III- Conséquences de l'échec du NOMIC
La conclusion du rapport McBride et l'échec du NOMIC
feront naître le thème de la dépendance culturelle avec
Salinas et Paldan : L'analyse du contenu n'est pas importante, mais c'est
l'analyse du processus de production de ce contenu qui compte. Ensuite,
l'UNESCO a décidé d'éradiquer de son langage
administratif, jusqu'au sigle de NOMIC. Ce tabou a paralysé dans
l'institution la possibilité d'un retour critique sur le passé et
ses contradictions. Finalement, le nouvel ordre mondial de l'information et de
la communication a été enterré par l'agence des Nations
unies, à la fin des années 80, avec la promotion d'une
«nouvelle stratégie de communication» visant à
promouvoir une large diffusion de l'information.
C'est en effet au milieu des divergences sur le rapport
McBride que l'UNESCO a organisé la réunion de la
conférence Intergouvernementale pour le Développement de la
Communication (DEVCOM). L'un des premiers succès du dialogue Nord-Sud
qui a permis à A. M. M'Bow de quitter la tête de l'UNESCO par la
grande porte, et sur une lueur d'espoir
est bien l'adoption par consensus de la résolution 4/21
décidant « d'instituer, dans le cadre de l'UNESCO, un Programme
International pour le Développement de la Communication ». Nous
reviendrons plus loin sur le bilan dont pourrait se targuer aujourd'hui ce
programme notamment en Afrique après 27 ans de coopération
internationale pour atteindre les objectifs fixés depuis 1980.
Le NOMIC a bien vite été oublié et ceci
compte tenu des changements qui se sont opérés dans la
décennie 80-90 sur la nature des discours et des débats. Masmoudi
Mustapha, qui était l'un des membres de la commission internationale
McBride sur la communication écrivait dans son ouvrage24
complémentaire au rapport que : « La commission a mis en
évidence les liens qui existent entre le NOEI25 et le NOMIC,
ce dernier étant le corollaire et une partie intégrante du
premier. Entre les deux, il existe une relation cohérente qui tient au
fait que l'information est devenue désormais une ressource
économique fondamentale, qui assume une fonction sociale essentielle,
mais qui est aujourd'hui inégalement répartie et mal
utilisée. »
Armand Mattelart évoque également ce passage
à un nouvel impératif industriel et économique lors d'un
entretien réalisé par Antonia García C. pour la revue
Cultures & Conflits (C&C) sur le thème «
Société de la connaissance, société de
l'information, société de contrôle ». Il confie
à cet effet que : « Au niveau de la politique internationale, les
débats ont également changé de nature et se sont
déplacés sur un terrain purement économique et technique.
Jusqu'au milieu des années 80, les débats sur l'avenir des
communications avaient encore lieu au sein de l'UNESCO, en présence de
nombreux représentants des pays émergents et en
développement. Aujourd'hui, les décisions les plus importantes en
matière d'information et de communication sont prises au sein de
l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), de la Conférence pour le
commerce et le développement (UNCTAD), de l'Organisation pour la
Coopération et le Développement Economique (OCDE), de l'Union
Internationale des télécommunications (UIT) ou de l'Organisation
Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans ces
instances, les pays pauvres et en développement sont soit peu
représentés, soit soumis à de fortes pressions et menaces
de rétorsions. Leur participation aux débats est donc faible.
». Le même constat n'a pas non plus échappé à
Jean-François Têtu qui , lors du
24 MASMOUDI Mustapha, Voie libre pour monde
multiple, Paris, Economica, 1986.
L'auteur décrit ici l'évolution et les objectifs du
NOMIC de même que ses dimension technique, économique, sociale et
culturelle.
25 NOEI : Nouvel Ordre Economique
International.
Premier colloque franco-mexicain - Mexico du 8 au 10 avril
2002 : Identité, culture et Communication, intervint en ces termes
: « Si l'UIT a franchi le cap de deux guerres mondiales, la montée
et les désordres des totalitarismes, on voit bien, dans le combat entre
les organismes de "régulation" actuels et les tentations
d'hégémonie de la part de quelques acteurs économiques
majeurs, que l'enjeu n'est plus celui de la maîtrise idéologique
dans un territoire (ce qui serait une question de combat culturel), mais celui
de la domination des marchés. » Les enjeux que sous-entend ce
phénomène sont certes nombreux et les acteurs concernés
par l'actuelle mutation sociale et économique se manifestent
désormais tant au niveau local qu'international. Les Nations Unies,
conscientes de son ampleur et l'ONU se rendant compte depuis quelques
années du besoin d'une approche multipartite sur ces questions, a
créé un groupe d'étude sur les TIC («UN ICT Task
Force ») ayant pour vocation de réaliser un travail de
coopération entre les différents acteurs.
Il faudrait tout de même remarquer qu'en dehors des
déplacements des lieux des débats et de la nature des
débats, les acteurs qui animent les débats restent pratiquement
les mêmes. Rien n'aurait donc véritablement changé en 27
ans, puisque la communauté internationale est toujours à la
recherche d'un ordre dans un contexte de mondialisation et de globalisation qui
suggérerait ici l'idée de désordre. C'est à croire
que nous en sommes encore à ce que Sylvain Bemba (Congo)
préconisait dans les années 1978 : «assainir la conjoncture
économique mondiale» et sa phrase, « le bout du tunnel n'est
pas pour demain », semble toujours être d'actualité.Des
bouleversements géopolitiques sont cependant pointés dans le
rapport mondial sur la communication en 1997. L'UNESCO y affirme que si les
bouleversements géopolitiques ont modifié les relations entre
pays du Nord, « au Sud de nombreux pays passent d'un Tiers Monde uniforme
et pauvre à un Sud plus différencié ». En effet,
l'UNESCO défend ici l'idée selon laquelle la traditionnelle
distinction entre pays industrialisés et pays en développement
apparaît de plus en plus nuancée. Si de nombreux pays tant qu'en
Asie, qu'en Amérique Latine ou en Europe centrale et orientale
réussissent des percées économiques, l'UNESCO
précise que ces nouvelles opportunités de croissance ne peuvent
masquer les inégalités économiques majeures tant entre les
pays industrialisés et ceux en développement, qu'à
l'intérieur même des pays qui bénéficient de cette
croissance.
C'est pourquoi notre échelle d'analyse Nord-Sud ne
saurait nous élever à hauteur d'une quelconque prise de position
radicale d'appréhension des rapports géographiques
dominés- dominants, mais reste une simple référence
historique au contexte des débats sur les inégalités.
Aujourd'hui, nous notons tout comme l'UNESCO une certaine
évolution de l'échiquier géopolitique qui nous oblige
à faire évoluer aussi certains fondements de nos
réflexions. C'est ainsi qu'en dépassant les
stéréotypes, nous aborderons la question de la fracture
numérique et celle de la solidarité numérique dans un
contexte d'interdépendance inégale26.
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