II- Le rapport McBride : « Voix multiples, un seul
monde »
« D'où provient massivement l'information ? Qui la
produit ? Qui la diffuse ? Les flux Nord-Sud n'écrasent-ils pas les
cultures sous-développées, balayant les identités locales
ou nationales au profit d'une prise de contrôle du signe par une
poignée de puissances disposant des techniques et des moyens financiers
? » Telles sont selon J. Decornoy les questions auxquelles avait
tenté de répondre la communauté internationale à
travers le rapport Sean McBride, rapport intérimaire sur les
problèmes de la communication dans la société moderne. Ce
rapport a été finalement adopté à Belgrade le 25
Octobre 1980.
Notre but ici n'est évidemment pas de revenir sur le
contenu détaillé des quatre-vingts recommandations de ce rapport.
Ce serait comme le dirait Armand Mattelart « faire une
exégèse de plus du rapport McBride en tombant dans le panneau que
dénoncent les historiens : les manies de la commémoration ».
En effet, les trois dernières décennies nous laissent constater
que les technologies ont sensiblement évolué et leur diffusion
s'est un peu accélérée quoique le bilan reste
mitigé d'un pays à l'autre, et en considérant parfois un
même hémisphère géographique (Nord-Sud). Nonobstant
l'inconstance géographique du nouvel ordre économique qui selon
certains déterminerait l'ordre mondial de l'information et de la
communication, il ne serait pas superflu d'analyser les directions principales
qui ont orienté le rapport McBride afin de comprendre aujourd'hui si ce
rapport était voué à l'échec à travers la
nature de ses ambitions peut être trop idéalistes et ayant fait du
NOMIC un projet mort-né.
A un premier niveau d'analyse, nous nous arrêtons sur le
constat que ce rapport publié sous le titre « voix multiples un
seul monde », a résumé les différents concepts de la
théorie de l'information, qui s'avère encore aujourd'hui
d'actualité. En effet les rapporteurs, nous semble-t-il, se sont
inspirés du modèle psychosociologique d'Harold Lasswell à
qui l'on doit le découpage, avec précision, des différents
éléments constitutifs de l'information. Selon ce
théoricien, on ne peut décrire « convenablement une action
de communication » que si l'on répond aux questions suivantes: qui
dit quoi, par quel canal, à qui, et avec quel effet ?
La description des émetteurs, l'analyse du contenu des
messages, l'étude des canaux de transmission, l'identification des
audiences et l'évaluation des effets : tels sont les principaux
pôles autours desquels, doivent s'ordonner les études en
communication. Et ces principaux pôles de recherche sont identiques aux
questionnements de la communauté internationale tels que nous les avions
formulés au début de cette section : « D'où provient
massivement l'information ? Qui la produit ? Qui la diffuse ?... ».
Cependant, il existe une autre approche inspirée des
sciences politiques : C'est l'approche « institutionnelle » sur
laquelle Francis Balle établit un postulat en forme de double
inégalité (document CIC n°40/1979). La communication, c'est
plus que les seules techniques baptisées médias, mais c'est moins
que la totalité des échanges sociaux. Cette double
inégalité invite d'une part le chercheur à mettre en
lumière les multiples relations d'influences, de
complémentarités, d'exclusions, ou de substitutions
réciproques entre les différents modes de l'échange
social. D'autre part, elle attire l'attention du chercheur sur les
différents modes de la communication sociale; la communication
interpersonnelle, la communication institutionnelle (entre les organisations,
entre les gouvernants et les gouvernés, etc.) et la communication par
les médias. Cette approche était sans doute la plus voisine de
«l'approche globale», adoptée par les auteurs du rapport de
l'UNESCO précité, puisqu'elle a été leur cadre de
référence en traitant le concept du Nouvel Ordre Mondial de
l'Information.
Le contenu même du rapport McBride met d'abord l'accent
sur : « l'élaboration de politiques nationales de la communication
» incluant pour les pays en développement des stratégies de
développement de la radiodiffusion, des capacités de production
des programmes, des télécommunications et réseaux de
téléphone, sans oublier le développement d'agences de
presses nationales, et la production nationale de livres.
Ensuite, les membres de la commission McBride ont fait
ressortir les implications sociales de la communication et les tâches
nouvelles à assigner aux médias en tenant compte des
mécanismes nationaux d'intégration et de réappropriation
des TIC dans les secteurs les plus défavorisés et ceci sans
tomber dans le piège de l'acculturation. («Préservation de
l'identité culturelle en éliminant les situations de
dépendance mais en favorisant en même temps l'établissement
de relations avec d'autres cultures...»).
Enfin, les normes devant réguler les pratiques de
collecte de nouvelles et d'opinion n'ont pas été omises par la
Commission qui a insisté sur les mesures à prendre par chaque
pays afin de gérer ses correspondants étrangers.
Le rapport « Voix multiples, un seul monde » fait
sauter des verrous mais les nombreuses controverses et interprétations
ayant résulté de sa compréhension par les
différentes forces en présence ont rendu les négociations
difficiles au point où l'Assemblée générale de
l'UNESCO réunie à Belgrade en 1980 n'a pas pu approuver le
rapport, et s'est contentée d'en prendre acte. En réalité,
la revendication du NOMIC signifiait entre autres une élimination des
déséquilibres et inégalités en communication, une
élimination des effets négatifs des monopoles publics ou
privés excessifs, la suppression des obstacles internes et externes qui
s'opposent à une circulation libre et une diffusion plus large et mieux
équilibrée de l'information.
Malheureusement au carrefour des thèses
défendues, on note de nombreuses contradictions entre les socialistes
(soutenant la décolonisation complète de l'information), les
occidentaux (dénonçant l'hypocrisie de la démocratisation
vue comme une libération par rapport aux puissances
étrangères), et les modérés (soucieux de la
sauvegarde de leur indépendance culturelle). Le rapport McBride ne fait
donc pas l'unanimité et l'UNESCO dans une posture de juge et arbitre
n'est pas arrivé à dépasser les controverses pour
rééquilibrer le débat autour d'un consensus qui
arrangerait tout le monde.
Malgré son caractère universel, global et
multidimensionnel basé aussi bien sur la dimension sociale que le
développement de la communication au nom du principe de la
liberté de l'information, le rapport McBride a fini par accoucher d'un
NOMIC mort-né et l'UNESCO impuissant sombra dans un coma aussi bien
structurel qu'administratif et financier.
C'était pourtant prévisible et cet échec
était certainement inévitable dans la mesure où ceux
à qui profitaient le système de circulation unilatérale de
l'information (en occurrence les Etats-Unis) contrôlaient bien le
phénomène qui était organisé en faveur du centre du
système depuis très longtemps. La grande puissance ne saurait
concevoir, de renoncer à sa suprématie et de céder aux
organisations internationales la promotion à une échelle mondiale
de ce secteur stratégique. Dans son ouvrage « The Amazing
Race » paru à New York à la fin de l'année 1983,
William Davidson n'a d'ailleurs pas hésité à affirmer, que
les Etats-Unis d'Amérique avaient décidé de quitter
l'UNESCO précisément parce qu'elle favorise l'instauration du
NOMIC. Le retour des Etats-Unis ne confirmerait-il pas alors l'hypothèse
selon laquelle l'UNESCO aurait été contraint de revoir ses
politiques de développement de la communication dans un sens qui
favorise à nouveau les intérêts des Etats-Unis et ceci
après avoir subi des pressions et des restrictions budgétaires
des bailleurs de fonds américains? Il est en tout cas certain qu'avec
l'échec de l'instauration du NOMIC, les rapports Nord-Sud vont d'abord
se crisper, puis retrouveront de nouveaux centres d'intérêts
grâce aux enjeux économiques suscités par les prouesses
techniques irréfrénables des années 80-90
(émergence des débats sur les TIC).
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