A- Déclaration de principes et plan d'action de
Genève
La première phase du SMSI s'est tenue à
Genève du 10 au 12 décembre et a eu pour but d'adopter une
déclaration de principes et un plan d'action. Nous n'avons nullement
l'intention de reprendre ici tous les principes de base énoncés
à Genève et sur lesquels repose la construction de la
société de l'information. Notre démarche consistera
plutôt à faire une analyse de discours en nous attardant
particulièrement sur quelques principes qui, malgré leur
prétendu caractère d'universalité, pourraient en
réalité faire plus d'exclus que d'inclus dans ladite
société de l'information. Pour planter le décor, le
premier principe s'énonce en tant qu'une conception commune de la
société de l'information : « Nous, représentants des
peuples du monde, réunis à Genève du 10 au 12
décembre 2003 pour la première phase du Sommet mondial sur la
société de l'information, proclamons notre volonté et
notre détermination communes d'édifier une société
de l'information à dimension humaine, inclusive et privilégiant
le développement, une société de l'information, dans
laquelle chacun ait la possibilité de créer, d'obtenir,
d'utiliser et de partager l'information et le savoir et dans laquelle les
individus, les communautés et les peuples puissent ainsi mettre en
oeuvre toutes leurs potentialités en favorisant leur
développement durable et en améliorant leur qualité de
vie, conformément aux buts et aux principes de la Charte des Nations
Unies ainsi qu'en respectant pleinement et en mettant en oeuvre la
Déclaration universelle des droits de l'homme. » Des
représentants des peuples du monde qui proclament subitement leur
volonté commune d'édifier une société de
l'information : n'est-ce pas là le retour vers une pensée holiste
confondant l'humanité à la société des «
Nous » ? L'enjeu « consiste pour nous à tirer parti
des possibilités qu'offrent les technologies de l'information et de la
communication (TIC) en faveur des objectifs de développement
énoncés dans la Déclaration du Millénaire, à
savoir éliminer l'extrême pauvreté et la faim, dispenser
à tous un enseignement primaire , favoriser l'égalité
entre hommes et femmes et rendre les femmes autonomes, lutter contre la
mortalité infantile, améliorer la santé des mères,
lutter contre le VIH/sida, le paludisme et d'autres maladies, assurer un
environnement durable et élaborer des partenariats mondiaux pour
parvenir à un développement propice à l'instauration d'un
monde plus pacifique, plus juste et plus prospère. (...) ». Il
importe de savoir à ce niveau-ci à qui renvoie le pronom «
nous » utilisé au début de la déclaration («
l'enjeu consiste pour nous ...»).
Qui doit tirer parti des possibilités qu'offrent les
TIC ? La logique sociale et le contexte de la coopération internationale
dans lequel cette déclaration a été faite voudraient que
ce soit les pays africains et de façon générale les pays
pauvres endettés, analphabètes...
Mais dans le schéma de la politique économique
globale, c'est d'abord les autoproclamés « maîtres du monde
», les grandes multinationales et entreprises privées
américaines de fabrication d'équipements informatiques et de
télécommunications qui sont les premiers véritables
profiteurs de cette situation. Le malheur des dominés pouvant faire le
bonheur des dominants, il apparaît qu'aussi longtemps que les pays du Sud
resteraient dans leur état de nécessiteux envers les TIC pour
amorcer le développement, autant perdureront ces discours fortement
imprégnés de déterminisme technologique et dont les
intérêts mercantiles sont camouflés par l'intention
affichée et la compassion sur-médiatisée d'aide ou de
coopération : « Nous sommes résolus
à donner aux pauvres, tout particulièrement à
ceux qui vivent dans des zones isolées ou rurales et dans des zones
urbaines marginalisées, les moyens de devenir autonomes,
d'accéder à l'information et d'utiliser les TIC comme outil dans
les efforts qu'ils déploient pour s'arracher à la
pauvreté. » C'est comme si à la face du monde, on mettait en
scène des victimes qu'on vient sauver d'une incendie alors que les
auteurs de cette incendie ne sont rien d'autre que les pompiers37
jouant aux sauveurs et profitant les premiers de la situation. Ils en profitent
les premiers non pas parce qu'ils ont droit à des honneurs et des
médailles après leur acte de bravoure et de sauvetage, mais
surtout parce qu'ils en tirent des primes et des avantages financiers
importants pendant que les rescapés (ignorants et « idiots du
village planétaire ») se contentent de la satisfaction illusoire
d'avoir été sauvés. Il va sans dire que les pompiers ici
sont les Etats-Unis et leurs vassaux tandis que les victimes sont
concentrées dans les 2/3 restants de la population mondiale. Les TIC
représentent dans cette métaphore l'eau abondamment
déversée pour éteindre le feu, qui, symbolise quant
à lui le sous-développement et la misère.
Un autre principe atténue cette vision
idéalisée des TIC et de la société «
salvatrice » de l'information telle que décrite dans le principe
précédent : « Nous sommes conscients que les TIC devraient
être considérées comme un moyen et non comme une fin en
soi. » Puis il est précisé un peu plus loin que « Dans
des conditions favorables, elles peuvent être un puissant outil,
accroissant la productivité, stimulant la croissance économique,
favorisant la création d'emplois et l'employabilité et
améliorant la qualité de vie de tous. ».
Préalablement donc à la diffusion et l'intégration des TIC
comme outils de développement dans un pays, il faudrait des «
conditions favorables » qui à notre avis se rapportent à la
paix, la stabilité politique, la démocratie et la bonne
gouvernance dans un pays.
37 Nous tenons à souligner ici que le métier de
pompier est un très noble métier que nous admirons et à
l'égard duquel nous avons un immense respect. L'allusion qui y est faite
dans notre métaphore ne devrait donc en aucun cas être
interprétée comme un éventuel dénigrement ou
mépris de la profession. Elle reste en effet un simple rapprochement de
faits.
Nous en concluons que contrairement à ce qui est
communément admis, les TIC ne sont pas des facteurs directs de
développement d'un pays, mais bien plutôt des
éléments de modernisation qui peuvent être très
efficaces pour l'essor économique d'un pays si celui-ci réunit
des conditions favorables au développement humain et social et
bénéficie d'un bon vent de relations régionales et
internationales. Référence est justement faite dans la
déclaration de principes à l'importance de créer un
«environnement propice». « Il est indispensable que les efforts
nationaux de développement en matière de TIC soient
étayés par un environnement international dynamique et propice,
favorable aux investissements étrangers directs, au transfert de
technologies et à la coopération internationale,
particulièrement en ce qui concerne les finances, l'endettement et le
commerce, ainsi que par une participation pleine et entière des pays en
développement aux décisions qui sont prises au plan mondial.
Améliorer la connectivité et la rendre financièrement
accessible à l'échelle mondiale contribuerait pour beaucoup
à accroître l'efficacité de ces efforts de
développement...Le meilleur moyen de favoriser un développement
durable dans la société de l'information est d'intégrer
pleinement les efforts et les programmes en matière de TIC aux
stratégies de développement nationales et régionales. Nous
nous félicitons du Nouveau partenariat pour le développement de
l'Afrique (NEPAD)38 et nous encourageons la communauté
internationale à soutenir les mesures liées aux TIC prises dans
le cadre de cette initiative ainsi que celles qui relèvent d'efforts
analogues déployés dans d'autres régions. La
répartition des fruits de la croissance alimentée par les TIC
contribue à l'éradication de la pauvreté et au
développement durable. »
En outre, la déclaration de principes de Genève
a bien mis l'accent et ceci est peut-être un acquis positif sur « la
capacité de chacun d'accéder à l'information, aux
idées et au savoir et d'y contribuer». Ceci passe forcément
par le renforcement des capacités avec des mots clés tels que :
alphabétisation, enseignement primaire universel, formation permanente
et formation des adultes, reconversion, apprentissage à distance, sans
oublier les capacités nationales en matière de
recherche-développement dans le secteur des TIC....
38 Le NEPAD résulte d'une fusion entre
le plan OMEGA Sénégalais, sa composante
économique dont l'objectif est de combler le retard qui sépare
l'Afrique des pays développés et le MAP, Millenium
African Plan, élaboré par les
Présidents MBeki d'Afrique du Sud, Obasanjo du Nigeria, Bouteflika
d'Algérie, et Moubarak de l'Egypte. Les deux plans ont été
fusionnés en un seul qui a été adopté par le Sommet
de Lusaka en 2001 pour devenir la vision de l'Afrique et sa stratégie
pour accéder au niveau mondial par la mobilisation des ressources
intérieures et extérieures, en partenariat avec le monde
développé. Les TIC sont l'un un des secteurs super prioritaire du
NEPAD.
Tous ces principes fondamentaux de l'édification d'une
société de l'information inclusive ont été
formulés autour des résolutions de respect de la diversité
culturelle, de reconnaissance du rôle des médias, et de prise en
compte des dimensions éthiques de ladite société. Ils
trouvent leur traduction dans un plan d'action rédigé sous la
forme de mesures concrètes, le but étant d'atteindre
progressivement les objectifs de développement arrêtés
à l'échelle internationale, notamment dans la Déclaration
du Millénaire, dans le Consensus de Monterrey et dans la
Déclaration et le Plan de mise en oeuvre de Johannesburg. Reste
maintenant à savoir si les gouvernements et toutes les autres parties
prenantes pourront réaliser ces objectifs en coopérant et en
travaillant de manière solidaire malgré les conflits
d'intérêts qui sont volontairement occultés dans les
débats pour donner l'impression que le « Sommet des Solutions
» tiendra toutes ses promesses. En effet, la seconde phase du SMSI sera
l'occasion d'évaluer les premiers progrès qui auront
été réalisés dans la réduction de la
fracture numérique.
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