sans préciser qu'il n'y a que deux ans qui ont séparé les phases de Tunis et de Genève et que nous sommes aujourd'hui à peine à deux années après la clôture du sommet. Entre le Sommet sur le développement durable de Rio, en 1992, et celui de Johannesburg, en 2002, dix ans se sont écoulés. Pourtant ces dix années n'ont pas suffi à une réelle mise en oeuvre des accords de Rio. Considérant donc l'intervalle court de temps ayant séparé les deux phases du SMSI et les dix- huit mois qui viennent de s'écouler au lendemain du sommet, il s'avère qu'une évaluation de la mise en oeuvre du plan d'action de Genève ne peut être que très sommaire. Cependant nous analyserons tout au moins la teneur même des décisions prises lors du sommet afin d'en peser la faisabilité et de nous projeter sur les réelles retombées du SMSI.

A la première phase du SMSI à Genève en 2003, l'objectif était bien de formuler de façon parfaitement claire une volonté politique et de prendre des mesures concrètes pour poser les bases d'une société de l'information accessible à tous, tout en tenant pleinement compte des différents intérêts en jeu. Ont répondu présents à cette grande messe de l'information 50 chefs d'État ou de Gouvernement et Vice-présidents, 82 Ministres et 26 Vice-ministres de 175 pays, ainsi que d'éminents représentants d'organisations internationales, du secteur privé et de la société civile. Ils ont apporté un appui politique à la Déclaration de principes de Genève et au Plan d'action de Genève qui ont été adoptés le 12 décembre 2003.

Mais pour Jean-Louis Fullsack, « le plan d'action de Genève a été peu suivi des faits parce que sa rédaction, pour le moins, laisse quand même des lacunes importantes ou des flous qui empêchent les actions développées. Je pense qu'une des grandes lacunes du plan d'action est qu'il n'a pas réussi à travers toutes ces propositions qui sont telles un catalogue des grands magasins. Il n'y a aucune priorité, aucun échelonnement dans le temps, aucun calendrier et a fortiori aucun financement (...) Le plan d'action est un document tout à fait intéressant parce qu'il contient toute la problématique qu'il faut résoudre mais sans en donner ni un déroulement, ni surtout des priorités.» 39 Et à Alain Kiyindou de renchérir : « le plan d'actions de Genève ressemble beaucoup au plan Marshall parce qu'il est question d'investissement, de voler au secours de populations démunies, de prêts, de donner du matériel à des personnes qui en ont besoin. Ce qu'on oublie souvent, c'est que le contexte n'est pas le même. Le contexte géopolitique a changé parce qu'à l'époque du plan Marshall, il y avait des intérêts économiques bien sûr, mais il y avait surtout des intérêts stratégiques qui étaient évidents. Mais aujourd'hui, ces intérêts n'existent pas. Donc ce plan d'actions qu'on a mis en place aujourd'hui n'est pas accompagné de moyens de réalisation.»

Deux ans plus tard à Tunis, il s'agissait justement cette fois-ci de mettre en oeuvre ce Plan d'action de Genève et aboutir à des solutions ainsi qu'à des accords sur la gouvernance de l'Internet, les mécanismes de financement, et le suivi et la mise en oeuvre des documents de Genève et Tunis.

39 Colloque Open Forum 2005 organisé par l'Agence Universitaire de la Francophonie. Entretien avec Jean- Louis Fullsack, Alain Kiyindou et Michel Mathien. A voir sur le site de la Chaîne Colloques et Conférences canalc2.tv : http://canalc2.u-strasbg.fr/video.asp ?idvideo=4218

Quoique la mobilisation ait été plus forte qu'à Genève (Plus de 20 000 participants représentant 174 pays, 92 organisations internationales, 606 ONG, 226 entreprises et 642 journaux, soit environ deux fois plus qu'à Genève) et même si cette deuxième phase du sommet s'est achevée par l'adoption le 18 novembre 2005 de l'Engagement de Tunis et l'Agenda de Tunis, le sommet a eu du mal à éclairer les controverses, notamment sur le rôle et l'influence de la société civile. Il a pu au demeurant insister sur les questions inhérentes au développement, à la souveraineté nationale, à la liberté d'expression, à l'éducation, à la diversité culturelle ou encore au droit international. Ces sujets ont été directement engagés et privilégiés dans la profondeur des analyses par rapport à la question de fond, celle de la réduction de la fracture numérique autour de laquelle les débats ont tourné mais sans jamais mieux faire que de s'arrêter à des engagements et des promesses en lieu et place des solutions concrètes très attendues.

Il est ainsi regrettable que la communauté internationale n'ait pas réussi à trouver les moyens de transformer les principes de Genève en action afin d'éviter la cassure du monde entre ceux qui sont dans l'économie de l'information et de la connaissance et ceux qui restent à sa marge. Aujourd'hui, malgré tous les espoirs suscités au lendemain du SMSI, l'euphorie des TIC a cédé place à une «perspective enivrante d'un monde entièrement interconnecté »40, un monde dans lequel les réalités des inégalités demeurent toujours très alarmantes du point de vue de l'écart qui ne cesse de se creuser particulièrement entre les pays développés et les pays africains : Un Africain sur 40 a le téléphone, et il y a toujours plus de téléphones à Manhattan que dans toute l'Afrique subsaharienne ; 90% des humains sont exclus des réseaux de communication électronique ; 70% des 660 millions d'internautes vivent dans les pays riches (16% de la population mondiale), 5% dans les pays les plus pauvres (40%) ; sur 10 Suisses, 7 ont un ordinateur et 5 surfent sur le Web. En Afrique, 1 habitant sur 130 a un PC et 1 sur 150 a accès au Net.

Shashi Tharoor (Sous-secrétaire général pour la communication et l'information publique, Nations unies) affirme que « Nous vivons à l'ère de la révolution de l'information, (...) une révolution qui offre beaucoup de liberté, un peu de fraternité et aucune égalité.». Et le SMSI, au regard de ses résultats modestes, semble être effectivement un engagement symbolique en faveur de plus de libertés, en faveur d'un peu de fraternité ou de solidarité, mais pas d'égalité. Solidarité «numérique» ? Oui. Egalité ? Non. Car la solidarité n'a de sens

40 RIFKIN Jeremy, L'âge de l'accès, Paris, La Découverte, 2000, pp. 295-296.

que s'il existe des inégalités. Eliminer toutes les inégalités et se retrouver dans un monde égalitaire est une représentation holiste, expression d'une certaine hypocrisie des superpuissances, qui en réalité auraient beaucoup à perdre à ce que les principes d'égalité déclarés à Genève et réaffirmés à Tunis soient transformés en actions, puis en réalité. Ces superpuissances et en chef de file les Etats-Unis perdraient d'abord leur domination sur le monde, avant de voir hypothéqués leurs intérêts économiques inhérents à la commercialisation de l'information marchande et la diffusion des TIC dans les pays pauvres sous le prétexte de solidarité numérique légitimé par les Nations-unies. Pourtant la question de réduction des inégalités liées à la fracture numérique était très attendue au SMSI au point où ce sommet était qualifié au départ du « Sommet des Solutions »41 . A l'arrivée, la Déclaration de la société civile au SMSI, le 18 décembre 2005, intitulée « Bien plus aurait pu être réalisé » résume bien le constat général que le SMSI s'est achevé sans la résolution des deux principales questions dont cette conférence des Nations Unies devait traiter : le financement de l'infrastructure et des services pour « mettre les TIC au service du développement » et la «gouvernance d'Internet ».

Le sommet a néanmoins le mérite d'avoir développé les réseaux humains Nord-Sud, d'avoir fait naître de nouvelles collaborations et d'avoir créé des opportunités d'affaires, en associant tous les pays, les gouvernements, la société civile et les entreprises, à un débat habituellement réservé aux décideurs des métropoles technologiques. «Le tout premier résultat de cette grande messe de l'information et de la connaissance, c'est le processus lui- même. Dans l'esprit de ses initiateurs le SMSI devait sensibiliser les décideurs des pays en développement à l'immense potentiel (des TIC) pour l'expansion future des économies, l'amélioration du bien être des populations, la cohésion sociale et l'extension de la démocratie.»42 Quoique cet objectif, particulièrement virtuel, fût largement atteint, il demeure un objectif facilement muable en projet hégémonique de gouvernance mondiale via la construction de l'intégration du monde par les technologies.

Mais l'UNESCO, puisque c'est sur cette institution que repose nos analyses, a-t-il été réellement impliqué dans ce projet hégémonique ? Nous sommes au premier abord tentés de répondre par la négative vu qu'elle n'a pas obtenu l'organisation du SMSI qui a plutôt été confiée à l'Union internationale des télécommunications (UIT).

41 Cette expression a été utilisée la première fois par Yoshio Utsumi, Directeur de l'UIT.

42 RENAUD Pascal, SMSI : Avancée symbolique, résultats modestes, in Sciences au Sud, n°33.

Ce choix apparaît d'ailleurs assez ambigu puisqu'il n'est précisé nulle part dans le mandat de l'UIT des questions se rapportant à l'éducation, la liberté d'expression, le respect de la diversité culturelle, la propriété intellectuelle qui ressortent plutôt des prérogatives de l'UNESCO. Ce choix ne saurait non plus prétendre s'être basé sur une quelconque expérience de l'UIT sur le plan des enjeux politiques et sociaux de la société de l'information. Beaucoup d'observateurs dont Antonio Pasquali (ancien Sous-directeur général de l'Unesco pour le secteur de la communication) en viennent alors à la conclusion que le choix de l'UIT « est une façon d'institutionnaliser la sourde oreille faite aux revendications sociales, de donner la mauvaise réponse infrastructurelle à de bonnes questions super-structurelles, et de maintenir la décision à l'intérieur de la sphère du pouvoir » : une certaine volonté d'évincer à priori des thèmes sociaux et politiques controversés de l'agenda du Sommet.

Cependant, l'UNESCO n'est pas pour autant resté complètement écarté de ce sommet et des débats qui y ont été tenus. Au contraire, on note son intervention aussi bien en aval qu'en amont de l'organisation du SMSI. En aval parce que l'UNESCO est l'instigateur d'une longue liste de manifestations et de rencontres préparatoires au sommet auxquelles ont participé une coalition d'ONG concernées par la société de l'information43. Et en amont parce qu'il lui a été assigné trois rôle importants dans le processus de suivi et de mise en oeuvre des résultats du SMSI : En effet, l'UNESCO est chargé de mettre en oeuvre les activités concrètes du Plan d'Action de Genève dans le cadre de son budget et programme régulier. Avec l'UIT et le PNUD, l'UNESCO s'est engagé à formuler la coordination multi-partenariats des coordonateurs des lignes d'actions. Enfin, l'organisation doit aussi contribuer à faciliter la mise en oeuvre cohérente des lignes d'actions dans ses domaines de compétence. Elle agit ainsi comme coordonnateur pour les lignes d'actions suivantes : Accès à l'information et au savoir (C3), Téléenseignement (C7), Cyberscience (C7), Médias (C9), Diversités et identités culturelles, diversité linguistique et contenu local (C8), Dimensions éthiques de la société de l'information (C 10). Ces lignes d'action font d'ailleurs directement partie de la stratégie en quatre volets développée par l'UNESCO pour combattre la fracture numérique.

Malgré toutes ses missions assez nobles, du moins en apparence, et un peu favorisée par le fait que l'organisation du SMSI ne lui ait pas été attribué, l'UNESCO reste toujours la cible de critiques qualifiant ses discours de « pieux discours » qui n'arrêteront pas l'illusion du numérique. Référence est souvent faite aux expressions «baguette magique du développement», «numérique, salut pour les nations pauvres» utilisées par l'UNESCO au

43 CRIS (Communication Rights in the Information Society).

SMSI et faisant de l'instrument (les TIC), une finalité (le développement). En réalité, il faudrait peut-être reconnaître avec Divina Frau-Meigs44 qu'« en tant qu'agence de l'ONU, l'UNESCO n'est habilité ni à trancher, ni à s'autosaisir des débats. Elle ne fait que refléter les tensions qui existent et se faire l'écho des voix contradictoires. Les étouffer serait contraire à son mandat. ».

Mais si nous nous entendons sur le fait que l'UNESCO n'est qu'un messager, qui d'une façon ou d'une autre subirait des pressions de l'ONU en se voyant obligé de tenir des discours d'un certain type, alors il nous serait facile de comprendre que l'UNESCO soit la cible de moult critiques puisqu'il est plus facile de « tirer sur le messager » que sur le message. Parlant de messages, arrêtons-nous sur celui délivré par les représentants des pays en développement et proposant l'idée d'un fonds de solidarité numérique. La solidarité numérique est-il le dernier espoir de développement des pays africains ? Cet espoir sera-t-il transformé en résignation et frustration comme l'ont été les revendications d'un NOMIC ? Quel rôle tiendra l'UNESCO dans la concrétisation de cette solidarité ? Celui d'un messager neutre, celui d'un arbitre influencé ou celui d'un parrain engagé ?

44 Professeur à l'Université d'Orléans, rédactrice en chef de la Revue française d'études américaines et membre du comité de rédaction de Média Morphoses (INA-PUF).

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